30 Juil AQUELARRE, LES CHARMES DU COTE OBSCUR
Déluge de feu et de lumière, défilé de démons, chars d’apocalypse peuplés de sorcières lubriques rassemblées autour du « Mascle Cabró ». à Cervera, basculez dans le côté obscur de la force !
Tous les mois d’août, Cervera devient l’étrange capitale du royaume des ténèbres. Peuplée de diables et de sorcières entraînés par le Mascle Cabró, une sorte de bouc anthropomorphe à l’énorme sexe turgescent, Cervera célèbre son Sabbat au nom basque : l’Aquelarre. Cette fête débridée, dure depuis 1978, date du début de la transition démocratique, après quarante ans de franquisme. Elle s’est imposée comme l’une des plus courues de l’été catalan. Le centre de gravité de l’Aquelarre reste la vieille université de Cervera avec sa sublime architecture baroque.
Vous avez dit ésotérique ?
Là où se bousculaient et se bousculent encore les étudiants un livre à la main, des stands s’installent, colorés. Ici, derrière un rideau transparent, un chiromancien dit la bonne aventure à deux jeunes filles. Juste à côté, ce sont les cartes du tarot qui dessinent sur la table un arc de prédictions. Quelques adeptes du Yi King croisent des chamans tout droit venus du monde amérindien, tandis qu’une affiche annonce des prédictions précises grâce au pendule. Divination et ésotérisme font bon ménage. Des marchands de pierres semi-précieuses aux propriétés étranges, des fabricants de bijoux ou de bâtonnets d’encens, des vendeurs de jeux de cartes tiennent étal. à l’étage, dans les anciennes salles de cours de l’université, les conférences se succèdent devant un public nombreux. Tout un côté de la cour est réservé à des tables conviviales, faites pour se sustenter ou se rafraîchir. Elles sont prises d’assaut. D’ailleurs, les stands gastronomiques ne manquent pas. Cette joyeuse manifestation a un nom, la Fira del Gran Boc, la foire du grand bouc, symbole de fornication depuis la nuit des temps. Sur la belle esplanade, devant l’université, des buvettes se sont installées, tandis que tous les bars du centre-ville affichent leur participation à la fête. L’effervescence est totale. Un peu partout, dans l’enceinte des remparts où se blottit la ville haute, des scènes sont installées à la faveur d’une placette ou d’un renfoncement.
Liesse collective
La musique, ou plutôt les musiques sont au cœur du mystère avec une programmation qui va de la pop rock à l’électro, du traditionnel au folk et se décline en concerts absolument gratuits. Les gens se parlent sans se connaître, simplement heureux de partager un moment de fête. Dans une obscure ruelle, en pente, une sorte de grotte accueille une pièce de théâtre, évidemment consacrée aux bruixes. Il flotte sur la ville comme un air d’Halloween et de carnaval réunis. Le feu est l’un des éléments clés de l’Aqualarre, ce qui fait des Diables, les acteurs essentiels des festivités. Le soir venu, une foule dense et impatiente se masse sur la place devant l’université.
Bienvenue en enfer
Les fenêtres de la belle façade baroque – plus d’une cinquantaine – sont illuminées, irisées, colorées et se lancent dans une sorte de ballet effréné de couleurs et de volumes, chaque ouverture s’embrasant tour à tour pour dessiner une sorte de feu d’artifice à plat sur la façade, au rythme de la musique. La foule est maintenant silencieuse, émerveillée. Aux fenêtres apparaissent des sorcières. Ce n’est pas du tout la version Blanche Neige. Point de vieilles à chignon et à verrue, mais de belles créatures tentatrices, allumeuses. On est à la fois dans un dessin animé et dans le quartier rouge d’Amsterdam. Une sorte d’impatience furieuse gagne la foule. Tout le monde regarde l’énorme porte de bois, suspendu à la serrure imposante. Elle finit par s’ouvrir lentement pour laisser passer les diables en plein délire, couronnés de lumière, torches en main, un vrai ballet infernal que l’on dirait sorti d’un tableau de Bosch. Beaucoup de gens sortent de leur poche des boules Quiès, les femmes nouent sur leur tête un foulard, les hommes arborent des couvre-chefs variés, qui vont de la casquette au bob. Sage précaution. Gare aux bras et aux crânes nus !
Un rite païen
Derrière les diables, qui continuent leur folle farandole, arrive une sorte de char, représentant un énorme dragon sur lequel est juché le Mascle Cabró en triomphale érection, entouré de sorcières, vestales étranges d’un culte vieux comme le monde. De l’autre bout du village, du côté opposé à ces enfers sortis de l’université, arrive lentement une sorte de vaisseau fantôme aux voiles affalées, gréé de draps blancs déchirés. Il est chargé d’âmes en perdition que l’on devine vouées à tomber du côté obscur pour rejoindre le ballet débridé des sorcières et des diables. La foule suit alors le char du Mascle Cabró dans les rues de la ville, au son de la musique et des pétards. C’est une foule immense, plusieurs dizaines de milliers de personnes venues de toute la Catalogne et au-delà.
L’escorreguda
Le cortège s’arrête sur une sorte de scène montée au-dessus des remparts qui surplombe la partie basse de la ville. Dans un délire de musique et de feu, le bouc monstrueux éjacule symboliquement sur la foule au-dessous et l’arrose d’eau et de feu, c’est l’escorreguda. On a l’impression de revenir à l’origine du monde et de participer à un rite païen venu du fond des âges… La magie de la ville médiévale, les symboles sexuels immémoriaux, les concerts de haute tenue et surtout, l’atmosphère de liesse populaire qui règne partout, font de l’Aquelarre un moment inoubliable, comme un carnaval puissance dix, en plein cœur de l’été.
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