01 Août Tren dels Llacs Le “Catalogne Express”
Locomotive à vapeur. Wagons ”un autre temps. Le Train des Lacs possède cette âme de bout du monde. De Lleida à La Pobla de Segur, il faut près de deux heures pour parcourir les 89,35 kilomètres et les 17 gares qui jalonnent le parcours. La ligne est devenue une véritable croisière à travers cette région de Catalogne. En voiture !
Mais pourquoi un train sillonnant une zone encore méconnue, fascine-t-il autant ? Terre hostile autrefois enclavée, la Catalogne occidentale est à l’image du Far West américain, une contrée de conquêtes avec son lot d’aventures et de contraintes. Terrain vierge et sans fin, la voie est libre pour s’imaginer aux premiers jours du monde. Le mot d’ordre est l’évasion. Prolongée jusqu’à Tremp et la Pobla de Segur, la ligne des lacs offre les échos lointains d’un voyage mêlé de tradition catalane, d’invasion arabe et de références templières. Dans le train des lacs, la vérité est ailleurs. Les touristes sont nombreux à se lancer dans ce curieux voyage où le trajet compte plus que la destination.
Un train d’enfer
Précurseur. Près d’un siècle avant la fameuse ligne TGV qui relie Catalogne Nord et Sud, un projet transpyrénéen est déjà lancé dans les années 20. Il doit mener les voyageurs de Lleida à Saint Girons dans l’Ariège. L’état espagnol construit alors le tronçon Lleida – Balaguer, inauguré en 1924. Mais la guerre civile et la seconde guerre mondiale en décideront autrement. La ligne ne passera jamais le Col de Salau. Exit la France. Après Balaguer, la ligne normale dessert notamment les gares d’Agers, de Palau de Noguera et de Tremp, terminus à la Pobla de Segur en 1951. Pourtant, le train à vapeur doit pouvoir passer partout. Alors on draine les marécages, on aplanit les vallées étroites, on dynamite les montagnes. Un travail titanesque : 31 ponts, 41 tunnels dont le plus long, celui de Palau s’étendra sur 3 499 mètres sous la montagne du Mont-Roig. La région du Ponent allait connaître un nouvel essor. Car jusqu’alors, ce territoire sauvage et reculé était essentiellement exploité pour ses mines de sel. La naissance du « Tren dels Llacs » allait littéralement bouleverser cette vision de no man’s land.
Lleida, capitale singulière
Aujourd’hui, le train part donc de Lleida. Avant d’embarquer pour un voyage dans le temps, autant en profiter pour flâner dans ses ruelles vivantes et colorées. Capitale de la culture catalane en 2007, la capitale de la région du Segrià, revendique clairement son identité et sa langue mais elle affirme pourtant à chaque instant son ouverture au monde et se lance avec entrain dans l’aventure européenne. Ville de tradition et de conservatisme, Lleida se veut à la pointe de l’avant-garde. Place financière importante, métropole industrielle, elle est aussi une ville musée dont les principaux édifices appartiennent au patrimoine de l’humanité, classés par l’Unesco. Fièrement cultivée, excessivement colorée et irrésistiblement enjouée, Lleida joue la carte de la singularité. Conglomérat de cultures, habitée depuis l’antiquité, elle a vu se succéder une multitude de peuples. Créée par les Ibères, puis cité romaine, elle entre dans l’histoire pour avoir été au cœur de la bataille entre Pompée et César, laquelle a décidé du futur de l’Empire. S’en suivra la conquête par les Sarrasins. Sa situation stratégique en fait le théâtre de sanglantes batailles. Elle perdra ainsi ses éléments emblématiques : la Paeria, l’Estudi General, ainsi que la Seu Vella, siège de la cathédrale. Après cette époque sombre, la ville a repris son chemin et l’élan caractéristique de ses citoyens l’a convertie en capitale du Ponent catalan. Les ponts et les passerelles sur la canalisation de la rivière du Sègre, le Théâtre de l’Escorxador, l’Auditorium Enric Granados, le Centre d’Art la Panera, le Centre d’Interprétations de l’Ordre du Temple, la construction du Théâtre-Palais des Congrès – la Llotja – ainsi que la récupération des fêtes traditionnelles, des valeurs environnementales et l’équipement des quartiers transforment Lleida en une ville de plus en plus équilibrée, moderne et préparée pour relever le défi du XXIe siècle. Mais ça y est, l’heure du départ a sonné. En cette heure matinale, les volutes de fumée qui en émanent grimpent déjà haut dans le ciel. Le train touristique ne fera que deux arrêts, Balaguer, où la locomotive à vapeur sera remplacée par une locomotive diesel plus rapide, et La Pobla de Segur.
L’homme qui transformait les galets en or
La Pobla de Segur, terminus tout le monde descend. Ce village autrefois enclavé à plus de 500 mètres d’altitude est la preuve du renouveau amené par le train. Les touristes viennent aujourd’hui en nombre pour admirer son architecture moderniste. Un art envoûtant et magique qui invite à l’évasion vers la nature exubérante de cette région. Une symbiose unique entre paysage et urbanisme. A La Pobla de Segur, la complexe Casa Mauri en est le plus bel exemple. Au début du XXe siècle, après avoir fait fortune à Madrid, en exportant le principe de la voûte catalane, Ramon Mauri i Arnalo revient dans son village natal. Pressentant l’arrivée du train, il est bien décidé à donner un nouvel élan à sa région. Il fait alors construire dans sa propriété le moulin à huile de Sant Josep, pour faciliter la tâche des producteurs locaux. Un moulin des plus révolutionnaires à l’époque, car il était le premier à être électrique. Sa maison, la Casa Mauri, est elle aussi avant-gardiste. Ce petit palais résidentiel intègre ses propres styles de matériaux et de décoration. La construction est recouverte de mosaïques. Chaque galet incrusté dans la façade de sa maison a été ramassé dans les rivières environnantes par les habitants du village. L’achat de ces pierres, payées à prix d’or, était sa manière de faire profiter à tous de sa fortune… Actuellement la Casa Mauri héberge le siège de la mairie et son ancien garage l’office de tourisme. La Pobla de Segur est l’endroit idéal pour passer une nuit avant de partir à la découverte des autres joyaux de la région. Bus, taxis et des agences de voyages comme Pirineu Emoció mettent tout à disposition pour faciliter les déplacements des visiteurs.
Des échoppes au parfum d’antan
En termes de valeur et d’attraction touristique, Salàs de Pallars, véritable village-musée, offre un autre voyage dans le temps. Que ce soit par vos propres moyens ou par le système de taxis mis en place par Pirineu Emoció, il faut cinq minutes à peine pour s’y rendre depuis La Pobla de Segur. Les commerces d’antan y évoquent pour chacun de tendres souvenirs. Autrefois, les petits commerces, les étals, les réclames (quand elles n’étaient pas encore publicités) composaient le cadre de vie de personnages souvent pittoresques : l’épicier, le barbier, le pharmacien. Prosaïques pour certains, leur simplicité en avait fait parfois des maximes que nos voisins s’amusaient eux aussi à chantonner. C’était au temps où passé le seuil de l’épicerie, une petite clochette tintait pour signaler l’entrée d’un client. On venait alors « faire ses commissions » dans ces magasins où les étagères en bois supportaient le poids de boîtes empilées les unes sur les autres et alignées en rangs d’oignons. C’était au temps où les boutiques avaient une âme et des senteurs si caractéristiques : la naphtaline chez le marchand de couleurs, le tabac à rouler ou encore la brillantine du barbier… Tout cela n’a plus guère de place aujourd’hui, si ce n’est dans l’imaginaire de ceux qui ont eu la chance d’avoir un aïeul pour leur raconter cette époque.
Métiers oubliés
Conséquence logique. Si l’arrivée du train a permis à la région de s’industrialiser, elle a aussi entraîné la disparition de métiers manuels en manque de rentabilité. Gerri de la Sal, capitale administrative du Baix Pallars, le prouve. Les vestiges des marais salants, façonnés par l’homme dès le IXe siècle, témoignent de l’intense activité qui régnait il y a peu encore autour de la récolte de « l’or blanc ». Fermés dans les années 70, les salins invitent désormais les visiteurs à découvrir l’histoire du sel, ses techniques d’exploitation mais surtout un métier oublié : celui de saunier. Les outils utilisés, les anciennes salines, la maison et le grenier à sel, déclarés « Bien Culturel d’Intérêt National », nous permettent de marcher dans les traces des hommes qui, durant plus de 1 000 ans, ont fait la richesse de cette région. Autre profession millénaire aujourd’hui révolue : celle de radelier. Du Moyen-Age aux années 30, les radeaux de bois, dirigés par ces gondoliers de l’extrême, défilaient sur les rivières pyrénéennes. A La Pobla de Segur, où plus de cent personnes vivaient du flottage, le port prospérait. Les troncs d’arbres alimentaient les arsenaux, les villes de la plaine et les centres industriels pour le chauffage et la construction. Ces embarcations éphémères naviguaient jusqu’à Tortosa. De cet art ancestral reste aujourd’hui une sculpture monumentale et un musée. Le Musée des Radeliers (Museu dels Raiers) du Pont de Claverol dévoile tous les secrets de ce métier et retrace tout le processus de traitement du bois, depuis la coupe des arbres jusqu’à leur arrivée dans les grandes villes de Catalogne. Aujourd’hui il ne reste plus que la « Festa dels Raiers », une spectaculaire descente en rivière sur des troncs d’arbres (début juillet) pour rappeler la dureté de ce métier disparu.
Ligne de vie
Autant le savoir : la région de Lleida cache secrètement et jalousement ses villages de montagne. Capdella, Estany de Montcortès, Peramea… Tous valent le détour, nichés dans des cadres somptueux, hissés dans des endroits improbables, mais où le regard joue à saute-mouton au-dessus des montagnes, des torrents et des ravins pour arriver jusqu’à la plaine et ses lacs. A arpenter les rues pentues, le visiteur comprend mieux l’âpre réalité de ces paroisses, leur repli hivernal sur elles-mêmes, les tempéraments rugueux mais surtout la solidarité… Une trentaine de minutes de voiture séparent la Pobla de Segur de Capdella. C’est une ascension vers le Moyen-Age. Perché sur un piton granitique, ce village en impose par sa majesté. Venelles au pavage irrégulier, sombres passages voûtés et descentes abruptes transportent toujours le visiteur au cœur de la Catalogne médiévale. Aujourd’hui, la vie est devenue un peu trop dure sur ce piton, magnifique mais perdu. Seules sept familles s’y accrochent pendant l’hiver. Isolée comme une île dans sa mer arborée, la bourgade dégage une ambiance particulière, entre sérénité, calme et mystère.
Train de la liberté et du danger, le train des lacs court et s’enfuit. Itinéraire de légende, il représente le cosmopolitisme, le mélange des cultures et le parcours des extrêmes. Entre profondeurs abyssales des lacs, falaises abruptes et pureté d’un ciel azur, reste une certitude : on prend toujours un train pour quelque part…
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