12 Juin Begur : La perle indienne
Plus discrète et moins connue que la mondaine et cosmopolite Cadaquès, Begur la multiple, se mérite et se goûte sans modération : randonneurs, amoureux des vieilles pierres, fans de sports nautiques, mélomanes, gastronomes ou simples flâneurs en quête de beauté, Begur offre tout ce que vous attendez avec en prime, un zeste d’inespéré. Comme un supplément dâme.
Située au cœur du Baix Empordà, au creux d’un cap entaillé d’une dizaine de criques dont la minéralité altière coupe le souffle, Begur est nichée à quelques encablures de la mer et cernée de collines plantées de chênes et de pins maritimes, striées de sources et de torrents convergeant vers la mer. Ce relief vallonné a d’ailleurs donné naissance à une locution proverbiale « puja i baixa com les muntanyes de Begur » (ça monte et ça descend comme les montagnes de Begur). Pour y accéder depuis l’intérieur des terres, il faut franchir les muntanyes de la Guardia plantées de forêts profondes. Il est clair que le lien à l’arrière-pays n’a jamais dû s’imposer comme une évidence, et que c’est donc la mer qui a décidé du destin de la ville « haute et blanche » décrite par Josep Pla, l’écrivain de Palafrugell.
Sculptée par la mer
Et bien sûr, à Begur, les noces intimes de la montagne et de la mer, se célèbrent partout : à fleur de coteau, dans les traces – presque imperceptibles, sous l’envahissante végétation de garrigue – des murets qui ourlaient autrefois les « vinyes verdes vora al mar » chantées par Lluís Llach, dans la cicatrice sombre, indélébile, que l’activité des hommes a légué aux chênes liège, dans le duel sans merci auquel se livrent à cœur de crique, à flanc de falaise, la roche et les vagues. Dans la façon aussi, dont le village se tapit au creux de la terre, invisible depuis la mer mais viscéralement relié à elle par un réseau de sentiers secrets, de chemins de ronde escarpés, de plages langoureuses où se prélassent encore quelques barques de pêcheurs.
Trois mille ans d’histoire
Si des traces notables de peuplements paléolithiques, romains puis paléochrétiens ont été mises à jour lors des fouilles de 1908 (notamment des fragments de poteries à figures rouges et de lampes paléochrétiennes), il faut attendre le XIe siècle pour que soit fait mention du nom Begur sous la forme d’une occurrence concernant son seigneur féodal Arnust de Begur. C’est en effet au Moyen-âge et à la Renaissance que la cité prend de l’importance, comme en atteste le riche patrimoine bâti encore visible : ruines du château médiéval (détruit sur ordre de la flotte anglaise durant les guerres napoléoniennes), tours de défense et chemins de ronde (XVIe siècle) mais aussi remarquable église gothique. Un peu plus loin, le hameau d’Esclanyà, possession des seigneurs de Cruïlles, est un véritable musée roman à ciel ouvert. L’église, connue sous le nom de « tour d’Esclanyà » a été construite en 1280 sur les ruines d’un temple antérieur, probablement ibère.
La mer : dangereuse et nourricière
Pendant des siècles, c’est pourtant de la mer nourricière qu’est venu le danger : Begur partage avec Cadaquès une longue histoire de razzias barbaresques, particulièrement fréquentes et violentes au cours des XVIe et XVIIe siècles, ce qui explique l’existence d’un jeu complexe de fortifications côtières et de tours de guet. Au fil des ans, les chemins de ronde seront empruntés par les pêcheurs bien sûr, puis par les carabiniers contrôlant la contrebande du tabac ou s’assurant, sous le franquisme de sinistre mémoire, qu’aucun Républicain ou opposant au régime n’embarque pour des terres plus libres. Ils ravissent aujourd’hui les randonneurs occasionnels ou chevronnés.
De terre et de mer
Dès la plus haute Antiquité, la pêche et la vigne constituent, comme c’est le cas pour tout le pourtour méditerranéen, les axes majeurs de l’activité humaine. Le poisson de roche de Begur est encore aujourd’hui l’un des produits les plus recherchés de la Costa Brava et donne lieu à de multiples déclinaisons gastronomiques. (Riz au poisson, à l’encre, à la viande, arrossos, mar i muntanya). Tous les ans, d’avril à mai, la Campagne gastronomique des poissons de roche regroupe des restaurants de Begur dans une quête d’excellence culinaire plébiscitée par un public d’autochtones et de visiteurs fidélisé et curieux.
Jamais à court
Au XIVe siècle, il semble que les Begurencs se spécialisent en masse dans une autre forme de pêche, celle du corail qu’ils commercialisent dans toute la péninsule. Assez vite, cette activité semble s’essouffler, vraisemblablement par épuisement des ressources naturelles. Comme toujours dans leur histoire de va-et-vient entre la montagne et la mer, les gens de Begur exploitent alors plus intensément encore les ressources de la vigne. C’était sans compter sur le phylloxéra qui va ravager la quasi-intégralité du vignoble, conduisant à une telle paupérisation que des centaines de jeunes vont être poussés à l’exil. Et bien sûr, cet exil va passer par la mer, et les conduire vers les terres de Cuba, alors perçu comme un pays de Cocagne et un morceau d’empire. Ceux qui restent se tournent vers une autre ressource naturelle : le liège fourni par les chênes tout proches. La famille Forgas est ainsi rapidement à la tête d’un ensemble de 25 usines qui emploient une grande partie de la population jusqu’aux années 1960, avant que Begur ne trouve un second souffle avec le tourisme, et notamment un tourisme culturel haut de gamme, dopé par ses richesses architecturales, la beauté de son environnement et son originalité.
Begur à l’heure indienne
En effet, si la Costa Brava et l’Empordà regorgent de villages médiévaux charmants (Peretallada, Pals), et de sites naturels magnifiques, seule Begur se revendique comme une « ville indienne » (entendons les Indes comme celles qu’a effectivement découvertes Christophe Colomb, c’est-à-dire les Amériques). Les fils de Begur partis faire fortune à Cuba, lors de la crise économique liée au phylloxéra, sont revenus dans leur cité, à la fin du XIXe siècle, pour la plupart cousus d’or. Ces « americanos » ont alors édifié des maisons de style colonial avec des portiques et des murs décorés de fresques, appelées « cases indianes » qui ont profondément marqué la physionomie du village. Des liens culturels serrés se sont noués avec la grande île Caraïbe, qui donnent aujourd’hui lieu à une foire remarquable, au début du mois de septembre, la « Fira d’Indians », connue dans toute l’Europe. La gastronomie locale conjugue elle aussi avec bonheur ces influences épicées et hautes en couleur.
Bienvenue au paradis bleu
Quand bien même Begur ne serait pas ce goût d’ailleurs ancré dans la roche catalane, il y a le site : un cap qui tend ses doigts, paume offerte vers le large, et accueille des plages et criques aux noms évocateurs et magiques, du nord au sud, la platja del Racó, l’Illa Roja, et la baie de Sa Riera. Puis l’anse d’Aiguafreda, la plus exposée aux vents et les sables doux de Sa Tuna, bordés d’une pinède sombre. Enfin, la Platja Fonda, Fornells et Aiguablava où les Dominicains avaient construit leur couvent, aujourd’hui devenu un hôtel de luxe : le Parador d’Aiguablava. De vieux sentiers, qui se confondent parfois avec les chemins de ronde, mènent à la fois d’une crique à l’autre, et du village à la mer. Partout, la même plongée dans le bleu, le même vertige d’ocre s’y noyant. Une quintessence de Méditerranée, une netteté de tragédie grecque. De ce paysage, on sort comme grandi.
Vous l’aurez compris, Begur est bien plus qu’une destination touristique et bien autre chose qu’un charmant village chargé d’histoire : c’est une expérience à ne pas manquer. Un de ces lieux où la vie s’intensifie et se décuple parce que les sens, partout sont sollicités et comblés.
Voyage en Méditerranée - La Minut'Rit
Posted at 12:30h, 23 juillet[…] D’autre part la côte de Begur est jalonnée de criques merveilleuses que l’on peut découvrir en se baladant sur des chemins de ronde : Aiguablava, Fornells, Sa Tuna, Aiguafreda et Sa Riera. Les deux premières criques ont une réputation internationale bien méritée. La personnalité de Sa Tuna et Sa Riera est d’un ordre différent, plus succinct, plus abrupt. Pour aller plus loin […]