04 Nov Catalonia is not Spain (la Catalogne ce n’est pas l’Espagne)
Tout est dit. La Catalogne, l’une des plus vieilles nations européennes, forte de sa culture millénaire, de sa langue jalousement conservée, et de son économie, ‘une des plus dynamiques d’Europe, n’est pas l’Espagne. La Catalogne, cest un autre pays.
L’obsession de Franco
Franco, interrogé sur les raisons de son soulèvement nationaliste répondait en 1939 : « la question de la Catalogne est sans conteste l’une des raisons du soulèvement ».
En réalité, les Catalans n’ont cessé au cours des siècles de manifester leur différence de langue et de culture, tentant fréquemment des alliances avec la France pour se libérer du joug castillan. La poussée indépendantiste d’aujourd’hui n’a donc rien d’une poussée de fièvre. Elle est au contraire l’aboutissement de décennies d’attente.
Contre le fascisme, d’abord
Après la guerre d’Espagne, les élites de la péninsule se retrouvent en exil à Paris ou en Amérique du sud ; pour beaucoup, l’engagement politique, la lutte contre le fascisme, la nécessité d’une reconquête longtemps espérée, prennent le pas sur les particularismes. Les Catalans en exil ont leur propre gouvernement et misent sur la restauration de la démocratie pour se faire entendre.
1976 : la Generalitat restaurée
Ainsi, lorsque meurt Franco et que le roi Juan Carlos, grand protégé du Caudillo se prononce contre toute attente en faveur d’un système démocratique, Catalans et Espagnols s’entendent pour que soient pleinement restaurés la Generalitat de Catalunya et son parlement, sous la houlette de la grande figure de la résistance en exil : Josep Terradellas.
Café para todos
Dès lors commencent les négociations relatives au statut d’autonomie du pays, qui portent notamment sur la langue, l’éducation, la culture, pour permettre à la Catalogne de rayonner, d’organiser son territoire et de devenir la 6e région économique d’Europe. En parallèle, les Basques obtiennent un statut encore plus avantageux. Pour faire passer auprès des autres Espagnols cette pilule amère, le gouvernement de Felipe Gonzalez invente le « café para todos. »
Des autonomies fictives
Puisqu’on ne peut éviter de donner des gages de fédéralisme éclairé à la Catalogne et au Pays Basque, et puisqu’il est tout aussi impossible d’ignorer les réactions d’une opinion publique espagnole hostile aux particularismes, le gouvernement invente de toutes pièces 15 régions autonomes qui n’avaient au préalable rien demandé.
Une vraie gabegie
Problème : ce mille-feuille devient en quelques années une gabegie : 17 gouvernements autonomes ont leur personnel et leurs élus et deviennent, en outre, de grands consommateurs de crédits européens. Sous le gouvernement de José Maria Aznar, plus centraliste et nationaliste que le précédent, l’Etat espagnol se lance dans de vastes travaux d’infrastructures hors de Catalogne et dans une moindre mesure du Pays Basque. Jordi Pujol, puissant président de la Generalitat s’en accommode : la Catalogne est riche, elle dame le pion à l’Espagne et fait les majorités à Madrid.
Un statut raboté
Ainsi, le TGV dessert-il aujourd’hui des zones désolées, pour quelques dizaines de voyageurs notamment en Extremadura et en Andalousie. Les aéroports ne sont pas en reste, parfois construits pour deux dessertes par jour ! Rien de tel en revanche pour la Catalogne privée de TGV, pour cause d’atermoiements madrilènes sans fin, alors qu’elle est la porte vers l’Europe du nord. En 2006, la « renégociation » du statut, en fait un rabotage en règle du texte voté par le Parlement catalan et approuvé par le peuple, commence à cristalliser les points de divergence.
La diada 2012 : le tournant
La crise commence à peser sur l’Espagne et sa bulle immobilière dès 2007. Le nouveau gouvernement ultra-conservateur de Mariano Rajoy prend la responsabilité de ne pas reverser à la Catalogne son ratio d’impôts levés alors qu’elle contribue pour plus de 30% au PIB de l’état. C’est la goutte de trop. En 2012, le jour de la Diada regroupe dans les rues de Barcelone plus d’un million et demi de Catalans, dont quelques dizaines de milliers venus du nord, pour réclamer l’indépendance.
La société catalane debout
Artur Mas, élevé au biberon autonomiste, est dépassé par cette expression populaire qu’il pressent irrésistible. Pour la première fois, il évoque une possible autodétermination. La société catalane tout entière se saisit alors du problème : partout, sur les balcons des banlieues peuplées d’immigrés comme dans les cœurs de ville, fleurissent des « estelades » (drapeaux indépendantistes catalans). Les réseaux sociaux sont inondés de messages réclamant un référendum.
Le tsunami
Les associations se fédèrent et s’organisent. Le 11 septembre 2013, deux millions de Catalans de souche ou de cœur se donnent la main sur plus de 400 km de côte ou dans les rues de Barcelone. (Imaginons 20 millions de Français dans la rue…) Une marée humaine pour dire stop aux multiples vexations et trahisons de l’Etat espagnol qui s’attaque à l’enseignement, à l’usage de la langue et rogne lentement les acquis. Artur Mas prend la mesure du problème et de son propre rôle, historique.
Le grand rendez-vous
Le monde entier a compris que se jouait en Catalogne une partie décisive. Artur Mas a promis un référendum sur l’indépendance d’ici trois mois. Madrid multiplie les agitations et les provocations, au point que l’on peut légitimement se demander si un épisode violent reste vraiment impensable. Cette fois, la Catalogne a rendez-vous avec son destin : un rendez-vous a priori pacifique et démocratique qui rebat l’air de rien les cartes de la construction européenne.
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