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Barcelona : la montagne des Juifs

04 Fév Barcelona : la montagne des Juifs

L’histoire de Barcelone remonte à plus de 2000 ans, et les premiers juifs y sont probablement arrivés avec les Phéniciens, avant même la fondation de la Barcino romaine. Ils sont logiquement indissociables de l’identité de la ville.

Le premier quartier juif de Barcelone, du moins celui de l’époque médiévale, se trouvait dans l’actuel quartier gothique, en réalité à l’emplacement exact de l’antique Barcino, c’est à dire là où s’élève encore la muraille romaine. Il en est question pour la première fois sous le règne de Charles le Chauve qui désigne dans la cité comtale un « messager juif ». Il regroupait au temps de sa splendeur 4000 âmes, un chiffre énorme pour l’époque. Le Call Major, le plus ancien, s’inscrivait dans le rectangle dessiné par les rues dels Banys Nous, de Sant Sever, del Bisbe et del Call, non loin de la cathédrale. à l’époque, il comptait des « mikvot », les bains rituels où les femmes se purifiaient après leurs règles et où l’on procédait à la « tahara », la toilette funéraire rituelle, des hospices, des boucheries où était pratiqué l’abattage rituel, une synagogue et une yeshiva (école). Il faut imaginer tout autour des dizaines d’échoppes, à la fois calque de celles que l’on trouvait dans les quartiers chrétiens et évocations d’un orient toujours proche. Par la suite, un deuxième call, le Call Menor, a vu le jour à l’emplacement actuel des rues de la Boqueria, de la Lleona et d’Avinyó, c’est à dire hors des remparts, notamment pour absorber la population des juifs chassés de France pour qui la couronne d’Aragon apparaissait comme une petite terre promise. Pour le peuple juif l’horizon n’a jamais cessé de se dérober…La synagogue se trouvait Carrer Ferran à l’actuel emplacement de l’église Sant Jaume, un temple financé par des juifs convertis peut-être soucieux de préserver la mémoire de leur synagogue perdue. La ville a alors compté jusqu’à cinq synagogues, devenant une des communautés juives les plus importantes du Moyen-âge. 10 % de la population de Barcelone était alors juive, un chiffre digne des grandes villes de la Mitteleuropa mais très en-dessous d’autres villes catalanes ! Grâce à la proximité du port, ces communautés entretenaient des rapports étroits avec tous les juifs de Méditerranée, au premier rang desquels ceux de Majorque, et constituaient une véritable plate-forme d’échanges, favorisés par la maîtrise de la langue arabe et des routes commerciales, et les apports de centaines de savants dans tous les domaines de la connaissance humaine, qu’il s’agisse de philosophes, de théologiens, de médecins ou d’artisans. N’oublions pas que les juifs, propriété du roi, occupaient les plus hautes charges administratives de l‘état et étaient les financeurs de la totalité des actions royales, guerres de conquête comprises. 

Une communauté rayonnante

Sans eux, jamais la Méditerranée n’aurait pu être qualifiée de « lac catalan ». La Barcelone juive médiévale était rayonnante, respectée dans toute l’Europe et dans tout le monde méditerranéen, célèbre pour son esprit d’ouverture apparent qui permettait la tenue de grands débats théologiques entre Juifs et Chrétiens, les fameuses « disputes ». Ce monde brillant et travailleur, notablement intégré, du moins en apparence, semblait insubmersible. Il a pourtant sombré tout entier après un siècle de soubresauts, en 1492, date à laquelle la Catalogne s’est mutilée irrémédiablement. Pour découvrir le peu qu’il reste de ce patrimoine essentiel,  il vous suffit de suivre le guide. Et le guide, ce sont des panneaux bleus frappés d’une belle ménorah rouge qui ponctue la route séfarade ! Bien sûr, en termes strictement matérialistes, il ne reste en réalité pas grand chose de tangible de ce monde perdu, juste un entrelacs de ruelles. Pourtant, il reste infiniment plus, la trace indélébile, entre les rues étroites, d’une présence spirituelle si forte qu’elle n’a pu être chassée. Elle a même doté Barcelone, par capillarité, d’une identité méditerranéenne unique, à la fois exubérante et contenue. Imagine-t-on Carcassonne ou Toulouse sans la mémoire cathare ? La Normandie sans l’imaginaire viking ? Le Centre d’Interprétation du Call, installé dans la belle maison de Jucef Bonhiac, tisserand, vous dévoilera, de panneau en maquette, toute l’histoire des juifs de Barcelone et l’importance de leur héritage culturel dans une ville dont la butte la plus haute porte le nom de Montjuïc, montagne des juifs… Tout un symbole. Il ne faut pas non plus sous-estimer le rôle de continuité assuré par les marranes, parfois à leur insu. Comme le dit Israel Salvador Revah « le marrane est un catholique sans la foi et un juif dans la connaissance même s’il est juif par sa volonté », et cette double identité se perpétuant à travers les siècles a certainement favorisé le maintien du message mosaïque dans la ville. Aujourd’hui, Barcelone est redevenue une capitale juive avec 8000 membres déclarés, dont le tout premier retour a eu lieu en 1918. Ces juifs, un millier tout au plus, fondent aussitôt la Communauté Juive de Barcelone et installent une première synagogue rue de Provence. Avec la seconde République, un vent de liberté et de laïcité flotte sur Barcelone et redonne pour un temps le sourire à la communauté qui peut vivre sa foi et sa culture sans entraves. Effet paradoxal, l’arrivée au pouvoir d’Hitler génère l’arrivée de milliers de juifs européens à Barcelone, dont beaucoup d’Allemands et de Polonais. En 1936, ils sont plus de cinq mille dans la ville, mais le soulèvement de Franco et la victoire de forces nationales au catholicisme fervent les encourage à quitter la péninsule à l’exception notable de la compagnie juive Naftali Botwin, engagée aux côtés des Républicains.

La synagogue est attaquée et ravagée, le Président de la communauté, accusé d’être franc-maçon,  emprisonné, et le culte interdit. Autant dire qu’il devient aussitôt clandestin. Bientôt, les lois franquistes s’adoucissent et les cultes non catholiques sont autorisés dans la sphère privée. Une petite synagogue ouvre ses portes carrer Muntaner, mais la communauté israélite de Barcelone n’est officiellement reconnue qu’en 1949, et encore sous forte pression internationale. Bientôt, elle recueille assez de fonds pour pouvoir ouvrir la synagogue de la rue de l’avenir, la première de tout l’état espagnol depuis 1492. Les années 50 et 60 voient une déferlante de juifs séfarades d’Afrique du nord ou d’Amérique du sud, dont un fort contingent de pieds-noirs d’Algérie. Depuis 1977 la communauté israélite de Barcelone s’est dotée d’une grande synagogue, la synagogue Maimonide, d’un collège, d’une garderie, d‘immeubles sociaux… Aujourd’hui les 6 synagogues de Barcelone reflètent tous les visages du judaïsme, ashkénaze, séfarade, libéral, orthodoxe… Les juifs de Barcelone ont mis leurs pas dans les empreintes laissées en 1492 et renoué le fil magique. La casa Adret, la maison la plus ancienne de Barcelone, située en plein call, est le siège de l’Association Européenne de Préservation et de Promotion du Patrimoine et de la culture juive et aussi un centre culture juif de premier plan. Un joli symbole qui refait de Barcelone une vigie du monde juif comme si la flamme de la bougie, trop vite éteinte, s’était rallumée pour éclairer l’avenir.

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