12 Juin Barri Gòtic
Moins branché que le Born tout proche, le quartier gothique a toujours ses fidèles et ses inconditionnels, attirés par son animation mais aussi par la beauté formelle de ses rues et de ses bâtiments gothiques, son foisonnement d’églises, ses vieilles boutiques. Gargouilles, ogives, arcades graciles et galeries de marbre scandent une enfilade de rues étroites bourrées de charme et dinattendu.
Le quartier gothique, le plus ancien de Barcelone, dessiné par les Romains 12 ans avant Jésus-Christ sur le Mont Taber, s’étend de la cathédrale aux rambles. Après la migration des familles les plus riches vers l‘Eixample au XIXe siècle, le quartier médiéval était extrêmement dégradé et a donc fait l’objet de restaurations et de remaniements successifs. Sa remarquable homogénéité architecturale, si séduisante, adorée des touristes et adulée des autochtones, est en fait trompeuse.
Frappé par le sort
En réalité, les deux tiers de Barcelone ont été détruits en 1714, lors du siège mené par les Espagnols sous la bannière du roi Felipe V, laissant beaucoup de ruines et de bâtiments incendiés. Au XIXe, les choses s’aggravent avec le percement de la Via Laietana, un véritable séisme qui conduit à l’éradication d’îlots entiers, défigurant le quartier d’origine. Comble de malheur, le désastre ne s’arrête pas là : la guerre d’Espagne a pour sinistre résultat, deux ans de bombardements continus qui contribuent encore à modifier la physionomie des rues. Et pourtant, le Barri Gòtic est le quartier le plus touristique de la capitale catalane !
Gâté par l’histoire
Il faut dire qu’il a des arguments ! Et d’abord, sa superbe cathédrale, construite au XIIIe siècle sur une ancienne basilique paléochrétienne. Pas moins de 150 ans ont été nécessaires pour donner naissance à cette merveille du gothique catalan, d’une grande pureté. A noter le chœur cerclé de marbre blanc, la crypte et le musée avec sa superbe série de tableaux. Ne manquez surtout pas le cloître avec son jardin planté de palmiers et de magnolias, sa belle fontaine et ses vénérables oies. Déjà tout se mélange : la façade et la flèche de la cathédrale datent en effet du XIXe et du XXe siècles, malgré leur aspect authentiquement gothique!
Comme un air de Florence
Sur le parvis, s’ouvre sur la gauche dans un immense bâtiment, le musée d’art religieux, à voir autant pour ses collections que pour sa mise en valeur des murailles romaines encore debout, sur lesquelles il a été construit. A droite, cette fois, dans la petite rue qui monte, le palais épiscopal et la maison de l’archidiacre. Sur les galeries, étudiants et touristes lisent tranquillement, à l’abri de la foule. Vous êtes dans le carrer del Bisbe (rue de l’évêque), regardez bien les façades : dans une niche, sur la droite, est gravé l’agneau pascal. Un peu plus loin, la ville prend des airs florentins avec le pont gothique suspendu qui relie la Casa dels Canonges (maison des chanoines) au Palau de la Generalitat, une merveille gothique dont la façade, de ce côté-ci, présente de nombreuses gargouilles. Pourtant, on est bien loin des Médicis, le fameux pont a été construit en 1928 !
D’une merveille à l’autre
Juste à côté, prenez le carrer Montjuïch del Bisbe : la place Sant Felip Neri vous attend, avec son église et sa jolie petite fontaine. Le palais adjacent et quelques maisons voisines, anciennement situés via Laietana ont été, malgré leur apparente aut
enticité, reconstruits pierre par pierre après la guerre civile ! En observant le frontispice de l’église du XVIIIe, on y voit encore des impacts de bombes laissés par les combats. Il est temps d’aller voir la Plaça Sant Jaume où se font face le Palau de la Generalitat de style gréco-romain et l’Hôtel de ville avec son étrange façade en gothique flamboyant. L’intérieur du Palau de la Generalitat est à voir absolument, avec son sol de marbre coloré, son patio des orangers de pur style renaissance, son escalier monumental gothique, ses galeries aux arcades élancées, et sa superbe chapelle Sant Jordi. Vous allez adorer !
Quartier des sortilèges
Cap sur la place Sant Just et son église gothique à la façade inachevée pour cause de peste noire et de manque d’argent (XIVe siècle) : vous êtes dans l’ancien quartier templier, avec ses venelles, ses impasses et selon la légende, ses passages secrets réservés aux initiés du Temple. Il n’en reste pas grand-chose, sinon une atmosphère qui dépayse. Vous n’êtes pas loin du carrer d’Avinyó, l’ancien quartier rouge de Barcelone qui a inspiré au jeune Picasso de grands émois et son plus célèbre tableau. Tout près, l’église de la Mercè, qui témoigne d’un gothique assez tardif, presque renaissant a été déplacée (elle se trouvait plaça Sant Jaume !). Ici tout est illusion ! Ne manquez pas tout près la plaça dels traginers (place des convoyeurs) – tout à fait authentique, elle – où l’on débarquait, comme son nom l’indique, les marchandises arrivées par bateau, avant de prendre la Baixada de Viladecols, une rue médiévale vraiment préservée, avec ses belles demeures ouvrant sur des patios.
Quartier romain, toujours
Mais la Barcino romaine affleure encore. En direction de la Via Laietana, arrêtez-vous plaça de l’Angel, là où se trouvait la porte romaine : en suivant le carrer de la Tapineria (pas de fausses interprétations, en catalan, « tapins » désigne d’anciennes chaussures à plusieurs semelles destinées à mettre les pieds des dames à l’abri de l’humidité !), vous allez longer les remparts antiques de la ville, du moins par bribes, car ici les siècles s’imbriquent et se confondent et des maisons ont dû être détruites pour permettre de montrer les énormes murailles romaines. Plaça Berenguer el Gran, tout s’éclaire, car les constructions gothiques sont littéralement posées sur le formidable rempart romain !
Quartier juif, encore
Il vous reste à voir la Plaça del Rei (place du roi), un véritable décor de théâtre reconstitué à partir de quelques éléments d’origine comme une partie du palais du vice-roi (virrei) et l’église royale. Le reste a été construit en 1930 par souci d’esthétique et de pittoresque ! L’une des maisons abrite d’ailleurs le musée d’histoire de la ville. Mais Barcelone ne serait pas la marchande, la cosmopolite, l’accueillante, sans son riche passé juif, essentiel à la compréhension de la Catalogne toute entière tant ses élites ont joué un rôle important. Poussez donc jusqu’au Call Major, en suivant le carrer Sant Sever. Du ghetto d’antan il ne reste guère que des venelles minuscules et sombres, mais il est aisé d’imaginer les lourdes portes de fer qui clôturaient l’ensemble. Juste à côté, dans la continuité s’étend le Call Menor, construit au XIVe pour accueillir les juifs chassés de France avant qu’ils ne soient expulsés, avec tous leurs coreligionnaires, par les rois catholiques, un siècle plus tard !
Quartier touristique, forcément
En retournant vers les Rambles, petit arrêt à la plaça del Pi, l’une des plus jolies de Barcelone avec son pin tourmenté et son église moderne. La véritable église d’origine gothique, fut brûlée pendant la terrible guerre d’Espagne. Il n’en reste guère qu’une plaque commémorative. Détail qui a son importance, ne comptez pas arpenter les rues dans une relative solitude : le quartier gothique est le royaume des bateleurs en tous genres : musiciens, comédiens venus de tous les continents, peintres de sol improvisés, innombrables marchands, cobles jouant sur le parvis de la cathédrale. Et les touristes ne sont pas en reste, d’autant que tout ou presque, se visite : les musées bien sûr, mais également les églises et les nombreux bâtiments officiels. Beaucoup de petits restaurants aussi, où l’on peut manger sur le pouce, entouré de Barcelonais affairés. Car ne n’est pas là le moindre de ses charmes, le quartier gothique est habité et n’a rien d’une carte postale glacée !
Quartier catalan, éperdument
Dans son originalité, ses juxtapositions d’époques et de populations, le Barri Gòtic est une illustration brillante du génie catalan : malgré les destructions subies ou organisées, malgré les défaites et les coups du sort, la Catalogne éternelle, ancrée dans l’antiquité, son âge d’or médiéval et gothique, sa diversité spirituelle, sa convivialité naturelle et ses merveilles plastiques des XIXe et XXe siècles s’exprime ici dans toute sa plénitude et dans toute sa force. Tout n’est pas réel, certes, mais tout est vrai. Le quartier gothique ne l’est pas tant que ça, mais il a su devenir le symbole d’une ville qui se réinvente sans cesse pour survivre. D’un peuple qui sait faire gloire de ses défaites et ne rechigne pas à reconstruire encore et encore son avenir. Le quartier gothique est mieux que gothique. Il est gothique dans l’âme. Vous l’aimerez.
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