12 Juin Conflent le bien nommé
Terre plurielle, le Conflent sait allier tous les contraires : ses eaux sont vives et glacées, ses sources chaudes et douces, ses plaines riantes et ses montagnes altières. Terre ‘hospitalité, il a pourtant su garder, d’une vallée à l’autre, une authenticité farouche, gardée par les sommets souverains du Canigou.
Berceau de la Catalogne
Il y a onze siècles naissait la Catalogne autour d’une dynastie appelée à marquer le monde occidental de son empreinte originale : la lignée des comtes de Barcelone, plus tard comtes-rois de Catalogne et d’Aragon. Son fondateur, Guifré le Velu, naquit en effet à Ria, encore dominé aujourd’hui par les ruines éparses de son château fort, avant de construire d’alliance en alliance, d’adoubement en vassalité, ce qui allait devenir une grande puissance médiévale, puis, de façon plus inattendue quand on contemple ce cirque de montagnes et de torrents encaissés, l’une des plus grandes puissances de Méditerranée. Une véritable chanson de geste, devenue un mythe fondateur.
Un pays éclairé
Un siècle plus tard, un autre descendant de la maison de Barcelone allait éclairer le monde médiéval de sa personnalité hors norme. L’abbé Oliba, abbé de Saint Michel de Cuixà, puis évêque de Vic, allait inventer la Paix et Trêve de Dieu, un concept révolutionnaire interdisant aux seigneurs féodaux de guerroyer à certaines dates, en détruisant les récoltes et massacrant au passage les paysans. L’idée de cessez-le-feu venait de naître, dans toute sa modernité ! Un épisode si incroyable, si insolite, si particulier à la Catalogne aussi, que Pau Casals, en lutte pour la liberté de son peuple, en fera mention devant l’assemblée des Nations Unies !
Un pays résistant
Tout au long de son histoire, le Conflent a montré son enracinement catalan. Lorsque les Français annexent la Catalogne du nord, la greffe prend très difficilement. Plus difficilement encore, en ces terres d’élevage et de salaisons, car au mépris du droit catalan coutumier, « Els Usatges » qu’ils s’étaient pourtant engagés à respecter. Louis XIV s’empresse d’appliquer la gabelle, ruinant du même coup les économies locales. Déjà peu enclins à accepter le joug français, Conflent et Vallespir se soulèvent et livrent pendant plus de quinze ans une guérilla sans merci contre les armées du roi Soleil, en utilisant les comarques voisines du sud (Alta Garrotxa et Ripollès) comme sanctuaires. Cette guerre du sel, connue sous le nom de « Guerra dels Angelets » est absente des livres d’histoire, mais n’en a pas moins constitué un épisode particulièrement sanglant et glorieux pour le Conflent. Et que dire du maquis de Valmanya, rasé par les nazis pendant la Seconde Guerre Mondiale…
Un pays fortifié
Il ne faut d’ailleurs pas chercher plus loin que dans cet esprit de résistance, le souci manifesté très tôt par Louis XIV de verrouiller ce nouveau territoire perçu comme ingérable et frondeur, dont la langue échappe même aux zélés gabelous occitans, alors dépêchés à la rescousse pour contenir les populations. A cet effet, deux énormes forteresses vont être conçues par la star des architectes militaires, Sébastien Vauban : la magnifique ville fortifiée de Villefranche avec son fortin Fort Libéria, qui agit comme une véritable serrure en aval des gorges de la Têt, et la citadelle de Mont-Louis qui les boucle en amont, aux portes de la Cerdagne ! Un chapelet de villages, encore ceints de leurs remparts et couronnés des ruines de leurs châteaux forts, semble enserrer toute la plaine et dominer les gorges. Ici, quelques-uns des plus beaux villages qui se puissent imaginer ponctuent des itinéraires foisonnants de découvertes culturelles, naturelles, à vivre comme autant d’expériences uniques.
Montagnes et rivières
Mais la vraie forteresse du Conflent est d’une autre puissance : c’est le Canigou, majestueux, dominateur, flanqué du massif de Madres, qui règne en maître sur les vergers de pêchers et de pommiers, sur les lacs endormis du côté de Nohèdes, sur les nombreux cours d’eau qui strient ses flancs et confluent, de ruisseau en torrent, de torrent en rivière jusqu’à la Têt nourricière des vergers et jardins. Le Canigou dont les flancs généreux ont été exploités pendant des générations par les hommes : mines de fer – on le dit le plus pur d’Europe, il est réputé ne jamais rouiller -, mines de grenat aussi, cette pierre que saigne le pays catalan et qui est devenue sa gemme emblématique. Mines de marbre enfin, ce marbre rose veiné de bleu qui nimbe de douceur la moindre chapelle, la plus modeste fontaine. Le Canigou qui veille sur la flamme des pays catalans et se la laisse voler, une fois par an, pour aller embraser au soir de la Saint Jean toutes les contrées qui, de loin, le regardent.
Au cœur de la roche
Sur ses flancs, le long du Cadi, le massif calcaire situé au sud de Villefranche possède un réseau souterrain de premier ordre. Il s’est formé il y a 400 millions d’années. La Grotte des Canalettes, a été découverte en 1954 et rapidement ouverte au public. Plus tard, en 1984, la Grotte des Grandes Canalettes a également fait l’objet d’une exploitation touristique. S’y est ajoutée la Cova Bastera, dont l’entrée est située sur la route nationale, juste devant les remparts. Des salles immenses aux lacs tranquilles, la visite permet d’observer un nombre inimaginable de formes sculpturales formées par l’eau et la roche. La température y est d’environ 14°, été comme hiver. Plus qu’une leçon de géologie, c’est une véritable leçon de poésie qui vous y attend et ne manquera pas de vous envoûter.
Des failles profondes
Dans ces roches multimillénaires, l’eau a creusé des gorges profondes, vertigineuses, ponctuées de vastes vasques, de cascades, de rapides qui ont creusé, sculpté, poli le roc. Des algues ont tapissé la pierre de dentelles turquoise et émeraude, et fait de ces chemins d’eau surplombés de falaises abruptes et d’à-pics vertigineux, de ces canyons encaissés, un véritable paradis pour les amoureux des sports d’eaux vives et les promeneurs tentés par l’aventure du vertige : ponts de singe, passerelles, bases de rafting et de canyoning, les gorges du Llech, de la Carança ou du Cadi savent tout faire : émotions fortes et cadres grandioses garantis. A moins que vous n’optiez simplement pour le plaisir d’une baignade en eau douce et fraîche, un véritable bain de jouvence !
Des parcs naturels
La nature du Conflent est si belle, sa faune endémique si particulière, que deux immenses parcs naturels occupent une grande partie de son territoire : la réserve de Nyer (2 000 ha) avec ses chemins de randonnée balisés et son exposition permanente sur les mœurs des chauves-souris, et la réserve de Py-Mantet (7 000 ha) avec ses dénivelés incroyables, ses profusions de plantes et de fleurs et son panorama époustouflant. Si vous aimez la randonnée, le quad, le vélo ou encore les grandes excursions à cheval, vous avez trouvé votre royaume !
Le cœur battant des pierres
Au cœur de la pierre, au lieu même de la naissance des Pyrénées se joue un autre miracle : l’eau des volcans endormis jaillit ça et là en sources bienfaisantes, parfois au beau milieu d’un éboulis comme à Prats-Balaguer ou à côté de Thuès sagement canalisée, domptée, pour le plus grand plaisir des hommes, comme à Saint Thomas avec ses piscines à fleur de roche, ou encore carrément thérapeutique comme à Vernet, la station chic du Conflent, à Molitg et son trésor de bienfaits cosmétiques ou encore Thuès qui a abrité et permis tant et tant de convalescences.
Une terre généreuse
Car le Conflent est naturellement généreux. Partout, dans ses parties de plaine, des vergers minutieusement soignés regorgent de belles pêches dorées, d’abricots, de miel pur, puis, plus haut, de belles pommes goûteuses. Partout, des potagers qui récompensent au centuple le travail de l’homme, des ruches, des brebis et des vaches. Il faut dire qu’ici, l’eau est domestiquée, acheminée par des centaines de canaux, puis distillée de champ en champ. Alliée à l’ensoleillement et à la tramontane, elle a fait du Conflent un pays de cocagne. Encore aujourd’hui, le barrage de Vinça équilibre et étale les apports en eau, prévenant les crues brusques et dévastatrices qui tant de fois au cours des siècles, ont ravagé ce pays de confluences. Rien d’étonnant donc, face à cette nature aussi riche qu’ombrageuse, à ce que les hommes du Moyen-âge aient eu à cœur de remercier et de conjurer le ciel !
Un pays roman
Deux immenses abbayes, reconnues dans le monde entier comme de véritables trésors du roman dominent le Conflent de leur stature spirituelle, immémoriale. Sur le flanc du Canigou, située comme l’aire d’un aigle royal s’élève Saint Martin, peu accessible et sublime, double paradis des pèlerins et des randonneurs. A quelques kilomètres de Prades, c’est l’abbaye de Saint Michel de Cuixà qui ouvre la grâce de son cloître, les mystères de sa crypte et ses arcs outrepassés aux pas des promeneurs et à l’inspiration des musiciens. Ce joyau de l’art préroman abrite encore aujourd’hui des frères bénédictins. Le village le plus minuscule possède son église romane qui semble littéralement sortir des pierres, toujours modeste dans ses dimensions et ses ouvertures, action de grâces naïve, belle jetée vers le ciel et l’hostilité des montagnes.
Des retables somptueux
Ces écrins de pierre deviennent les gardiens de trésors plus tardifs mais que l’on trouve ici en incroyable concentration : les retables baroques, magnifiques, variés, réalisés par d’immenses artistes, font des églises des théâtres (comme à Espira où vous découvrirez une véritable mise en scène de personnages bibliques en trois dimensions), de véritables palais dorés, comme à Prades dont l’immense retable d’or vous éblouira) ou des merveilles de marbre blanc (comme à Corneilla : au passage, admirez le magnifique clocher quadrangulaire, il est absolument unique). Et surtout n’hésitez pas à pousser les portes de la moindre chapelle, du plus petit cimetière, l’inattendu est partout. On sent affleurer un pays de légendes, d’ondines et de mythes, un pays de mémoire orale murmurée à la veillée.
Des villages animés
Ne nous y trompons pas, le Conflent est de toute éternité une terre de passage : il garde de cette vocation première le sens des marchés de terroir à forte plus-value gastronomique, la capacité à accueillir et susciter festivals et créations, comme à Mosset où tous les ans, la population monte un opéra, à Prades avec le festival Pau Casals et les Cinés-Rencontres ou encore à Eus, avec les « Nits de Cançó o de Música » et surtout, le Conflent cultive la convivialité et l’hospitalité qui attirent et retiennent exilés de toute sorte, nouveaux Catalans et touristes.
Des paysages à fleur de ciel
Mais si vous voulez voir le Conflent dans la réalité de ses reliefs vertigineux, rien de mieux que de prendre le Train Jaune. Rien à voir avec ce que vous voyez depuis la route nationale. On devine ce parcours plus proche de celui des muletiers et traginaires qui sillonnaient la montagne, on mesure à la fois la modestie et la grandeur de ces générations de paysans têtus, de mineurs obstinés à dompter la montagne, de convoyeurs de glace ou de bergers. Au-dessus d’Olette, le chemin semble s’élancer dans une ascension improbable, la végétation se raréfie, on tutoie le toit des Pyrénées et les maisons semblent se rétrécir dans leur habit de pierre taillée.
Tout le Conflent invite à la fois au repos et au dépassement : gîtes aux toits d’ardoise nichés dans les châtaigniers, refuges agrippés au flanc du Canigou, bains lascifs dans les sources chaudes, sports extrêmes dans les canyons, randonnées paisibles, ici tout est possible. Et tout se décline de saison en saison, dans la chute des feuilles et le manteau de neige et là, en ce moment dans la profusion ivre du printemps tardif.
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