
03 Avr Comme un jardin anglais
La Conca ressemble un peu au creux que forment deux mains, paumes ouvertes et rapprochées pour retenir l’eau ou le sable. Sur la courbe des doigts repliés, là où le relief s’élève, s’étendent de vastes pans de nature sauvage, si spécifiques qu’ils ont obtenu le label d’espaces protégés.
Ces écrins, inattendus dans une comarca où domine un tempérament sec peu propice aux exubérances végétales, se concentrent bien évidemment dans les hauteurs et autour du lit des rivières. Ils s’ouvrent à la promenade tranquille autant qu’aux prouesses sportives, à la contemplation autant qu’à la photographie, et font de la Conca un petit paradis vert, littéralement strié de sentiers où se presse une foule de randonneurs, de cyclistes et de passionnés d’escalades venus de toute la Catalogne. Cet arrière-pays de la Costa Daurada fait le lien à la fois avec le sud profond et les pays de Lleida, mais attire aussi nombre d’étrangers séduits par le cocktail nature-culture qui trouve ici une magie particulière. Blottie contre la comarca voisine des Garrigues, la vallée de Vinaixa, au tempérament assez sauvage, alterne champs de cultures sèches et forêts en damier harmonieux de verts et d’ocres. Elle est le royaume de l’aigle de Bonelli, qui griffe son ciel pur de grandes arabesques.
Un écrin naturel préservé
Du côté de l’Alt Camp, plus à l’est, le Tossal Gros de Miramar, grande excroissance minérale qui barre le chemin vers la mer, sépare les lits des rivières Gaià et Francolí, envoyant la première dans les bras bleus de la Méditerranée, l’autre vers Montblanc et l’Espluga, à l’intérieur des terres. Insolite par sa géologie qui révèle des origines volcaniques, il s’agit d’un haut lieu d’escale migratoire pour les rapaces, qui, décidément, semblent avoir compris le tempérament sauvage et libre de ces terres en partie indomptées, et aussi une invitation aux ascensions faciles vers des points élevés d’où contempler la comarca. Le Tossal fait en effet la joie de tous ceux qui sont en quête de vieilles ruines et de vues saisissantes, comme s’il voulait offrir à ses visiteurs un peu de ce que peuvent voir ses aigles fidèles qui tournoient tout là-haut.
Terre de contrastes et de biodiversité
C’est un bien joli sas avant d’accéder à la merveille environnementale que constitue le bloc des Montagnes de Prades, une vraie forteresse minérale qui apparaît derrière Montblanc et qui, si nous devions lui trouver un équivalent, conjuguerait Conflent, Vallespir et Albères. Bien que cet espace protégé soit partagé entre plusieurs comarques, plusieurs villages de la Conca s’y perchent ou s’y lovent. Nous voulons parler, bien sûr, des tours crénelées des enceintes de Montblanc et du sublime Monastère de Poblet, mais aussi de petit village de Vimbodí avec son musée du verre, son four où des verriers virtuoses créent sous vos yeux des objets magnifiques et son lavoir d’où sourdent, venues de grottes anciennes, les eaux du Francolí qui n’a pas encore son nom. Vilanova de Prades vous surprendra par son relief étagé et courbé qui lui donne des airs altiers de douar marocain. Il vous envoûtera avec la saveur de ses châtaignes et de ses truffes. Vallclara, village médiéval autrefois entouré de remparts et dominé par un château aujourd’hui disparu, vous laissera comme une trace de nostalgie et l’empreinte encore palpable d’un passé convulsif et glorieux. Enfin, l’Espluga de Francolí vous ouvrira ses places anciennes, ses superbes grottes préhistoriques, les plus longues de Catalogne, et aussi son magnifique musée de la vie rurale, sobrement baptisé Terra.
Villages chargés d’histoire
Les paysages sont beaux, plus montagneux que ne l’indiquerait leur seule altitude, et les villages, prisés des estivants et des vacanciers, sont fièrement peuplés toute l’année. Ils baignent dans un ocre clair qui rappelle par moments les maisons en pisé du haut pays berbère et se fondent dans la roche, si bien qu’ils troublent à peine de grands espaces restés libres de toute présence humaine pendant près de 30 000 ans, entre les hommes préhistoriques qui ont laissé ici des traces magistrales d’art rupestre et les innombrables randonneurs et fous d’escalade d’aujourd’hui. La faune et la flore endémiques se sont développées en toute tranquillité. Des réserves naturelles viennent s’enchâsser dans ce cadre idyllique et préservé. La plus belle est sans aucun doute le site naturel de Poblet où le Francolí entame sa course de lumière, au sein de l’une des forêts les plus denses du sud de la Catalogne, un bois de rivière planté de bouleaux d’un blanc spectral qui dégagent une poésie puissante et évoquent des latitudes vraiment plus nordiques. D’innombrables sentiers ombragés parcourent cet endroit qui semble prolonger la quiétude et la force de transcendance de l’abbaye voisine, entourée de vignes impeccables.
Paradis pour randonneurs
Tous mènent au cœur des Montagnes de Prades, qui semblent littéralement aimanter tout le paysage. Ils traversent des vignes sur les adrets, des bois méditerranéens et euro-sibériens sur les ubacs. Des miradors judicieusement placés et aménagés, permettent de prendre de la hauteur pour contempler ces paysages uniques, et peut-être saisir du regard la présence discrète, le plus souvent l’esquive rapide, des sittelles bleues, des grives, des coqs de bruyère, des faucons pèlerins, des fouines, des blaireaux, des renards, des sangliers, et des chevreuils. La signalétique, servie par des pictogrammes très lisibles et la précision du balisage permet d’accéder facilement aux sites les plus singuliers des environs de Poblet et des Montagnes de Prades, parsemés de petits ermitages, souvent romans, de mas isolés et de hameaux, tous faits de pierres sèches, un camaïeu d’ocres qui paillette d’or la moindre vue. Grottes, gouffres et marmites offrent de petites oasis bleues où il fait bon faire une pause fraîcheur. Le tout est dominé à 1200 m par le Tossal de la Baltasana. Le site de Poblet et l’espace protégé des Montagnes de Prades sont si indissociables, si complémentaires, qu’ils vont probablement fusionner pour devenir un Parc Naturel dont ils possèdent déjà tous les attributs. Et ce n’est pas fini ! La rivière Corb entre dans la comarca sous une haie de paysages qui alternent bois et cultures de l’olivier et de l’amandier. Les rouvraies plantées d’arbres à petites feuilles et la présence d’arbres nordiques comme le bouleau dans un environnement extrêmement continental et sec sont en soi une curiosité remarquable de cette Conca de Barberà décidément imprévisible. Tout ce monde un peu secret est à découvrir à pied ou à vélo. Ne manquez pas, au fil de l’eau du Corb, les bains de Vallfogona à Riucorb avec leurs sources chaudes, la fontaine « puante » et la petite fontaine, un lieu de charme et de paix, élégant et stylé comme il sied aux stations thermales, avec ses hôtels surannés et luxueux. Le village, siège d’une ancienne commanderie templière, avec de beaux restes médiévaux, dont le château, mérite votre visite. Un peu plus loin, les ruines du château de Savella et de son ermitage roman ont gardé, malgré les terribles outrages du temps, la force de suggérer ce qu’ils furent et sont l’occasion d’une belle promenade. La Conca de Barberà est une enchanteresse. Elle saura vous en mettre plein les yeux et les poumons, comme pour mieux rappeler que le geste architectural est toujours précédé de celui, immense et admirable, de la nature.
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