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Céret : Creuset du Cubisme

02 Avr Céret : Creuset du Cubisme

De la bourgade rurale endormie du début du XXe siècle à la capitale culturelle, il y a le regard porté sur Céret par deux générations de peintres, auteurs, intellectuels avant la Grande Guerre.
Rien ne prédisposait le Céret du début du XXe siècle à devenir la ville d’artistes qu’elle est aujourd’hui. A l’époque, l’agriculture et la viticulture occupent le devant de la scène, relayées par quelques industries artisanales traditionnelles du Vallespir : fabrication d’espadrilles, de tissus, de tonneaux et de bouchons de liège. La vie est rythmée par de grandes fêtes votives qui attirent toute la vallée. Rien d’extraordinaire, donc, si ce n’est la beauté singulière du village et de ses alentours. Mais le destin veille.

Histoire de train

Il arrive par le train, à la fameuse gare située en bas du village et prend le visage de trois peintres venus de Montmartre et plus exactement, du Bateau-Lavoir. Il s’agit du Catalan Manolo Hugué, du musicien occitan Déodat de Séverac et du Limougeaud Frank Burty Haviland, qui vont faire de Céret le siège de l’avant-garde cubiste. Très vite, les trois artistes se lient avec les intellectuels locaux, trop heureux de voir Paris venir jusqu’à eux, et Céret de connaître peut-être la même fortune que Collioure avec le fauvisme quelques années plus tôt.

Echanger d’abord

Ainsi l’auteur Victor Crastre, qui deviendra le chroniqueur de l’aventure, le poète Pierre Camo, le grand Etienne Terrus (encore lui !), Maillol (qui n’est pas encore sculpteur) et le négociant en vin Michel Aribaud, grand amateur d’art, se pressent-ils autour des nouveaux venus, avides d’échanger, de confronter, en un mot de participer à ce qu’ils pressentent comme une grande avancée de l’art en ce début de siècle. Cette ébullition va porter ses fruits.

Ceret3Partager ensuite

Les trois compères, ravis de leur séjour, ne tardent pas à inviter leurs amis parisiens à les rejoindre. C’est chose faite en 1911. Dès lors, et jusqu’à la première guerre mondiale, se presse dans les rues de Céret, sur les flancs de ses collines, au bord du Tech, un aréopage d’artistes, et non des moindres. Picasso, qui loue la maison Delcros, passe du cubisme analytique au cubisme synthétique et à l’iconoclastie absolue que sont les papiers collés, tandis que Braque continue son exploration du cubisme pictural. Max Jacobs esquisse, écrit et anime des soirées débats passionnées au grand café, Juan Gris restitue une admirable vision du Col de Bousseils, Auguste Herbin, longtemps avant Bioulès, se joue de la perspective des trois ponts.

La deuxième vague

A Paris, les lettres se succèdent en provenance de la cité catalane, poussant Kisling, Picabia, Marchand, Deniker, Casanovas, Sunyer et d’autres encore à prendre la route de la Catalogne. Céret a changé. De la cohabitation étrange de ces bohêmes de génie et de son petit peuple rural est né un esprit unique, curieux. On rit beaucoup de ces excentriques mais au fond, on les accepte. Céret a scellé son destin de ville culturelle. Selon le joli mot du critique d’art André Salmon, elle est devenue « la Mecque du cubisme ». Pourtant, la Grande Guerre vient poser sa glaciation funèbre sur cet élan vital. D’une certaine manière, c’est le monument aux morts sculpté par Maillol qui sonne l’heure de la résurgence en 1919, résurgence menée par un homme providentiel pour la ville : Pierre Brune.

Ceret2Vent d’est

Installé dans « la ruche » cité Falguière à Paris, où séjournent beaucoup d’artistes venus de l’Est, ce dernier décide de s’établir à Céret et d’y attirer deux de ses plus grands amis et collègues, Pinkus Krémègne et Chaïm Soutine. Le premier y résidera jusqu’à sa mort en 1981. Le second y restera trois ans, et y peindra une série expressionniste sublime consacrée à des paysages et à des natures mortes, qui vont le propulser dans le club fermé des peintres reconnus. André Masson et Maurice Loutreuil arrivent à leur tour, peignant des séries de paysages que l’influence de Soutine ne tarde pas à visiter. Mais l’incroyable défilé n’est pas fini : Marc Chagall s’installe de 1928 à 1929, et travaille sur une série de gravures illustrant les fables de la Fontaine, Tristan Tzara, Joan Maragall ou Jean Dubuffet multiplient les visites. Céret est une ville d’artistes.

 

Ceret4Cité des artistes

Et elle va le prouver, lorsque l’ombre sinistre du nazisme s’abat sur la France, en devenant un véritable asile pour les peintres et intellectuels parisiens parmi lesquels, Jean Cassou, Raoul Dufy, Albert Marquet. Ce chapitre des « résidences » prend fin après la guerre avec André Marchand, mais le sillon est tracé. Déjà, rue Saint Ferréol, s’élève l’immense figure de Jean Capdeville, l’un des plus grands peintres catalans du XXe siècle. Joan Ponç, André Eulry, Michel Brigand et bien sûr le farouche et talentueux Marc Fourquet, Céret reste digne de son héritage.

D’autant que Céret, aux côtés de son magnifique Musée d’Art Moderne et de ses sublimes collections, possède deux institutions officieuses : le Pablo, qui est un peu l’Hôtel des Templiers local tant ses propriétaires, les frères Astrou ont œuvré pour l’art et les artistes, et la galerie Odile Oms, un temple à la passion de la peinture, dirigé par un couple de passionnés. Céret possède un don particulier, celui d’enflammer les incandescences, de cristalliser les passions, de faire surgir des vérités silencieuses et désaltérantes comme le chant de l’eau le long de ses trottoirs. Céret, c’est la ville de toutes les révélations.

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