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Banyoles, les eaux pour blason

01 Août Banyoles, les eaux pour blason

Son nom parle à lui seul de sources, de ruisseaux et de lacs, mais elle a su ajouter à cet atout naturel un patrimoine bâti hors normes qui allie grandeur et humilité. Banyoles est simplement magique.

Coté terre, la capitale du Pla de l’Estany distille une catalanité discrète et intense, une belle authenticité minérale soulignée par l’animation commerçante des rues bordées de petites boutiques cossues. Tout semble s’organiser autour d’une vaste place carrée, aux dimensions naturellement ibériques, ombragée de platanes et sobrement festonnée de larges arcades. Le marché qu’elle abrite depuis des décennies dépasse largement la zone d’attractivité municipale et rassemble une foule colorée et joyeuse. Un ancien moulin à farine, Can Moliner, est le seul bâtiment à un étage de la place, directement élevé sur une voûte en plein cintre. Ses roues étaient autrefois mues par le Rec Major, le ruisseau cuvelé de pierres brunes qui traverse la ville : on peut encore les admirer dans la cour intérieure, ainsi que la cascade d’origine. Un peu plus loin, la Llotja del Tint, une incroyable tannerie médiévale spécialisée dans la teinture de la laine, est toujours là, elle aussi alimentée par les eaux du Rec Major.

Ville de pierre et de mémoire

Ce bâtiment, superbe exemple de gothique civil catalan entièrement restauré, abrite aujourd’hui le Centre d’Estudis Comarcals del Pla de l’Estany, accessible uniquement dans le cadre des visites guidées proposées par les musées de Banyoles. Les voûtes en ogive, les bassins de décantation, tout est intact et rappelle un passé laborieux et glorieux à la fois, porté par des générations qui vivaient bien à l’abri derrière les remparts, aujourd’hui suggérés par deux gloriettes d’inspiration gothique situées à proximité, derrière la Pia Almoina. Banyoles, un peu à l’instar de Perpignan – toutes proportions gardées – fut un centre drapier de première importance, puis un centre de production de tissu de chanvre, toujours, d’une certaine façon, par la grâce des eaux. Comme dans toutes les villes catalanes, le ciel est toujours à portée de prière : le monastère de Sant Esteve, première fondation bénédictine de la péninsule, documentée dans une charte de Louis le Pieux en 822, accorde aux moines la propriété du temple et du lac. Il a pris la place de l‘église romane initiale, qui possédait, selon ce que montrent les gravures, un joli cloître en forme de trapèze Son retable gothique, Notre Dame de l‘Escala, signé Joan Antigó et le célèbre reliquaire de Sant Martirià, volé en 1980, tous deux du XVe siècle, sont remarquables. L’ensemble a subi de nombreuses destructions et remaniements, si bien que l’ensemble actuel est nettement néoclassique. Mais la superposition permet de lire l’histoire à livre ouvert. Les deniers moines ont été expulsés lors de la Désamortisation de 1835. Un peu plus loin, Santa Maria dels Turers est un exemple marquant de gothique catalan, à la fois sobre et solide, quoique très influencé par le gothique français et marqué par les techniques des tailleurs de pierre locaux. Il s’agit aujourd’hui d’un ensemble architectural qui superpose différents remaniements : des vitraux néogothiques du XXe siècle y côtoient des éléments du XIVe siècle. Une splendeur. En matière d’architecture civile, la Pia Almoina, palais gothique édifié au XVe siècle à partir de deux maisons romanes, actuellement fermé pour travaux et dont la réouverture est prévue fin 2025, abrite aujourd’hui le musée archéologique de la ville, après avoir longtemps accueilli l’université. À l’origine, il s’agissait d’une structure caritative destinée aux pauvres de la ville, d’où son nom. Cet hôtel particulier est particulièrement remarquable pour sa galerie d’arcs en ogive, aux chapiteaux ornés de motifs végétaux en pierre de Girona.

Un lac de légende

On peut y observer des restes de peintures murales gothiques représentant des figures zoomorphes, ainsi que des graffitis médiévaux, notamment dans la salle dédiée à la Préhistoire. Parcourir Banyoles côté terre est un véritable plaisir, autant qu’une leçon d’histoire. C’est aussi l’expérience joyeuse d’une véritable convivialité, portée par une volonté sincère de faire connaître, de faire partager, de faire aimer… Vous l’aurez noté, de temps à autre, à angle droit, votre regard est comme happé par un éclair bleu : une rue, puis une autre, semblent vous faire signe, sans que vous distinguiez très bien ce qui se joue au bout : des embarcadères, des barques… En fait c’est le lac qui appelle vos pas, sûr de son pouvoir de séduction, bien campé sur ses milliers de millénaires de présence, sa profondeur moyenne de 15 mètres, avec certains points atteignant 150 mètres, et ses eaux mystérieuses. Tranquillement installé au cœur des volcans tumultueux dont il a accueilli sans sourciller les embrasements furieux, ce défi sur vagues est le plus grand lac naturel de toute la Catalogne, célèbre pour le huit qu’il dessine – un signe d’infini pour mieux affirmer son éternité -, mais aussi la mesure kilométrique de son périmètre arboré. C’est peu et c’est énorme. On pense aux lacs immenses de l’Eurasie, le Balaton ou le Baïkal et la comparaison opère malgré la disproportion, c’est une question de nature, de caractère sauvage. Il s’agit bien d’un œil ouvert de toute éternité dans les entrailles de la terre qui convoque le ciel en miroir. Banyoles est célèbre aussi pour ses « pesqueres », ses maisons à bateaux à pontons étroits, sortes de nèpes graciles et colorées posées sur le miroir des eaux, qui racontent des histoires de pêche et de baignade déjà ancestrales, toujours actuelles à en juger par la présence de barques à rames et de canoës autorisés. De nombreuses légendes nourrissent l’imaginaire collectif, comme celle du dragon, celle d’en Morgat ou encore celle du château englouti. Tout autour, des forêts altières de peupliers, de petits étangs clos, des prairies grasses et des canaux chantants invitent à toutes les promenades : à vélo, à pied et à cheval sur les itinéraires balisés aux abords de l’espace naturel protégé. Le lac, dont l’accès à la baignade est limité à certaines zones réglementées durant l’été, ouvre ses bras aux promeneurs, aux pêcheurs, à ceux qui aiment sillonner ses eaux plus pures, plus glissantes que leurs jumelles marines, donc plus ludiques.

Miroir éternel

Célèbre depuis qu’il a accueilli, en 1992, les épreuves d’aviron des jeux de Barcelone, mais surtout très aimé des autochtones, le lac fait office de véritable mer intérieure pour tous ceux qui veulent profiter des plaisirs de la plage, sans les kilomètres – ni la foule. « Com el llac de Banyoles que ni saben, on neix ni perquè serveix » (Comme le lac de Banyoles dont on ne sait ni où il nait ni à quoi il sert) disent les autochtones, un peu dépassés par cette présence singulière qu’ils perçoivent comme presque surnaturelle. C’est un peu exagéré : le lac s’alimente en effet de cours d’eau venus des montagnes environnantes, mais aussi de sources souterraines invisibles et parfois même chaudes. Toujours est-il que ce lac est devenu un véritable mode de vie, un repère naturel pour les habitants de la ville et des environs, et fait de Banyoles une ville terrestre un peu particulière qui convoque – au milieu des silhouettes renflées, féminines et douces, des volcans éteints – comme une caldeira commune, un rêve de plage et d’île verte, frappé au sceau du Moyen-Âge catalan. Une ville d’or et de bleu, dont les eaux et le feu ont forgé le destin particulier, dépaysante et belle.

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