01 Juil Tortosa fait sa Renaissance
Chaque année pendant quatre jours en juillet, la Festa del Renaixement de Tortosa transporte la ville entière à l’époque glorieuse de la Renaissance. Costumes étincelants, musiques de rue, tavernes temporaires, mais aussi des dizaines de spectacles, à chaque coin de rue et dans des bâtisses chargées d’Histoire… Reportage dans une ambiance à rebrousse temps qui attire 200 000 visiteurs.
En ce jeudi soir de juillet, le ciel de Tortosa supporte une lourde masse de nuages prête à éclater en un bel orage. Mais qu’importe. Aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres : la Festa del Renaixement doit être lancée avec faste, comme il en va depuis dix-huit ans. La foule converge vers la Plaça d’Espanya. Nous admirons les tissus, les rameaux, les guirlandes et autres drapeaux suspendus aux fenêtres ou flottant entre deux immeubles. Des bottes de foin ont remplacé les chaises aux terrasses des cafés. Cela saute aux yeux : la Festa del Renaixament de Tortosa est une institution.
200 000 spectateurs
Ce phénomène attire 200 000 personnes de toute la Catalogne mais aussi du reste de l’Espagne, de France et du Portugal. Pendant quatre jours, la vieille ville est intégralement ramenée au XVIe siècle. Sur la Plaça de Espanya, au pied de la mairie, la foule, dans un joyeux mélange de shorts, tongs et tenues du XVIe siècle, prend place pour assister à la cérémonie d’ouverture des festivités. Nous nous frayons un passage et pénétrons dans l’hôtel de ville pour découvrir, à l’étage, des employés municipaux sur le pied de guerre, tous en tenue d’époque, mais aussi des élus de la ville, en costumes roses et noirs avec collerette blanche et chapeaux de feutre arrondis… Voilà qui, à Perpignan, aurait beaucoup fait sourire. Mais ici, on prend la chose au sérieux.
Une aventure prenante
La première Festa del Reneixament de Tortosa date de 1996. « L’idée de départ était de rassembler plusieurs collectifs de la cité, explique Domingo Tomàs, le régisseur de la fête. Et en allant découvrir les groupes de musique de la Renaissance de Sienne, en Italie, les gens d’ici ont perçu toute l’importance de ce patrimoine. Cela a donné une impulsion. Beaucoup se sont lancés dans l’aventure, à un degré de professionnalisme très élevé ». Selon une étude, « l’impact financier serait de six millions d’euros ! On peut dire que c’est un bon investissement » sourit Domingo Tomàs. La Festa del Renaixement de Tortosa est devenue l’une des plus importantes d’Europe et a été décrétée Fête d’Intérêt Touristique National.
Perles et tissus précieux
Sur la place, la foule est maintenant dense et l’intensité sonore grimpe avec le capharnaüm des musiques des fanfares. En équilibre sur le bord d’un trottoir, Anna tend le cou pour tenter de voir l’estrade. « Je suis de Tortosa et je viens depuis 13 ans, explique-t-elle. Je participe à toute la fête ! Chaque année c’est un événement. Mais regardez, ça va commencer ! Ils vont présenter les familles nobles ». C’est toute une mécanique bien huilée qui se met alors en place. Un lecteur vêtu de vert et de crème s’attaque à la lecture d’un texte sur un parchemin. Les notables ont pris place sur la scène au son des instruments médiévaux catalans. Vêtus de tissus précieux et arborant perles et chapeaux distingués, ils matérialisent toute la richesse de la Tortosa de la Renaissance. Enfants, adultes comme vieillards, ils affichent un port gracieux et une mine grave.
Les élus actuels en costumes d’époque
Depuis le balcon de l’hôtel de ville, les élus actuels jouent le rôle des « procureurs » de l’époque, formant une brochette uniforme. Des jeunes filles avancent, chevauchant des chevaux factices, portant haut leurs épées. Afin que le spectacle soit total, on jette des fils et papiers argentés, qui viennent voleter sous nos yeux avec grâce… contrastant avec le vacarme imposé par les nombreux pétards. Clou du spectacle, une chorégraphie impressionnante de drapeaux jetés en l’air par des jongleurs donne le ton de ce qui s’annonce comme quatre jours hors du temps. Place maintenant à la fête sur un mode déambulatoire. Dans un ordre de passage bien précis, les figurants filent à travers les rues, les spectateurs sur les talons.
Défilé dans la vieille ville
Direction la porte Romeu, qui s’ouvrira sur les ruelles de la vieille ville, agglutinées autour de la cathédrale de Santa Maria. Dans la foule, Nuria et ses quatre-vingts printemps rayonne dans ses habits de femme du peuple. Elle est venue avec des amies et entend bien faire la fête. « C’est fantastique, il y a ici des jeunes, des vieux, c’est un regroupement de tous les âges et de tous les milieux sociaux » nous hurle-t-elle dans les oreilles, au milieu du vacarme général. Puis Nuria disparaît dans la foule, et nous l’apercevons quelques mètres plus loin, dansant au rythme des percussions. Sur le parvis de la cathédrale, il revient au ministre du Développement Durable de la Generalitat de Catalunya du moment, Santi Vila, de se plier à l’exercice du discours en costume rose et mauve et collants blancs moulants d’époque, le tout agrémenté d’une plume rouge accrochée au couvre-chef. Imposer un tel accoutrement aux politiques… C’est sans doute là aussi l’esprit carnavalesque de la fête. Mais le ministre, également historien, se plie à l’exercice avec un plaisir non dissimulé, rappelant que « Tortosa était l’une des plus importantes villes artistiques et culturelles de Catalogne ». Les cérémonies d’ouverture achevées, la fête va pouvoir vraiment commencer.
Des tavernes à ciel ouvert
Jusqu’à dimanche, des groupes d’amis, des familles, déferlent dans les rues et s’asseyent aux longues tables de terrasses montées pour l’occasion sur les placettes de la vieille ville. Dans ces tavernes éphémères à ciel ouvert, on fait griller devant vous de la charcuterie, des méchouis, des poivrons et toutes sortes de mets de l’époque dont le fumet met instantanément l’eau à la bouche. Tous les soirs, l’ambiance est à son comble. Les terrasses sont prises d’assaut. Pendant la journée, la ville est un peu endormie, écrasée par la chaleur, mais conserve toujours une ambiance à part grâce aux décorations et aux animations régulières organisées dans les rues par les associations de voisins. Des badauds jettent un œil aux stands installés dans les jolies ruelles de l’ancien quartier Juif et du secteur de la cathédrale. Ils proposent des savons, encens, huiles essentielles, pierres précieuses, bijoux, mais aussi des frondes en bois et des casques en métal pour les enfants, de l’artisanat ou de la charcuterie.
Pipeau, trompe et dolçaina
Les groupes de musiciens se promènent dans les rues, arborant les couleurs de leur « colla », et assurent l’ambiance à coups de battements de tambour et d’airs entraînants joués au pipeau et à la trompe, cette sorte de cors de chasse droit, typique du Moyen-Age. Même les adolescents s’investissent dans ces colles traditionnelles, à l’image de Noelia. Elle joue de la dolçaina, une sorte de hautbois traditionnel du Moyen-Age. « Techniquement, c’est plus ou moins comme la flûte », explique-t-elle. Noelia pratique la dolçaina depuis cinq ou six ans. Avec son groupe, ils se retrouvent tous les week-ends. Pendant ces quatre jours de fête, on croise souvent deux colles, les « Gaiters de l’Aguilot » et « el Terç del vescomte de Castellbò », faisant référence à une juridiction qui a existé, du côté d’Urgell et de la Cerdagne,… Et bien d’autres groupes encore, venus des Terres de l’Ebre, de toute la Catalogne mais aussi de l’étranger, habitués à se déplacer au fil des fêtes de la Renaissance. Une telle foule réclame une organisation implacable de la part des organisateurs. « Nous contactons les groupes avec un an d’avance » explique Julia, une bénévole. Mais ameuter les musiciens ne suffit pas… Il faut aussi s’occuper des figurants. C’est un intense travail de coordination qui débute après la semaine sainte. « Pour certains, ce sont des mois de travail ! explique Julia. Et il y a des gens qui s’informent beaucoup sur la réalité historique, pour éviter les anachronismes au niveau des tenues ».
Tongs, boucles d’oreilles et autres anachronismes
Malgré tout ce déploiement de professionnalisme, quelques bizarreries croisées ça et là prêtent à sourire, comme ce curé en bure marron qui sirote nonchalamment une San Miguel à la taverne du coin, ce noble qui a conservé un anneau à l’oreille ou ces tongs qui dépassent sous un vêtement d’époque ! Mais veiller à sa tenue n’est pas tout : « Il faut se trouver une “famille” avec qui défiler, on peut vous y aider », précise Julia. Car les familles correspondent aux vraies familles de nobles de l’époque. « Tout est documenté. Il y a aujourd’hui encore des descendants de ces familles ! » explique la bénévole. Et pour que les premiers à défiler ne soient pas toujours les mêmes, on procède chaque année à un tirage au sort.
Spectacles de rue et lieux prestigieux
Mais ce n’est pas tout… Tout au long du week-end, les manifestations se succèdent, à raison d’une soixantaine de spectacles par jour, dans la rue, lors de joutes, de spectacles équestres et d’un grand bal d’époque le samedi soir, mais aussi au fil d’un programme de spectacles payants. Les sites prestigieux accueillent des concerts d’instruments d’époque, comme la vielle à roue, le luth ou le théorbe, une sorte de grand luth. Les troupes de théâtre posent leurs tréteaux dans des sites merveilleux, comme la cour intérieure du Palais Episcopal. Là, sous les arcades et dans la fraîcheur du soir, le public oublie momentanément l’agitation qui se trame derrière les hauts murs, dans la rue, et entre dans le monde dont parlent les comédiens… Un temps qui vit Tortosa briller de mille feux.
3 000 bénévoles
Les festivités s’achèvent le dimanche soir en apothéose. Là se retrouvent les quelque 3 000 bénévoles pour un défilé en forme de bouquet final, avant la traditionnelle cérémonie de fermeture des portes de la ville. Mais pour l’heure la fête bat encore son plein, et, parmi les nobles, nous rencontrons Cameron, une jeune fille d’une quinzaine d’années, resplendissante dans sa robe scintillant de perles. Elle participe à la fête pour la première fois et a pris les choses très au sérieux. « J’ai fait appel à une couturière et ma grand-mère m’a aidée » explique-t-elle. Cameron est à la fois de Pamplona et de Tortosa et représente à elle seule l’avenir de la Festa del Renaixement. « C’est un hommage à une époque importante, souligne-t-elle. Je voulais vivre ça ».
Pas de commentaire