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Les Rambles

02 Avr Les Rambles

Elles sont la colonne vertébrale de Barcelone, son miroir, son forum, son haut lieu de convivialité où se croisent autochtones et touristes. Plurielles, changeantes, hautes en couleurs, les Rambles sont incontournables.
Avec la Sagrada Familia, c’est le lieu le plus emblématique de Barcelone, celui vers lequel tous les visiteurs de la ville convergent, sûrs d’y trouver réunis tous les aspects les plus caractéristiques de la capitale, des plus culturels aux plus triviaux, avec en plus, cette déambulation incessante et laborieuse qui signe les vrais quartiers populaires : un mélange passionnant de Montmartre et de Saint-Michel, avec son peuple de petits marchands et d’artistes à découvrir pas à pas.

Ramblas2Un singulier pluriel

En effet, si le vocable de Rambles, au pluriel, désigne une seule artère, celle qui va de la place de Catalogne, née de la démolition des remparts en 1854, à la mer, elle regroupe cinq sections aux noms évocateurs : la Rambla de canaletes (rambla des petits canaux), resserrée autour de la fontaine du même nom, la Rambla dels estudis (rambla des études) où se regroupent les oiseleurs, la Rambla Sant Josep (rambla saint Joseph), royaume des fleuristes, la Rambla des Caputxins (rambla des capucins) et enfin la Rambla Santa Mònica qui accueille bateleurs et saltimbanques. Si les touristes adorent l’endroit, les Barcelonais ne sont pas en reste et s’y donnent souvent rendez-vous. Le sport national consiste à descendre les Rambles jusqu’à la mer, puis à les remonter dans la plus pure tradition de l’agora, en conversant entre amis et en adoptant un train de sénateur.

Agora et marché

Autrefois, la Rambla, un terme qui vient de l’arabe, et qui signifie « fleuve de sable», séparait la ville fortifiée du raval, son faubourg. La ville fortifiée s’arrêtait à ce terrain vague en contrebas des remparts. A cet endroit avait lieu le marché, dont les détritus se retrouvaient balayés par les eaux de pluie qui, en utilisant la pente naturelle, emportaient le tout vers la mer.  Aujourd’hui, le terre-plein central planté de platanes centenaires, est devenu un lieu de promenade prisé, bordé d’églises et de bâtiments patrimoniaux pittoresques qui sont de véritables joyaux du patrimoine. Lorsque l’on quitte le monde moderne de la place de Catalogne avec ses banques, ses hôtels, ses grands magasins et sa foule trépidante pour s’engager dans la Rambla, on pénètre dans un tout autre monde, on voyage dans le temps : marchands de journaux, kiosques de loterie, et exubérance des fleurs, tout est là pour vous transporter ailleurs. On retrouve, à leurs emplacements d’origine les activités commerciales séculaires non alimentaires qui n’ont pas intégré la boqueria, marché conçu autour de l’alimentation.

Une fontaine pour un club

A commencer par la fontaine des Canaletes, célèbre pour la légende qui dit que « celui ou celle qui boit de son eau reviendra à Barcelone ». Tous ceux qui aiment la ville ou comptent y retourner un jour boivent son eau par superstition et par tradition. C’est ici, devant la Font de les Canaletes que se rassemblent à chaque victoire les supporters du FC Barcelone. Cette tradition remonte aux années 1930, lorsque les supporters allaient s’enquérir des résultats auprès du journal politique et sportif de l’époque,« La Rambla », dont le siège social se trouvait juste devant la fontaine. Sur la porte d’entrée était accrochée une ardoise portant les résultats des matches du jour. Lorsque Barcelone gagnait un match, les supporters confluaient de tous les coins de la ville pour célébrer la victoire autour de la fontaine. C’est encore le cas aujourd’hui, même si la radio et la télévision ont depuis longtemps supplanté, dans les bars et dans les maisons, le recours à l’ardoise !

Ramblas3Patrimoine somptueux

Une première halte s’impose à l’église Betlem et sa singulière façade baroque (1681) représentant Ignace de Loyola en plein débat avec François Borgia mais dont l’intérieur, comme le stipule la plaque apposée, fut entièrement brûlé pendant la guerre civile, en 1936. Un peu plus loin s’élève un somptueux palais du XVIIIe siècle devenu un Centre de l’Image qui accueille des expositions d’art contemporain. C’est « la Virreina », (la vice-reine), ainsi nommée car la vice-reine du Pérou (l’Espagne etait alors une énorme puissance coloniale) y vécut seule après la mort de son vieux mari. Selon la légende, le personnage inspira à Offenbach, son célèbre opéra bouffe : « la Périchole ». En face le Palau Moja, magnifique demeure patricienne construite par un « Indien », un Catalan enrichi aux Amériques, dévoile sa sublime façade moderniste.

Le plus vieux marché de Barcelone

Toujours sur le même trottoir, s’ouvre sous un porche au vitrail art nouveau, l’un des plus anciens marchés de Barcelone, celui de la Boqueria. Un monde à part fait d’une multitude de stands colorés où l’on rencontre le meilleur des produits frais de Catalogne, bien sûr, mais aussi du monde entier. Pas un fruit qui ne soit trouvable ici en toute saison, pas une épice non plus. Les étals de poissons, ruisselants de fraîcheur sont une merveille. Partout, un tourbillon d’odeurs, de couleurs. Et tout autour, de petits restaurants sans prétention qui évoquent irrésistiblement les Halles quand elles étaient encore le ventre vivant de Paris avec leur gouaille et leur atmosphère bon enfant.

Un opéra mythique

Changement de style avec le grand théâtre du Liceu, construit sur les ruines d’un couvent et marqué par une étrange malédiction. En 1835, il brûle pour la première fois. Reconstruit et restauré il fait les beaux jours de l’opéra dans la péninsule avant de brûler à nouveau en 1994 dans un incendie spectaculaire suivi par les télévisions du monde entier. Reconstruit à l’identique par le cabinet d’architectes Fabre & Dilmé, le Liceu est très vite redevenu l’une des grandes scènes lyriques du monde. Une halte dans son hall aux sublimes lustres de cristal taillé s’impose. Ici sont passées les plus belles voix du monde, servies par les plus grands chefs d’orchestre.

Miró ou la météo

Au milieu de la Rambla, juste à côté de la station de métro Liceu, sur une petite place connue comme le « Pla de l’Os », s’étend une magnifique céramique de Miró. Les Barcelonais en ont fait un étrange baromètre : il paraît que selon la lumière, le bleu ou le rouge sont tour à tour dominants, le premier annonçant le beau temps, le deuxième la pluie. C’est un des luxes de Barcelone, fouler aux pieds le beau comme par inadvertance, comme si rien au monde n’était plus naturel que la fréquentation quotidienne des arts.

Ramblas4Un monde pittoresque

Juste à coté, on peut se demander d’ou vient l’exubérance toute extrême-orientale de la façade de la Casa dels paraigües avec sa touche un peu chinoise et laquée. Le propriétaire des lieux tenait une boutique dédiée à la vente des parapluies, il a profité de l’exposition universelle de 1888 pour étendre son commerce aux étages supérieurs et signaler aux chalands le développement de sa petite entreprise . En lieu et place de mosaïques ou de sculptures, la façade est décorée de rosaces qui sont en réalité des motifs de parapluies ! Ne manquez pas non plus l’horloge du fronton de l’Académie Royale des Arts et des Sciences. Avant l‘invention de la radio, c’est elle qui donnait l’heure universelle de Barcelone, et tous les horlogers de la ville venaient y caler leurs instruments.

Simplement royale

Puisque vous traversez la Rambla, c’est le moment de faire un crochet par l’une des plus belles places du monde, la Plaça Reial ou Place Royale, bordée d’arcades et joliment plantée de palmiers. A noter la fontaine des trois grâces et ses deux magnifiques lampadaires créés par Gaudí qui a décidément mis son empreinte partout dans la ville. Le dimanche, la jolie place accueille un marché de timbres et de numismatiques. La Plaça Reial, quoique peu recommandable la nuit, est entourée de cafés et de restaurants. Elle reste le lieu idéal pour prendre l’apéritif et laisser le charme agir… On servait autrefois au Café Suisse un « arròs de senyoreta » un riz de demoiselle, dont tous les fruits de mer et crustacés avaient été soigneusement vidés de façon à ce que les élégantes ne risquent pas de se salir les doigts !

Le plus vieux métier du monde

En lieu et place des portes qui verrouillaient l’accès à la ville fortifiée, on trouve actuellement de petits passages qui s’engouffrent en direction du Barri Gotic, la plus connue est la Porta Ferrissa. L’une d’entre elles, celles des chaudronniers « escudellers » arboraient trente clous . Avec le développement du port, l’endroit s’est couvert de maisons de passe. Les portes ont été abattues mais les lieux de prostitution sont resté en activité jusqu’à une époque récente. De l’époque, les barcelonais ont gardé l’expression : « fotre un clau », qui signifie littéralement « planter un clou », lorsqu’ils ont recours aux charmes d’une prostituée. Dans le passage qui va au musée de Cire, passage qui abrite les services culturels de la Generalitat de Catalunya, on voit encore sur le sol des marques circulaires : ce serait la trace des talons aiguilles des filles de joie !

Des statues vivantes

Vers la fin des Rambles s’élèvent d’étranges statues de bronze, de plâtre, de marbre qui représentent des personnages historiques ou des héros de fiction. A y regarder de plus près, ce sont des statues vivantes, malgré leur remarquable immobilité, qui font la joie des passants. Si vous voulez garder un souvenir, adressez-vous à l’un des nombreux caricaturistes : il vous tirera le portrait en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Pour les ballons, vos enfants auront l’embarras du choix. Ici tout est ludique. C’est aussi l’endroit où les pickpockets sévissent. Attention !

Face à la mer

Le bout des Rambles est marqué par une des fontaines Wallace, offertes par Richard Wallace lui-même, lors de l’exposition universelle de 1888. N’espérez toutefois pas vous y désaltérer, impossible d’y passer la tête pour boire, un vrai supplice en plein été. Et enfin, devant vous s’élève, à 60 m de hauteur, la statue de Christophe Colomb qui montre l’horizon. Au-delà de la place commence réellement le port, c’est le moment de rebrousser chemin. Si le soir est tombé, vous ne manquerez pas de noter qu’au niveau du Liceu s’établit une coupure entre le Barcelone des quartiers chauds et le Barcelone plus feutré des quartiers bourgeois…

Carrefour de deux mondes

Mais la Rambla matérialise une autre forme de coupure : elle sépare et délimite deux des quartiers les plus pittoresques de Barcelone. A gauche en remontant, le Raval, un quartier populaire et culturel où centres d’art contemporain et galeries côtoient de petites boutiques, souvent tenues par des Pakistanais. A droite, le « Barri Gotic » (quartier gothique), quartier noble et ancien de la ville avec ses édifices gothiques, le Palau de la Generalitat, la cathédrale… A tout moment, vous pouvez changer d’univers en bifurquant.

Et si vous êtes encore là au petit matin, il n’est pas rare de voir des noctambules et des prostituées, achevant leur nuit de labeur, croiser des ménagères affairées aux cabas pleins de légumes. Si les Rambles sont aussi emblématiques, c’est qu’elles sont le miroir fidèle de Barcelone, ville-port, télescopage d’espaces interlopes et feutrés, une ville follement vivante, ouverte à tous les vents du monde.

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