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Collioure : Fêtarde illuminée

01 Août Collioure : Fêtarde illuminée

Mélange de procession chrétienne, de libations romaines, de tournois populaires, les fêtes de la Saint Vincent sont devenues le must des fêtes d’été. Collioure explose !
Née pour séduire, faite pour la fête. Chaque 16 août, Collioure célèbre sa Saint-Vincent. La fiesta préférée des foules irrévérencieuses et des ivresses joyeuses…

On lui a demandé si elle n’était pas un peu folle… Tombée en amour pour la cité des fauves, cette Américaine avait alors choisi d’appeler son fils « Coll », diminutif de Collioure ! Collioure est comme ça. Un concentré d’extrêmes et de superlatifs. Ville de cœur, port d’attache et fleuron de l’indicible beauté. Elle colle à la peau et déclenche d’incommensurables bonheurs étoilés dont elle est certainement la seule à avoir le secret. Coquette et coquine à la fois, Dame Collioure exulte de plus belle chaque 16 août. Aussi délurées et populaires soient-elles, les fêtes de Collioure sont empreintes de puissantes curiosités historiques et d’une indéfinissable trace de libations païennes qui fait plonger leurs racines loin, très loin dans le temps. Ne viennent-elles pas juste le lendemain d’une fête religieuse beaucoup plus sage, la Sainte Marie ?

Collioure4Une fête de la mer et des pêcheurs

Pour comprendre, il faut remonter à l’année jubilaire de 1700. C’est en effet cette année-là, que l’abbé Prat d’Argelès fut envoyé à Rome pour récupérer les reliques disparues de St-Vincent, le saint patron vénéré des pêcheurs de Collioure. Et c’est au matin du 16 août 1701 qu’eut lieu la réception officielle de ces fameuses reliques rendues qui furent d’abord transportées dans la chapelle de l’îlot Saint Vincent où, selon la légende le Saint aurait subi le martyr… Le soir de ce même 16 août, aux alentours de 20 heures, on raconte qu’une grande barque richement parée, illuminée et enguirlandée à bord de laquelle se trouvaient quatre prêtres est allée récupérer les reliques pour ensuite voguer vers le rivage et l’église. Dans l’éclat des milliers de torches aux flammes fauves, dans le vacarme des cantiques hurlés de cette voix rocailleuse des gens de mer, le vaisseau ruisselant de lumière fut remonté par tout ce peuple de marins en folie vers la plage constellée de bougies, de cierges et de torches fumantes. Poussée par la foule processionnelle, noyée par les débordements de joie, la barque s’arrêta finalement devant l’église. Là, les reliques furent déposées en grande pompe sur l’autel de l’église paroissiale. La foule retourna vers le rivage, précédée d’un groupe de musiciens, pour un bal improvisé à la lueur des torches endiablées. Des cris, des soûleries joyeuses et des vivats d’appétits satisfaits, ponctuèrent la fête qui explosa de tout son licencieux paganisme, directement inspiré par Dionysos dont l’ombre tutélaire semble planer sur les vignes.

Des centaines de barques illuminées

Cette procession s’est rapidement dotée d’un rituel précis et spectaculaire à la fois. Il faut s’imaginer des centaines de barques illuminées de lanternes vénitiennes, avançant en cortège autour de la nef sacrée, portant les reliques… Il faut se représenter tous ces pêcheurs nu-pieds, affublés de pantalons blancs retroussés au niveau du genou et ceints de la « faixa » rouge en train d’attendre que le bateau crève le rivage… Dès lors, la Saint Vincent fut renouvelée chaque année à la même date, avec le même éclat et la même force. Malgré la disparition de cette « procession sur mer », les fêtes ont perduré jusqu’à nos jours passant du sacré au profane, d’une Saint-Vincent religieuse à une fiesta païenne en l’honneur de la mer et des pêcheurs. Dès ses premières éditions, des joutes envahissaient le port de Collioure au son du tambour, des « primes », « tarotes » et « gralles » (hautbois catalans). On pouvait encore assister à ces exploits dans les années 50, et plus récemment en 1991 et 1992. Mais entre-temps, d’autres épreuves, d’autres jeux nautiques ont supplanté les traditionnelles joutes. Parmi les temps forts, on retiendra la traversée du port à la nage, les concours de plongeons, les matches de water-polo, le mât de Beaupré ou encore le jeu de la valise. Une épreuve qui obligeait les participants à se jeter dans la baie de Collioure avec une valise remplie d’effets féminins qu’ils devaient revêtir avant de regagner la plage ! On se souviendra également du jeu du « sac de Monte Cristo » qui consistait à se laisser enfermer dans un sac avant d’être jeté à la mer et de devoir se libérer… Jeu du tonneau, du baquet, course au canard ou au cochon… jeux de force ou d’adresse, épreuves sportives ou comiques, c’est toute une cité qui s’enflammait pour la fête du 16 août.

Collioure3L’héritage du vieux Fisso

Aucun gamin ne manquait les « jocs del Fisso », du nom de ce vieux pêcheur du village qui les avait instaurés. On tirait à la corde avec les cordes d’amarrage des barques catalanes, on grimpait le mât de cocagne au sommet duquel pendaient tablettes de chocolat, boîtes de biscuits, saucissons et autres confiseries. D’autres enfants préféraient, quant à eux, participer au jeu des poêles à frire, suspendues à des portiques avec des pièces de monnaies collées sur leur fond noirci qu’il fallait détacher avec les dents. Le répertoire du « Fisso » comprenait aussi le jeu de la chance ! Les yeux bandés, on faisait tourner les enfants jusqu’à ce qu’ils en perdent leur sens de l’orientation. Déboussolés, munis d’un gourdin de bois, ils devaient alors briser un pot en terre suspendu à un portique, dans lequel se cachait parfois un lapin vivant ! De cette quantité de jeux et d’épreuves, on a gardé la traversée de la baie à la nage sans palme ainsi que le lâcher de canards, le mât de Beaupré et les régates de « llaguts de rems », lors desquelles les rameurs s’échinent en aller-retour, autour des bouées. De ces ancestrales traditions, il reste aujourd’hui avant tout un état d’esprit. Celui du défi et de la bonne humeur.

Une formidable explosion pyrotechnique

Comme pour faire dialoguer le ciel et la mer, c’est en réalité le traditionnel feu d’artifice qui, au fil des années, s’est imposé comme le moment phare des fêtes de Collioure. Comme une résurrection des feux de la fin du XIXe siècle dont on trouve trace dans le récit de Paul Sériziat et du Docteur Soulié : « Des fusées traversent le ciel, mille cris vous étourdissent et la grande masse sombre du château d’un côté, de l’autre la vieille tour qui allonge dans la nuit sa silhouette fantastique, achèvent le cadre de cet étrange tableau. Cependant les explosions redoublent ; du haut du Miradou, des fusées éclatent, d’autres s’élancent de Saint-Elme et de la redoute Dugommier. Le ciel tout entier s’illumine, l’enthousiasme est au comble et des cris frénétiques saluent les acteurs haletants de ce spectacle extraordinaire. » Toujours plus somptueux, toujours plus sophistiqués, les feux de Collioure attirent chaque année des dizaines de milliers de spectateurs. Pas une colline qui ne soit envahie, pas un rocher qui ne soit inoccupé, pas un seul bout de terre qui ne soit réservé dès le matin de cette extraordinaire fête pyrotechnique. Pour les feux, le porte-monnaie de la municipalité est capable de se démultiplier. Ainsi, on n’hésite pas à faire appel aux meilleurs artificiers tels que les Ruggieri, Lacroix ou Couturier. C’est, à chaque fois, l’émerveillement. Dans cette nuit magique du 16 août, le château s’embrase sous les cascades dorées, les étoiles multicolores jonglent de milles gerbes dans une formidable mise en scène musicale. Plaisir des yeux, bonheur du cœur. Pour le 14 août, jour de l’ouverture officielle des fêtes, on tire encore et toujours trois coups de canon du haut du Fort Miradou. Et chaque année, le maire de Collioure remet symboliquement les clés de la ville à une personnalité à la fibre colliourencque affirmée. On a ainsi vu la chanteuse Dani, Pascal Comelade ou encore Jordi Barre être chargés de veiller sur la ville pendant les quatre jours de festivités.

Collioure1De la corrida aux bodegas

De défi, de ferveur, de feux et de joie, les fêtes de Collioure ont longtemps été intimement liées à la corrida. La forme la plus ancienne de tradition taurine à Collioure est en fait le « corre-bous ». Il s’agissait simplement de lâcher un bœuf dans la rue, retenu par une longue corde attachée à ses cornes. On faisait courir ces animaux destinés à la boucherie avant qu’ils ne soient tués, afin, disait-on, de vérifier leur bon état de santé. Progressivement, le « corre bous » a évolué vers la corrida qui chaque année remplissait les arènes. Un aficionado aussi averti que pouvait l’être Pablo Picasso ne manquait d’ailleurs jamais de venir à Collioure assister aux deux corridas et novilladas des 15 et 16 août. Le peintre ayant même fait l’honneur aux organisateurs de présider celle de 1951. C’est aujourd’hui un temps révolu, Collioure ayant renoncé à ses corridas. Peut-être un retour du corre-bous ou bien, une transition vers la corrida portugaise, sans mise à mort ? L’avenir nous le dira.

Le débordement de catalanité

Et parce que les fêtes de Collioure ne savent pas faire dans la demi-mesure, c’est dans les ruelles de la ville, sur le Boramar et au pied du château royal qu’elles retentissent le plus fort. Sériziat et Soulier (1878) décrivent parfaitement cette atmosphère de débauche et de « danses que la surexcitation du moment rend tout à fait délirantes. L’orchestre catalan où domine la voix pénétrante du hautbois exécute des mélodies singulières, fortement rythmées. Autour des grands platanes, une ronde immense tourbillonne, les couples enlacés bondissent, les lanternes vénitiennes pleuvent en fragments enflammés, les cris de joie montent jusqu’au ciel ; c’est l’ivresse d’un peuple affolé de mouvement et de bruit, c’est du délire… » 130 ans plus tard, rien n’a changé ! Même tourbillon, même excitation, même délire. Si les touristes sont largement représentés parmi le public des fêtes, les Colliourencqs restent encore viscéralement attachés à « leurs » fêtes. Comme eux, ce sont d’ailleurs tous les Roussillonnais qui se pressent aux portes de la cité des fauves pour un débordement sans borne de leur catalanité. Evidemment, les sardanes sont de la fête. Nul doute que Charles Trenet, en écrivant sa chanson pensait à Collioure ! Et qui n’a pas son « bandana » de l’année autour du cou ou sur la tête, n’est pas digne de la feria de Collioure ! C’est comme ça. Ici, les rituels et les codes de fête se respectent. Quelques verres de pastis corsé, peut-être un Pontarlier aux Templiers en hommage à l’ami Jojo trop tôt disparu, puis on passe à l’allègre sangria sans oublier d’éponger avec la « rouste » grillée que l’on trouvera dans l’une des bodegas surplombant le Douy. Sûrement pas là pour faire pénitence, les fêtards qui osent se frotter à la bamboche colliourencque et qui auraient abusé de la dive bouteille, ceux dont le crâne garderait, imprimé en technicolor et sans stéréo, le souvenir vivant du feu d’artifice savent qu’ils peuvent quitter la ville par le train, jusqu’au petit matin.

1Commentaire
  • Jordy Adell
    Posted at 18:19h, 04 juin Répondre

    Tant de souvenirs qui remontent à ma mémoire en lisant ces lignes… (je n’ai que 76ans ) pas vu Picasso à Collioure ..mais plus tard à Ceret.. vu aussi Charles Trenet…
    Mais le souvenir le plus fort est celui de ces jeux de “Feste Major” la panne mascarade..la figarette.. la curse al canart..etc..
    Et les feux d’artifice que mes yeux d’enfant émerveillé ne peuvent et ne pouront jamais oublier..!!!
    Oui ..ces fêtes de la St Vincent resteront pour le Banyulenc que j’étais ..un SOUVENIR IMPÉRISSABLE..!

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