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BARCELONE, DANS LE MONDE, C’EST LE BARÇA ET GAUDI !

03 Fév BARCELONE, DANS LE MONDE, C’EST LE BARÇA ET GAUDI !

Mireia Massagué est la directrice d’une nouvelle structure barcelonaise, le Gaudí Exhibition center, situé en pleine place de la cathédrale, au cœur de la capitale catalane. Rencontre avec une jeune femme brillante et passionnée.

CC : Bonjour Mireia, expliquez-moi l’origine de ce nouveau Centre dédié à Gaudí. Qui l’a créé et à quels besoins répond-il ?

Vous savez, quand on parle de Barcelone à l’étranger, on se rend compte que deux noms émergent immédiatement : le Barça, notre légendaire équipe de football, et Gaudí, considéré comme l’icône de l’art catalan. Bien sûr, les visiteurs connaissent le Parc Güell, la Casa Batlló, la Pedrera ou la Sagrada Família. A chaque fois, ils découvrent une facette de Gaudí. Mais nous n’avions pas, jusqu’à présent, de lieu qui explique ce que j’appelle l’énigme Gaudí, c’est-à-dire comment un être humain peut étendre sa soif de connaissance à tous les champs d’exploration de l’activité humaine, comment peut-il être porté par la foi et la passion jusqu’à devenir pour le peuple une véritable icône, enterrée comme un chef d’état, accompagné par des milliers et des milliers de Barcelonais.

CC : Et ce mystère, si je comprends bien, s’explique par les influences qu’il a subies, d’où la présence des œuvres initialement exposées ici par le musée diocésain ?

Oui. Nous sommes dans les locaux du Musée diocésain, à la Pia Almoina. Le bâtiment est éloquent sur la permanence de l’art et de l’esprit humain puisqu’au sous-sol, nous voyons la muraille romaine de Barcino et qu’ici s’ouvrait une des portes gothiques de la ville. Le Gaudí Exhibition Project est né de la rencontre d’un mécène andorran, Molines Patrimonis, du musée diocésain placé sous la tutelle de l’évêché de Barcelone et enfin d’un collège de scientifiques, le Gaudí Research Institute dont le siège se trouve à la Colonie Güell. L’œuvre de Gaudí est ici mise en abyme avec des œuvres gothiques et romanes. C’est l’idée de base du centre : montrer l’enracinement de Gaudí dans la culture catalane et l’incroyable extrapolation qui l’a conduit à révolutionner à tout jamais l’architecture mondiale.

CC : On y voit aussi les origines sociales de Gaudí, et son amour de l’artisanat…

Gaudí est né dans une famille de dinandiers. Chez lui, on transformait une plaque de métal en chaudron, en casserole, bref, on passait des deux aux trois dimensions. C’est essentiel pour comprendre sa démarche, son culte du travail d’équipe et son respect pour les excellents artisans dont il a toujours su s’entourer. Ça explique aussi son sens aigu du recyclage et des petites économies. Chez Gaudí, le génie naît parfois de la nécessité. Par exemple, il revenait aux dinandiers de vérifier les poids des balances, une vraie école de rigueur !

CC : Vous avez recréé le dragon de la fontaine du parc Guëll :

Oui, il répond au bestiaire médiéval et nous permet de montrer aux visiteurs la technique du « trencadís » qui reste la marque de fabrique de Gaudí dans le monde entier. Nous avions à cœur de montrer la simplicité, l’humilité, le côté presque monastique de Gaudí, mais aussi de souligner son engagement social. Lorsqu’il crée la colonie Güell, il prévoit une église certes, mais aussi un théâtre. Gaudí pense qu’il est essentiel que la beauté soit accessible à tous.

CC : On a du mal à imaginer que 8 des œuvres de Gaudí sont inscrites au patrimoine universel de l’humanité par l’Unesco…

C’est ce que je vous disais, il y a tant de facettes en lui ! Pour le comprendre, il faut connaître ses expériences sur la lumière et la géométrie, son amour de la tradition, sa foi brûlante, son sens aigu des enjeux de son temps. Il faut imaginer qu’il s’intéresse autant au pied en fer forgé d’un lutrin, qu’aux forces physiques qui vont permettre à une voûte de traverser le temps.

CC : Gaudí était aussi un grand catalan, molesté par la Guardia Civil pour avoir refusé de répondre en castillan…

Gaudí serait heureux, je pense, que son nom soit associé à la Catalogne dans le monde entier. Et pourtant, rien de plus universel que son message. Quand on se penche sur ses disciples lointains et assumés, on doit citer Le Corbusier, Candela, Imai, Niemeyer Ghery, Miralles, Isozaki, Foster ou Nouvel. Tous lui ont rendu hommage.

CC : Le Centre montre de façon très didactique que la crypte de la Colonie Güell, et l’église qui n’a jamais été construite mais dont des maquettes ont été reconstituées, était un galop d’essai pour la Sagrada Família …

La Sagrada Família c’est le testament de Gaudí. Gaudí a toujours su qu’il ne pourrait pas la terminer. Il n’avait pas prévu de vivre 200 ans ! Le Gaudí Research Institute travaille avec des universités étrangères, russes et autrichiennes notamment, pour réaliser des maquettes qui éclairent l’œuvre et appliquer la pensée de Gaudí à des champs divers.

CC : Beaucoup de technologie, aussi.

Oui, nous sommes soutenus par Samsung. Comment imaginer voir la totalité du travail de Gaudí à l’œil nu ? Il faudrait davantage qu’une vie humaine pour regarder chaque détail, chaque sculpture ! L’audiovisuel permet de rendre accessible des choses complexes, d’autant que notre audioguide existe en dix langues dont le japonais, le chinois et le coréen !

CC : Après un peu plus d’un an d’ouverture, vous pensez avoir trouvé votre public ?

Barcelone est une ville où l’offre culturelle est énorme, mais notre emplacement, la beauté du bâtiment gothique et la personnalité mystérieuse de Gaudí constituent un atout maître. C’est vital car je le rappelle, nous sommes une entreprise totalement privée.

CC : Comme toutes les structures muséales, vous proposez des expositions temporaires…

Oui, actuellement, elle est consacrée aux derniers jours de Gaudí. Il nous semblait important de montrer que cet immense artiste est mort comme un pauvre, dans un hospice, accomplissant jusqu’au bout sa destinée chrétienne. Et pourtant, il fut enterré comme un chef d’état… Ce mélange d’humilité et de grandeur, c’est me semble-t-il, l’essence même de Gaudí.

CC : Mireia comment se retrouve-t-on à la tête d’un aussi beau lieu ?

Vous voulez dire mon parcours ? Je viens du tourisme et de l’ingénierie culturelle, et je suis passionnée d’histoire de l’art. Je suis persuadée que le message culturel que nous envoyons au monde est essentiel pour faire comprendre qui nous sommes et d’où nous venons.

CC : C’est certainement aussi l’ambition de votre mécène ?

La famille Molines consacre depuis toujours son énergie et son argent à la protection du patrimoine, notamment en termes d’archéologie et de restauration. Son intervention a permis à la fois de protéger et montrer l’incroyable collection du musée diocésain, notamment en ce qui concerne les retables gothiques, et de donner sur Gaudí un éclairage inédit.

CC : Et le public est au rendez-vous ?

Oui, nous aurions mauvaise grâce à nous plaindre. Bien sûr, nous suivons les fluctuations du tourisme barcelonais. Les plus férus de culture arrivent en octobre, novembre, la clientèle d’été est plutôt tournée vers les plages et le soleil… Et nous devons nous adapter aux différences culturelles. Les Asiatiques planifient tout et savent presque tout avant d’arriver alors que les Européens se laissent volontiers embarquer dans un voyage onirique au pays de Gaudí. Ce qui est passionnant, c’est de voir comment presque 100 ans après sa mort, Gaudí intéresse les gens. Sa démarche est encore perçue comme subversive et novatrice. Et puis, incontestablement, le maître du paysage barcelonais, c’est lui, avec la Sagrada Família. Comment imaginer Barcelone sans elle ? On ne sait pas encore tout sur Gaudí. Il n’a pas fini de nous surprendre !

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