04 Déc Dolços de Nadal
De l’Avent à la fête des Rois, les Noëls catalans font une large place aux gourmandises : coques, tortells, amatllats, rousquilles, tourons et mendiants font la joie des tablées amicales et familiales
Et voici Noël qui approche à pas feutrés, avec ses nuits promptes à assombrir les rues, ses bougies qui dessinent un monde magique de sapins et de rennes, son peuple silencieux de santons qui envahissent pessebres (crèches) et églises. Voici le temps béni où l’enfance se partage, où les cœurs s’ouvrent doucement devant le chant du feu au creux des cheminées. Un temps de tradition et de douceur. Un temps de gourmandise et d’indulgence. Noël c’est tout cela à la fois, comme un ticket de retour annuel au paradis perdu. Et dans ce paradis, bonbons, chocolats et desserts sont incontournables !
Le Caga Tió, incontournable
D’abord, revenons aux fondamentaux. Si le Père Noël investit peu à peu les foyers catalans, c’est un usurpateur qui a le plus grand mal à s’imposer au sud de la frontière ! La vraie fête de Noël catalane se déroule en deux temps pour les enfants. D’abord le Caga Tió : pendant l’avent, on prend une grande bûche de bois, on la creuse, on lui donne figure humaine, on l’orne d’une barratina (coiffe traditionnelle catalane) et chaque jour, on la fourre de bonbons et de chocolats avant de la recouvrir d’une petite couverture pour qu’elle ne prenne pas froid. Le jour de Noël, les enfants battent la bûche avec un bâton en chantant « Caga tió, tió de nadal ; no caguis arengades que són salades, caga torrons, que són mes bons. » Traduisons : « Chie Bûche, Bûche de Noël ; ne chie pas des sardines, elles sont salées, chie plutôt des tourons, c’est bien meilleur ». Ils vident alors la bûche de ses bonbons et les dégustent. En Catalogne du nord, ce sont les écoles catalanes qui maintiennent cette tradition multiséculaire.
Les Rois et leurs cadeaux
L’autre grand événement, pour les enfants catalans, comme pour toute la péninsule ibérique c’est l’épiphanie, lorsque les rois mages apportent les cadeaux de l’année, comme ils avaient apporté à Jésus de la myrrhe, de l’encens et de l’or. Parler de Noël en Catalogne c’est donc prendre en compte une période qui va de la Sainte Lucie, le 13 décembre, aux Rois, le 6 janvier. Les repas de famille sont nombreux : au réveillon de Noël et au traditionnel repas de midi, il faut ajouter la Sant Esteve (le 26 décembre), qui est généralement l’occasion de faire le tour de la famille ou d’inviter des parents plus éloignés, les fêtes de Cap d’Any (jour de l’an) et bien sûr les Rois qui clôturent en beauté ces trois semaines de fête.
Les fruits secs à l’honneur
Et c’est une période faste en matière de gastronomie et en particulier de douceurs sucrées. Partout, c’est le moment des « postres de capellà » ou « postres de músic », le règne des fruits secs : noisettes, amandes, noix, noisettes, figues et raisins secs. Ceux-là même, que dans la chanson de Noël, les bergers et petites gens apportent au « noi de la mare » (fils de la Vierge), le plus souvent accompagnés d’un bon verre de vin doux naturel, moscatell ou muscat. Ils font partie aussi des treize desserts traditionnels.
La tradition avant tout
Au hit-parade aussi, les « panellets » ces délicieuses boules de patate douce ou de pâte d’amandes surmontées de pignon , et les « pastissets », un gâteau très prisé du côté de Tarragone, parfumé d’anisette et d’huile d’olive et délicieusement fourré de confiture de pastèque et d’orange. Dans toutes les maisons, pour accompagner le café servi aux amis, on confectionne des « mantecados », des biscuits secs aux amandes, assez proches de nos croquants et des « ametllats », une sorte de macaron à l’irrésistible parfum d’amande douce qui permet de nombreuses variantes : au chocolat, à l’orange… Ou encore des « rotllets » (petits rouleaux) à l’anis ou aux agrumes, des « neules » (sortes de cigarettes russes) ou de délicieux beignets de pomme ou de banane à la cannelle. Au nord, les rousquilles accompagnent de leur blancheur douce et tendre ces moments uniques. Bien sûr, dans ce haut moment de tradition, chaque comarca (région) mange en priorité ses pâtisseries les plus identitaires, faites à la maison, pour célébrer bien plus encore que la nativité : la transmission tranquille, de génération en génération, des mêmes gestes, des mêmes goûts, de la même ferveur.
Les coques fidèles au poste
Reines de la table catalane, les coques ne sont pas en reste et d’abord la « coca de Nadal », une boule odorante à la pâte levée, parfumée à l’anis et à l’orange et aux pommes, parfois surmontée de fruits confits qui serait originaire d’autres terres catalanes, celles de Majorque. Un délice. Plus rustiques, mais tout aussi délicieuses, les « coquetes de sagí » confectionnées avec du saindoux qui rappellent étrangement le plum-pudding et sa graisse de porc. Bien sûr, honneur aux jardins avec les coques inspirées des fruits de l’hiver, des agrumes et des fruits secs avec la plus célèbre, sans doute, la « coca de nous i panses », avec des noix et des raisins secs. Un must.
Tortell ou galette ?
Pour les Rois, deux types de gâteaux se disputent le haut de l’affiche. Le vainqueur incontesté, c’est bien sûr le tortell, ce tourteau parfumé à l’anis, à la cannelle, à l’orange ou à la fleur d’oranger, moelleux à souhait, décoré de grains de sucre et parfois de motifs fleuris dessinés avec des fruits confits. Mais dans un pays qui a fait de l’amande l’impératrice des desserts, la galette à la frangipane, quoique plus française, s’impose comme un sérieux outsider. Un conseil, optez pour les deux. D’ailleurs, vous y trouverez une fève symbolique, une figurine qui vous permettra d’être couronné, mais aussi une vraie fève, qui vous imposera, elle, de payer une nouvelle galette ou un nouveau tourteau.
Le chocolat en majesté
Evidemment, impossible de passer sous silence le chocolat intégré dans les recettes, décliné en bonbons, en rochers, râpé sur les bûches, servi simplement fondu avec du pain grillé pour des petits-déjeuners de fête ou nimbant de brun des tranches d’oranges confites. Les gâteaux, bûches, roulés, glaces le déclinent à l’envi, souvent parfumé de rhum ou de whisky. Pour autant, ne perdons pas de vue qu’il s’agit là d’usages et de goûts nouvellement importés. De plus en plus, la Catalogne se met à l’heure des ballotins de chocolat offerts à l’occasion de Noël aux proches ou aux relations professionnelles, mais ils ont affaire à forte concurrence. Si forte en effet que rien au monde, en Catalogne ne peut s’y mesurer : le touron.
Star incontestée : le touron
« Nadal sense torró no és festa per a ningú : Noël sans touron n’est une fête pour personne ». Tout est dit. Quand j’étais petite, les écoles de Catalogne du nord servaient aux enfants à l’occasion de Noël un goûter invariablement composé de mandarines ou d’oranges et d’une part triangulaire de touron « Alicante » bien blanc et bien dur dont la pâte compacte collait aux dents. Du miel, des fruits secs, des blancs d’œufs et mille ans de savoir-faire et le tour est joué ! Il y a l’indétrônable touron de Jijona aux amandes broyées qui s’accompagne si bien de l’acidité des clémentines, le « llema » à la crème et à l’œuf, doré comme une crème brûlée, le « massapà » aux amandes et pignons farci de fruits confits, le touron noir aux saveurs de caramel brûlé… Mais on en trouve aussi au chocolat, à la noix de coco, à la fleur de sel, au piment d’Espelette… Solide pilier des traditions catalanes, le touron est devenu un véritable terrain de jeu pour les créateurs !
Les fruits, l’or du jardin
Enfin, n’oublions pas les fruits et surtout les agrumes qui viennent ensoleiller les feuillages au cœur de l’hiver et surtout le raisin, indispensable auxiliaire des repas de Nouvel An. Aux douze coups de minuit, il faudra vous concentrer et bien préparer votre gorge avec une lampée de moscatell bue au porró. Si vous voulez que l’année soit faste, il vous faudra avaler un grain de raisin à chaque tintement, sans faiblir. Alors ce raisin vous donnera la première joie de l’année, la permission de déguster un bon verre de cava !
Per molts anys !
Noël en Catalogne, c’est un monde de douceur, un moment de retour aussi, à la tradition et à la famille. Les gourmandises de Noël sacrifient peu aux sirènes de la mondialisation et célèbrent au contraire ces racines paysannes, marquées par la rencontre avec l’Orient, qui font de la cuisine catalane l’une des meilleures du monde. Bon profit, bon nadal i bon any nou !
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