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Baix Llobregat : Sillons d’indépendance

02 Mar Baix Llobregat : Sillons d’indépendance

Fini la réputation de région industrielle de Barcelona. Le Baix Llobregat
fait voler en éclat tous les clichés. Comme si l’aéroport du Prat de
 Llobregat lui avait donné des ailes, la “comarca” se démarque. Véritable
 havre de paix, fière de son delta, de ses produits de la terre, de sa
 nature insoupçonnée et de sa riche culture, la région du Baix Llobregat 
n’est ni plus ni moins qu’’une claque !
Baix2Une véritable surprise…

Dire que les terres du Baix Llobregat sont une
surprise relève forcément des poncifs du jargon touristique. Trop facile,
direz-vous. Et pourtant, cette comarca-là a vraiment quelque chose qui
tranche et dérange. Imaginez un instant que le delta du Baix Llobregat 
est considéré comme une des plus belles zones protégées de toute
l’Espagne. Si l’on vous dit en revanche que cette zone jouxte l’aéroport 
international du Prat de Llobregat, vous êtes en droit de vous demander
 s’il ne s’agit pas d’un mirage. Et si les colonies d’oiseaux n’étaient 
finalement pas ces énormes avions, en partance vers les quatre coins du
 globe. C’est là tout le paradoxe du Baix Llobregat… Le gigantisme d’un
 aéroport ceinturé par des espaces naturels totalement inattendus.
 Bienvenue en terre mystère. Une terre certes colonisée par une
 multitude d’industries. C’est en effet ici, notamment à Martorell que le
constructeur automobile Seat a établi son siège et son centre 
de recherche et de développement. C’est dans cette même ville qu’est 
implanté le complexe chimique Solvay qui produit principalement du 
PVC. Dans les années 60, on avait ainsi l’image d’une région qui parlait métallurgie, chimie, agro-alimentaire et industrie textile. Les temps ont
 bien changé. « On a mis les piles ! » disent aujourd’hui les Baix
Llobregatins. Des habitants qui se sont démenés pour faire valoir leur
propre identité. Pour se départir de cette étiquette de « région dortoir »
qui a longtemps vécu dans l’ombre de la capitale. Force est de constater
que le virage fut brutal et génial à la fois. Impossible de faire disparaître
un aéroport international du paysage. Qui plus est quand on sait qu’il est 
générateur d’emplois. Impossible de rayer les usines de la carte. Dès 
lors, que reste-t-il ? Beaucoup d’atouts longtemps inexploités. A 
commencer par ce delta, cette plaine fluviale irriguée par le Llobregat.
 Considéré comme l’une des trois zones humides parmi les plus
importantes de Catalogne, le delta du Llobregat abrite une vingtaine 
d’habitats naturels d’intérêt communautaire européen et conserve une
extraordinaire diversité de variétés végétales, dont 22 espèces
 d’orchidées ! Sans oublier qu’il est devenu un « spot » privilégié 
pour l’observation des oiseaux dont on a répertorié pas moins de 360 
espèces. Un record pour la péninsule ibérique. Point stratégique de la 
route migratoire des oiseaux entre l’Europe et l’Afrique, le delta s’affiche 
comme une « Global Important Bird Area ». Au point de voir débarquer des
 « birdwatchers » du monde entier à l’aéroport, juste pour voir telle ou 
telle espèce, à un moment donné de l’année. Clic clac et ils s’envolent. Et
 c’est dans ce delta, entre marais et étangs, pinèdes et dunes, que
promeneurs et cyclistes affluent tous les jours de la semaine. Conférant
à ce vaste espace des airs de parc à oxygène royal ! Il est étonnant de
voir ces visiteurs avides de nature, observer les oiseaux à la jumelle,
avant d’enfourcher leurs vélos pour rejoindre l’un des trois miradors
 spécialement conçus pour regarder les avions atterrir. Singulier 
paradoxe d’une zone où cohabitent également agriculture intensive et
aire aéroportuaire. Plus près de la mer, depuis 2010, le centre de récupération des animaux marins (CRAM) se visite aussi. Valorisation des espaces naturels, valorisation des produits de la terre. Et obstination à montrer et à prouver au visiteur à quel point le fleuve 
Llobregat a façonné le paysage, transformé l’économie et marqué 
l’identité des habitants de la région.

Baix4La nature. Toujours elle. Omniprésente.

Elle défie obstinément les cheminées des usines. Le delta, les champs, et la montagne. Celle des massifs de Collserola, du Garraf , de l’Ordal et de la chaîne de
Montserrat. Les sentiers de randonnée pullulent. Majestueux contrepoints à la façade littorale. Au nord du Baix Llobregat, surprise de la nature par excellence, les grottes de salpêtre de Collbato creusées au cœur même de la montagne magique et mythique de Montserrat. Un monde souterrain extraordinaire, formé de galeries sur plus de 500 mètres. Stalagmites, stalactites et colonnades fascinent instantanément le visiteur qui osera d’abord affronter les centaines de marches incrustées à flanc de roche, avant d’accéder à l’entrée de cet univers méconnu, source d’inspiration de Gaudí et de Russinol. Tout près de Collbato, à 
Esparraguera, la Colonie Sedo fait partie de ces incroyables cités textiles qui parsèment la région. Il en existait une centaine dans toute la Catalogne. Toujours implantées à proximité immédiate des fleuves. C’est ici, sur les abords du Llobregat, dont l’énergie hydraulique reste le moteur économique par excellence, que ces petits villages, construits hors agglomération urbaine, ont accueilli des milliers d’ouvriers spécialisés dans le textile. Ils avaient là leur propre école, leur assistance médicale, leur économat et même leur église. Des microcosmes autonomes très actifs entre 1880 et 1928.
Aujourd’hui, orphelins de leur activité, il ne reste plus que les habitations et les cheminées de l’usine. Le meilleur exemple reste celui de la colonie Güell à Santa Coloma de Cervello. Plus qu’une cité textile, un bijou architectural où le maître Gaudí a érigé la fameuse crypte église dont le langage architectural préfigurait alors celui de la Sagrada Familia. Ruralité, nature et labeur, comme autant de valeurs qui ont forgé l’âme et les esprits du Baix Llobregat. Il n’est ainsi pas étonnant de voir que l’une des fêtes les plus prisées dans la région est la Fira de la Candelera. Célébrée à Molins de Rei depuis 163 ans, cette foire a même été déclarée « Fête traditionnelle d’intérêt national » en 2002. Parce qu’aucun autre événement n’est aussi emblématique que la Candelera. Une foire éminemment agricole, qui, chaque année attire plus de 500 000
 visiteurs le premier week-end de février. A l’origine, la Candelera était ce jour spécial du 2 février, une date située exactement entre le 21
décembre, solstice d’hiver, et le 21 mars qui marque l’équinoxe de printemps.

Baix3D’importants marqueurs de l’activité agricole.

Depuis 1852, la Candelera n’a cessé d’illuminer et de célébrer le monde rural. Cette
année encore, 700 exposants ont eu à cœur, sur plus de 50 000 m2, de témoigner de leurs activités. Jardiniers, maraîchers, éleveurs, artisans… Ils vendent le produit de leur travail, montrent leurs chevaux, leurs bestiaux et exhibent également fièrement leurs derniers engins agricoles. La Candelera, c’est le petit salon de l’agriculture catalan. Un des événements les plus courus de toute la Catalogne.
 Attachés à leurs traditions, opiniâtres, les habitants du Baix Llobregat sont également connus pour être les plus fidèles gardiens de l’art du pessebre vivant et des représentations de la Passion. Ainsi la crèche vivante de Corbera de Llobregat, considérée comme la première du
genre, fait partie des plus réputées de toute la Catalogne. Créée en
1962, elle est la démonstration de l’obstination et de la ferveur d’un groupe d’amis qui avaient alors décidé de ressusciter cette tradition populaire de Noël. Les acteurs sont des gens du village qui évoluent sur les hauteurs de Corbera, dans le décor naturel de roche rouge de la
Penya del Corb. Avec plus de 1 600 représentations, en période de fin d’année et près de 850 000 visiteurs, ce pessebre permet de se fondre et de déambuler entre chacune des scènes religieuses. Dans le registre populaire et religieux, le Baix Llobregat se distingue également par ses différentes mises en scène de la Passion à Pâques. Molins de Rei s’inscrit en effet dans la tradition pascale avec une représentation à contre-courant de toutes les autres en Catalogne. Appelée la « Sacra Passio del Natzaré », elle est avant tout l’adaptation de l’œuvre éponyme du poète Mateu Janès i Duran, décédé en 1974. Pas de dramaturgie historico-réaliste pour cette singulière Passion. Mais bien plus une réflexion sur l’être humain, portée par une rime d’une incroyable richesse et un jeu d’acteur résolument contemporain. Mais, c’est en remontant vers le nord du Baix Llobregat, à Olesa de Monsterrat, que l’on touche à la représentation la plus connue de Catalogne. Documentée depuis 1538 alors qu’elle n’était qu’une cérémonie religieuse pour commémorer la vie et la mort de Jésus, la « Passio
d’Olesa » est d’abord devenue une grande tradition, avant de passer au rang du patrimoine. En 2002, elle a été récompensée par la Croix de
Sant Jordi de la Generalitat de Catalunya et ce sont chaque année plus de 1 000 personnes qui y participent. Ce n’est pas réellement une grande surprise que ce soit dans cette région située au pied de la divine montagne de Montserrat que l’on trouve les plus belles représentations de la Passion. Esparreguerra, village mitoyen d’Olesa de Montserrat, compte ainsi parmi ceux dont la scénographie est qualifiée de plus emblématique de Catalogne. Une « Passio » qui remonte à 1661 et attirera encore cette année plus de 15 000 personnes. Bijou technique, joyau musical et surprise scénique, cette représentation se divise en
deux parties : l’une le matin, l’autre l’après-midi. Le succès est tel qu’on parle même de fête populaire ! Depuis 1983, « la Passio d’Esparreguera »
est déclarée d’interêt national.

Fervents, les Baix Llobregatins le sont pleinement. Une ferveur, une passion qui se manifestent de façon bien plus païenne mais non moins sincère, sur le stade de rugby de San Boi de Llobregat ! Car oui, ce sport au ballon capricieux se pratique aussi en Catalogne sud. C’est même ici à San Boi qu’un certain Victoriano Marlet i Naranjo l’a introduit en 1921.
Aujourd’hui, l’Unio Esportiva San Boiana est considérée comme le berceau du rugby catalan. Une fierté exhibée sur le rond-point d’entrée de la ville ! Le club évolue actuellement en division honneur, soit le plus haut niveau national. La Sanboiana, comme on l’appelle encore, peut se
 targuer du meilleur palmarès de toute l’Espagne.

Surpenant, déroutant, le Baix Llobregat court-circuite les clichés de
région industrielle. Ici, on joue collectif, avec cet esprit gagnant-gagnant
 entre habitants et visiteurs. Un esprit sain dans un cœur sain.

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