01 Fév Carnaval de Vilanova i la Geltrú : Rebelle par nature
Entartage en règle et batailles rangées de bonbons répondent aux sermons satiriques et aux bals chics dans ce carnaval haut en couleurs, qui a su traverser sans trembler les décennies les plus sombres de l’histoire de la Catalogne.
Le carnaval de Vilanova i la Geltrú aligne fièrement 230 ans d’histoire quasiment ininterrompue, même pendant le franquisme et malgré l’interdiction par le régime, d’une fête née pour exorciser les forces du désir et de la gourmandise avant d’entamer le carême. Une fête subversive, donc, et perçue comme presque diabolique par la surpuissante hiérarchie ecclésiastique toujours hostile à la glorification des plaisirs charnels. C’était sans compter sur le génie local… Dès 1790, confettis et quadrilles sont documentés à Vilanova i la Geltrú. À partir de 1850, la presse locale relate la fête avec un luxe de détails : nous sommes en effet en plein retour des « americanos » partis faire fortune à Cuba ou dans la Caraïbe qui en importent les coutumes plus festives. Mêlées aux gravures qui circulent et qui représentent des fêtes vénitiennes, elles influencent le développement du carnaval local vers une forme vraiment unique et autochtone. On mentionne déjà un sermon burlesque, dont le texte est consacré à l’actualité locale, avec une bonne dose de persiflage et d’humour. C’est ce qu’on appelle « fer vinagre » mot à mot « faire du vinaigre ! » Cet aspect non plus n’eut pas l’heur d’enchanter les censeurs du Caudillo… Certes la fête avait marqué le pas pendant la guerre de succession et aussi en 1854 lorsque le choléra décima une partie de la population, mais la prohibition franquiste, pour féroce qu’elle soit, n’en eut pas raison du tout. Elle se poursuivit dans le secret des maisons avant de réapparaître discrètement autour de 1955 dans la rue sous le nom de « Fiestas del Invierno », au nez et à la barbe des fâcheux… Précisons qu’il s’agit encore aujourd’hui d’une fête populaire organisée par la société civile et le tissu associatif ! Une fête populaire voulue par le peuple qui attire les foules et rassemble la communauté villageoise. Pas la peine de s’acharner à chercher les dates, elles sont fidèles au calendrier chrétien et ne se calquent pas sur une supposée disponibilité d’éventuels touristes. Tous les ans, le Carnaval de Vilanova i la Geltrú se déroule entre le Jeudi Gras et le Mercredi des Cendres. À signaler, toutefois, une coquetterie locale, le samedi précédent, le Ball de Mantons, organisé dans plusieurs points de la ville, qui voit évoluer des femmes aux épaules drapées dans le traditionnel châle brodé et ourlé de franges, et des hommes élégants dans leur costume sombre. Parfois, les couples changent de lieu et rencontrent dans les rues des « comparses de nit » qui les arrosent de bonbons. Après quatre jours d’accalmie, le Jeudi Gras, enfin, on passe aux choses sérieuses !
Une fête démultipliée
C’est qu’avant d’envisager un jeûne relatif, il convient de faire des réserves de plaisir ! Place aux xatonades géantes (une délicieuse salade de scarole, de morue et de thon aux olives, aux anchois et à la sauce Romesco), aux omelettes bien garnies de charcuterie, à la célèbre coca de llardons, (pâte briochée aux lardons appelée en Roussillon coca de greixillons) et, star des stars, à la meringue ! Cette dernière n’a pas que des fonctions gustatives. À vrai dire on en mange même assez peu : c’est une arme redoutable et obligée pour l’entartage général et en règle qui ponctue cette journée !!! Personne, grand ou petit n’échappe à l’insolite projectile. Vous êtes prévenus ! Le vendredi, place à la solennité et à l’étiquette. Sa Majesté Carnestoltes fait à Vilanova i la Geltrú, l’honneur de son arrivée en grande pompe. C’est l’Arrivo, mené par le bal des Diables et par le Dragon, suivi d’une cavalcade de chars réalisée par les associations locales, et bien sûr de tout un cortège de masques et de costumes. Sur la place de l’hôtel de ville, un sermon parodique relatif à l’actualité politique de l’année, en particulier locale, accueille Sa Majesté et donne le départ du Ball de l’Arrivo, une terminologie toute vénitienne ! Cette fois les fêtes sont vraiment lancées !
Une atmosphère débridée
Dès le lendemain, baptisé Dissabte dels Mascarots, (samedi des masques), Sa Majesté fait son tour de ville, visitant les marchés, les maisons de retraite, les crèches, toujours suivie de son cortège burlesque. Le Carnaval se déplace ainsi jusqu’à tous ceux qui ne peuvent pas y assister, car personne ne doit être laissé à l’écart de la fête la plus importante de l’année. Mais c’est le soir, avec le Ball dels Malcasats (le bal des mal mariés) que s’exprime à plein le génie populaire. Il s’agit d’un bal parlé, sciemment comique, dans lequel les couples ne ménagent pas leurs commentaires désabusés sur le mariage. Une sorte de Casament tremblant (mariage de parodie) théâtralisé, qui épuise tous les thèmes inusables du théâtre de boulevard et fait la joie du public !!! Dans les rues, le roi des Petits, Caramel, arrive dans une grande marmite que tous les enfants suivent jusqu’à la place du marché et la bataille de bonbons commence, vraiment épique. Il faut avoir vu cette débauche de friandises pour y croire !
Tradition unique
Et les grands ne sont pas les derniers… Enfin apparaît un personnage étrange, oint de miel et de plumes, le Moixo Foguer, une sorte d’oiseau humain, suspendu dans une cage dorée. Il parcourt les rues, accompagné d’une fanfare et de gens en chemise de nuit tandis que le Parleur qui l’accompagne raconte son histoire. De temps en temps l’étrange oiseau s’arrête et sort de la cage. Une tradition unique, qui semble remonter au XVIIIe siècle. Malgré la fatigue de cette folle journée, les sociétés et associations, dûment précédées de leurs oriflammes et drapeaux, ont rendez-vous le dimanche matin, appelé Diumenge de Comparses, sur la place de la mairie, au son de l’hymne du carnaval, la Turuta. Les hommes sont en chemise blanche et pantalon foncé et portent une barretina ou une faixa de couleur pour que les entités auxquelles ils appartiennent soient identifiables. Les femmes portent des œillets, fleurs de l’amour. Plus de 20 000 participants en délire se jettent des bonbons au visage dans une sorte d’enfance retrouvée, une vraie guerre des boutons qui enchante les rares spectateurs qui peuvent s’abriter ! Alors commencent les danses de Villanova, caractéristiques par le fait qu’elles mettent en scène deux femmes pour un homme ! Décidément, la licence est partout !
Liberté carnavalesque
Le soir, c’est le Ball dels Comparses qui regroupe la totalité des carnavaliers dans une atmosphère de liesse indescriptible. C’est là que la dimension de liberté inhérente au carnaval prend tout son sens. On devine ce que devait signifier pour les communautés villageoises de temps prudes et religieux, cette fenêtre inattendue de permissivité. Il faut dire que pendant ce temps, tous les soirs de la semaine, ont lieu des « Coros de Carnestoltes » c’est-à-dire que l’on écrit des textes parodiques sur des chansons existantes que tout le monde connaît : l’imagination, l’esprit critique, l’humour n’ont plus de limite et se donnent à entendre au théâtre municipal. Enfin, le lundi, c’est le jour des enfants avec la Comparsa del vidalet et le ball del Paperet. Évidemment, il n’y a pas école pendant la semaine la plus importante de l’année et les petits s’en donnent à cœur joie ! Le Mardi Gras, décidément parodique, voit l’entrée en scène du Vidalot, un malotru irrévérencieux vêtu en arlequin. On ne jette plus des bonbons mais de l’orge, et on tape les non-festivaliers avec des battoirs à matelas pour leur signifier combien il est important de faire partie de la fête ! Le soir, ont lieu le défilé des gegants et celui de la « Cuina vella », un cuisinier et une cuisinière géants, qui disent en quelque sorte adieu aux temps de ripaille avant l’entrée dans le Carême.
Par la grâce du feu
Et oui, les meilleures choses ont une fin et l’éphémère et dense vie de Sa Majesté Carnestoltes se termine le Mercredi des Cendres. Dès 7 heures du matin, les veuves pleurent autour de sa dépouille. Son cercueil est promené dans les rues pour que nul n’ignore sa mort. Son secrétaire lit publiquement son testament, qui annonce son retour fidèle l’année prochaine. On finit par brûler le cercueil au milieu des feux d’artifice, joliment appelés en catalan « castells de foc » (châteaux de feu). C’est l’enterrement de la sardine ! Si le carnaval de Vilanova i la Geltrú s’est maintenu intact et vibrant à travers les décennies, c’est que la ferveur qui le sous-tend ne s’est jamais démentie tant cette fête est emblématique de la ville, mais aussi de sa capacité de résistance et d’obstination. Une expérience vraiment unique, à vivre pleinement !
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