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Argelès-sur-mer, l’autre visage d’un géant de l’été

03 Oct Argelès-sur-mer, l’autre visage d’un géant de l’été

Argelès-sur-Mer, en automne, redevient village. Un village catalan enraciné dans sa terre, bercé par les Albères et le roulis discret de la mer. L’arrière-saison devient un dialogue intime avec les lieux, les pierres, la nature et les âmes. Argelès révèle alors ses racines profondes pour séduire ceux qui goûtent aux silences habités et au slow tourisme.

“Qui s’hi acosta té resposta” – (Qui s’en approche obtient une réponse). La devise inscrite sur le tout premier blason d’Argelès conserve aujourd’hui encore toute sa pertinence. À Argelès-sur-Mer, chacun le découvre à sa manière : s’en approcher, c’est être touché. Ce village catalan d’à peine 11 000 habitants, capable d’accueillir jusqu’à 150 000 estivants en haute saison, agit comme un révélateur. Il surprend, il imprègne, il apaise. Mais pour savourer Argelès, rien ne vaut la lenteur rousse de l’automne, cette période « effaceuse » des pas pressés de l’été. Il faut oser tourner le dos à la station balnéaire, championne nationale du nombre de campings. Il faut percer cette énigme catalane, entre le tumulte des mois chauds et la beauté nue des saisons oubliées. Il faut prendre de la hauteur et courir le risque d’une nature toujours recommencée.

Quand Dame Nature met les bouchées doubles 

Si, si, vous avez bien lu : s’offrir Argelès-sur-Mer en automne est une obligation. Il faut, plus que jamais, rendre hommage à Dame Nature qui, comme le dit si bien Bernard Rieu, historien aussi passionné que passionnant : « Elle a particulièrement bien gâté Argelès-sur-Mer. Ici, la côte sableuse et l’extrémité orientale de la chaîne des Pyrénées se baignent en un même lieu de Méditerranée. En termes de biodiversité, de richesse et de beauté de l’environnement, Dame Nature a mis les bouchées doubles ! Tant et si bien que, chose exceptionnelle dans une même commune, deux Réserves Naturelles Nationales y ont été consacrées. L’une, en bord de mer, est la Réserve Naturelle Nationale du Mas Larrieu. L’autre, sur les hauteurs de la commune, au pied de la tour de guet de la Massane, s’étale : c’est la Réserve Naturelle Nationale de la forêt du même nom, élevée au très prestigieux et honorable rang de site inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. » Quand l’automne embrase Argelès-sur-Mer, la lumière d’or et de cuivre invite à gravir les chemins. Là-haut, à 134 mètres, Notre-Dame-de-Vie veille, drapée d’histoire et d’horizons infinis. La Méditerranée miroite à ses pieds, les Albères se dressent dans un silence de cathédrale. On vient y chercher un souffle de paix, l’odeur sèche des pierres chauffées au soleil de fin d’année. Plus haut encore, la fameuse hêtraie de la Massane, sanctuaire inscrit à l’Unesco depuis 2024, déploie sa voûte rousse dans un murmure de feuilles centenaires. Située à l’extrémité orientale du massif des Albères, elle s’étend depuis 150 ans sur 300 hectares et abrite plus de 12 000 espèces recensées.

Véritable laboratoire scientifique à ciel ouvert, cette station de référence en zoologie contribue, depuis plus de 50 ans, à l’étude de la biodiversité et du changement climatique. En contrebas, au bord du Tech, la Réserve du Mas Larrieu, classée zone humide Natura 2000, s’ouvre comme un jardin secret de dunes blondes, de roselières bruissantes et de prairies salées. Les immortelles, sentinelles parfumées, saluent l’aube dans une explosion d’arômes. C’est le mariage rare de l’eau douce et salée, un royaume pour les hérons, les papillons et les plantes des confins. Alanguie sur 160 hectares de paysages préservés, elle offre une mosaïque de milieux naturels exceptionnels. Depuis les berges du Tech, le regard accroche le majestueux pic du Canigó. Cet espace constitue l’un des derniers sites naturels encore sauvages du littoral roussillonnais, un lieu incontournable pour les amoureux de nature et les passionnés d’environnement, témoin vivant de la richesse écologique du territoire. Sentinelle immobile, la tour de la Massane veille, quant à elle, sur la mer depuis huit siècles. Pour l’atteindre : douze kilomètres d’effort, jalonnés de dolmens oubliés, d’abris de pierre, de vents qui sifflent et de pins qui s’accrochent.

Une capitale redevenue village

Là-haut, la récompense est une vue qui coupe le souffle. Pour parfaire le tableau, rien ne vaut une immersion au cœur d’un parc aux allures de conte. C’est là que le château de Valmy, œuvre du génial architecte danois Petersen, déploie ses jardins de six hectares, constellés de fontaines et de sculptures, sous l’ombre des pins parasols. Argelès en automne, c’est l’art de vivre au rythme lent, dans une nature qui parle bas, mais dit tout. Argelès en automne n’est plus une station balnéaire en effervescence, mais un vieux village qui retrouve son âme. Car Argelès-sur-Mer, avant d’être la capitale de l’hôtellerie de plein air, était un hameau d’agriculteurs au pied des Albères, un modeste village qui sent la pierre. Le vieux village d’Argelès, circulaire, entouré de ce qui reste de ses remparts, respire l’histoire médiévale. Son église Notre-Dame del Prat, datant du XIVe siècle, conserve un clocher-tour en briques, unique dans la région. Autour, il est des rues qui s’ouvrent comme des pages jaunies d’un livre catalan d’autrefois. Dans le cœur ancien, la rue de la Liberté serpente entre façades ocres et persiennes délavées. Elle conduit vers la place Saint-Côme et Saint-Damien, où l’église dresse son clocher. Les terrasses de café débordent sur les pavés, et l’air porte encore et toujours le parfum des marchés traditionnels du mercredi et du samedi matin, autour de la place de la République. La rue du 14-Juillet, quant à elle, déroule son ruban étroit, ponctué de voûtes et de balcons fleuris, jusqu’à la place Gambetta. Quand le soleil décline, c’est vers la rue des Remparts qu’il faut marcher. L’ombre s’y glisse avec douceur, comme pour protéger les vieilles pierres. Enfin, la place de la République, théâtre intime sous les platanes centenaires, où quelques habitants esquissent encore la ronde lente de la sardane. Les pas sont plus lents, la musique plus tendre, comme si la saison elle-même soufflait dans la cobla. Si vous vous promenez dans le village, faites un détour par la Casa de l’Albera, une maison traditionnelle entièrement rénovée. Elle retrace le territoire d’Argelès et du massif des Albères : histoire, culture, patrimoine immatériel et savoir-faire. Et s’il restait encore un endroit à explorer, ce serait Le Racou, ce petit bout de monde entre terre et mer. En catalan, son nom signifie « recoin ». C’est aussi le point précis où les Pyrénées plongent dans la Méditerranée, donnant au site des allures de « bout du monde ». Son histoire commence dans les années 1920. À cette époque, le maire d’Argelès encourage l’installation de familles modestes en leur louant de petites parcelles. Peu à peu, des maisonnettes blanches, séparées par des allées de sable, dessinent le paysage pittoresque que l’on connaît encore aujourd’hui. Dans les années 1950, alors qu’Argelès succombe aux sirènes de l’effervescence estivale, les habitants du Racou se sentent oubliés. Fiers de leur identité, ils décident le 14 juillet 1957 de s’autoproclamer « commune libre » et adoptent une devise pleine de panache : « La grandeur d’un pays ne se résume pas à l’étendue d’un territoire. » Sur le modèle de Montmartre, le hameau se dote d’un maire et les rues sont rebaptisées en catalan. Les plaques en témoignent encore aujourd’hui, avec des noms hauts en couleur comme les pardals (moineaux), les cardines (chardonnerets) ou la patacada (bourrade). Ce geste audacieux symbolise un esprit d’initiative, de créativité et d’indépendance, auquel prit part le chanteur Jordi Barre, figure emblématique de la communauté. Hors saison, Le Racou retrouve son visage secret : ruelles sablonneuses, volets clos et murmure du ressac. Un décor simple et poétique, préservé de l’agitation. Aujourd’hui, la carte postale a changé. Les prix de ce petit paradis se sont envolés, mais le charme demeure intact. Le Racou reste une pépite, un refuge hors du temps, où l’authenticité catalane se conjugue à la douceur méditerranéenne. Entre la mer et les Albères, Argelès-sur-Mer garde à l’automne la voix claire d’un poème. Elle chante encore et toujours, avec pudeur et fierté, le serment d’une terre respectueuse de l’environnement et tournée vers demain.

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