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Camille Otero : l’ADN d’un résistant

01 Nov Camille Otero : l’ADN d’un résistant

En 21 ans, le Vienne, place Arago, est devenu une véritable institution : aux manettes, Camille Otero, une figure perpignanaise incontournable. Rencontre avec un entrepreneur optimiste.

CC : Camille Otero, vous êtes une vraie légende perpignanaise. Racontez-nous un peu votre histoire, je crois que c’est une véritable saga…

Otero2Elle commence avec la Retirada. Mon père s’était enrôlé dans l’armée républicaine pour défendre la jeune démocratie espagnole. Comme tant d’autres, il s’est retrouvé acculé au Perthus avant de subir l’internement dans le camp d’Argelès d’où il a pu s’évader grâce à l’aimable complicité du Dr Bolzom. Ensuite, il a connu Boucheville et Axat et a participé à des actions de résistance.

CC : On sent que vous êtes très fier de ce père qui n’a pas baissé les bras…

Oui, je dois à mes parents des valeurs de travail et d’obstination. Comme les seuls métiers autorisés aux Espagnols étaient la terre et le bois, mon père a été transporteur avant de créer sa propre scierie et de monter des charpentes. Et il a pu élever ses enfants en repartant de zéro, à force de travail et d’audace. Il y a vraiment de quoi être admiratif. De l’autre côté, j’ai toujours l’image de ma mère passant la frontière enceinte de ma demi-sœur… Elle était infirmière dans l’armée républicaine. Alors oui, il y a de la résistance dans mon ADN !

CC : Comment vous êtes-vous retrouvé en restauration ?

J’aurais voulu faire des études d’architecte, mais la situation de mes parents ne me l’a pas permis. A l’époque, entretenir un étudiant revenait extrêmement cher. Je suis donc parti faire mon service militaire à Barcelonnette, dans les chasseurs alpins, et c’est là que j’ai commencé à cuisiner, comme quoi, il n’y a jamais vraiment de hasard. Alors, quand je suis revenu à Perpignan, j’ai cherché un boulot dans cette branche et j’ai presque immédiatement intégré le Napoli. La vie ce n’est que ça, un enchaînement de circonstances. Mais avec mon hérédité chargée, j’avais d’autres ambitions ! Dès que j’ai pu, j’ai fait un crédit pour acheter la Pizza Arago (l’actuelle Pizza Papa), puis le Centra (actuel Arago) que j’ai transformé en Bistrot du bœuf. Je n’ai jamais été frileux pour investir. J’ai toujours eu conscience que le commerce n’est pas une rente mais une constante évolution.

CC : Vous aviez déjà un penchant pour la place Arago, on dirait…

Vous ne croyez pas si bien dire. Avec mon frère, nous avons acheté la Galerie Arago qui reliait alors la place à la rue Mailly. On y trouvait sept boutiques et en sous-sol, une boîte de nuit, « le Privé » que j’ai par la suite vendu au propriétaire du Lydia. L’aventure a duré 10 ans. Je suis convaincu que les galeries ne marchent pas en pays catalan : c’est une forme de structure qui vient du nord, elle est faite pour des gens qui se mettent à l’abri des intempéries. Ici, très vite, les galeries deviennent des couloirs pour la tramontane. D’ailleurs je note que sur le quai Vauban, les deux galeries, Rive Gauche et Doisneau connaissent les plus grandes difficultés…. Dans le même temps, j’ai pris le mas Vermeil, une belle aventure aussi, avec une clientèle plus haut de gamme, bien sûr, que dans une pizzeria. Toujours avec mon frère, car je n’aurais sans doute pas fait un dixième de ce que j’ai réalisé sans lui, nous avons installé le Vienne dans l’ancienne galerie Arago et racheté le Privé pour obtenir la brasserie actuelle, avec sa cuisine super-équipée, ses deux terrasses… Et le Vienne a 21 ans, puisque c’était en 1993 !

CC : C’est une véritable institution perpignanaise. Pourquoi le Vienne ?

Otero4En hommage à mon grand-père. En Autriche, il avait découvert avec son frère l’existence des viennoiseries. De retour à Madrid, il a fait fortune en vendant des petits pains viennois dans des sortes de « points chauds » disséminés dans la ville, avant d’ouvrir une brasserie, Le Vienne… La fresque qui décore le mur de mon restaurant rappelle cette odyssée qui est un peu l’exemple de mon parcours. J’aime à penser à cette continuité-là, à travers les générations, à travers les frontières, comme un fil rouge indélébile. J’aime cette idée d’inscription dans une lignée. D’ailleurs, je porte le nom de mon grand-père, Camilo…

CC : Belle aventure familiale. Que pensez-vous des évolutions de Perpignan ? Ici, vous êtes aux premières loges, le Vienne est le rendez-vous du Perpignan politique et libéral, beaucoup de choses se décident devant les nappes blanches de votre restaurant…

Perpignan a beaucoup changé dans les deux dernières décennies. La ville est passée à la modernité, elle a quitté son côté un peu étriqué, un peu provincial. Dans un premier temps, je citerai les aménagements impulsés par Jean-Paul Alduy : l’aménagement de la place de Catalogne, celui de la place Arago, la création du quai Vauban… qui ont stylisé la ville et ont ouvert des espaces conviviaux, jusque-là inexistants. Il y a donc eu un premier déplacement du centre de gravité qui a un peu délaissé la Loge et la placedu Castillet, au profit d’une place Arago aérée et arborée. C’était une petite révolution, car depuis des siècles, la Loge était le point névralgique de la ville. Aujourd’hui, c’est au tour du boulevard Leclerc de bénéficier de la faveur du public, principalement à cause de la politique d’attribution de terrasses particulièrement spacieuses aux restaurateurs qui ont tenté l’aventure du Théâtre de l’Archipel. Le soir, il est clair que c’est sur cette artère que se joue la vie perpignanaise. Le quai Vauban, par exemple, reste désert. Il s’agit donc davantage de déplacements successifs de la clientèle que de déclin du centre-ville à proprement parler.

CC : Cela n’a pas marché avec le Centre du monde…

Non. On a préparé des infrastructures qui correspondent à une ville de 400 000 habitants ! Nous ne sommes ni Toulouse, ni Montpellier. Ce déséquilibre va nous handicaper un certain temps. Espérons qu’ensuite, il nous donnera un peu d’avance.

CC : Le commerce, c’est donc une constante évolution ?

Otero3D’abord, il y a la montée du e-commerce qui entraîne la disparition des commerçants indépendants. Imaginez un peu, 15% de plus en cinq ans ! Regardez le nombre de franchisés en centre-ville, c’est assez édifiant. Ensuite, il y a les implantations de commerces en périphérie, souvent de véritables villages où l’on peut passer sa journée,se restaurer, se distraire, sans se donner la peine d’accéder au centre-ville (Agrosud, le Mas Guérido, bientôt le Carré d’Or….). Evidemment ce sont des espaces standards et déshumanisés qui ne remplaceront jamais la plus-value humaine et esthétique du centre-ville, mais ils sont pratiques… Ne sous-estimons pas non plus la concurrence de nos voisins du sud. Quand je me promène à Girona ou à Figueres, je serre presque autant de mains perpignanaises que sur la place Arago…

CC : Quel avenir voyez-vous pour le centre-ville ?

Je crois que le centre-ville va devenir, peu à peu, une sorte de décor de théâtre, avecessentiellement des éléments patrimoniaux, un espace entièrement dévolu au tourisme et aux commerces qui l’accompagnent. Le centre-ville n’est déjà plus depuis longtemps le centre économique et cette évolution devrait encore s’accentuer…

CC : La période est difficile, elle vous fait peur ?

Non. Les périodes de crise sont aussi des périodes d’assainissement. Je suis persuadé que tous ceux qui sont capables de se remettre en question, de changer leur fusil d’épaule, d’anticiper les tendances, en sortiront renforcés. C’est ainsi. Je suis né de gens qui ont su partir de zéro ou repartir de zéro. La peur ne fait pas partie de mon vocabulaire. Je suis certain que dans dix ans, les cartes seront rebattues, la physionomie de la ville aura encore changé, de nouveaux équilibres seront apparus. Et les meilleurs auront survécu. Au fond, je suis un grand optimiste !

1Commentaire
  • martine Saincry
    Posted at 17:05h, 14 janvier Répondre

    Fabuleux parcours : et je ne suis jamais allée au Vienne !!!
    Mais Camilo est un personnage qui mérite que l’on vienne chez lui !
    Pour moi, manger dans un centre commercial ne me dit rien du tout, mais alors vraiment rien !
    Alors à bientôt….
    Martine de Canet Plage

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