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Derrière les murs… Mont-Louis secrète

01 Nov Derrière les murs… Mont-Louis secrète

De Mont-Louis, on ne connaît souvent que les hauts murs et quelques ruelles charmantes. Mais cette toute petite ville bâtie ex nihilo il y a trois siècles, a bien des secrets à livrer… Cap Catalogne pousse pour vous les portes de sa citadelle, lieu d’histoire militaire aujourd’hui dédié à l’entraînement commando, et vous emmène à la découverte de son four solaire, un surprenant équipement de Géo-Trouve-Tout. Cap sur une cité et une citadelle, hors du commun, classées par l’UNESCO au titre des fortifications Vauban.
ML2C’est l’histoire d’un petit bout de plateau ignoré des hommes, perché tout en haut de la vallée de la Têt. Un promontoire couvert de végétation, avec pour seul voisinage un petit hameau du nom du Vilar d’Ovança. Ainsi, en était-il de Mont-Louis, jusqu’au XVIIe siècle… Et ainsi aurait-il pu en être, aujourd’hui encore. Mais l’Histoire a dévolu un tout autre rôle à ce bout de terrain opportunément situé à la jonction des routes du Roussillon, du Capcir et de la Cerdagne… Dans cette zone poreuse de frontière entre France et Espagne. Flash-back. Nous sommes en 1659. La France vient de gagner la guerre contre l’Espagne. Elle récupère, entre autres, un bout de Catalogne… Qui deviendra plus tard le département des Pyrénées-Orientales (avec les Fenouillèdes, occitanes). Mais, les incursions espagnoles sont fréquentes sur ce nouveau bout de France, qui n’en porte d’ailleurs que le nom… Ici, on goûte peu la présence de celui qu’on considère comme l’envahisseur. Louis XIV aurait préféré échanger ce territoire contre un autre, dans les Flandres espagnoles, mais n’y parvenant pas, il décide de sécuriser ses frontières. C’est dans ce contexte que débarque dans la région le spécialiste de l’architecture militaire, Vauban. « Dans un premier temps il se rend sur la frontière, raconte la guide de l’office de tourisme de Mont-Louis, Sylvie Candau. Aucune des places qu’il visite ne convient ». Vauban s’arrête dans le petit hameau du Vilar d’Ovança… Et trouve alors son bonheur, sur le promontoire voisin. Une situation géographique idéale, une barrière naturelle opportune, au nord-est du site, permettant de conséquentes économies de construction, et des matériaux disponibles à proximité.

Une fourmilière de 3 700 soldats

Le seul problème sera de trouver des ouvriers… Peu importe, les soldats du royaume de France feront l’affaire. « Ils vont assurer l’essentiel de cette construction ex nihilo, raconte Sylvie Candau. Vauban reste deux jours, fait dessiner les plans, etc. Le 5 juin 1679, les travaux débutent, et le 26 octobre 1681, deux ans plus tard, le gouverneur inaugure les remparts de la citadelle et de la ville ». Une affaire rondement menée… Pour laquelle une impressionnante fourmilière de 3 700 soldats et de nombreux artisans se sera activée à un rythme effréné pendant six à sept mois de l’année, d’avril à octobre, entre deux saisons de neige. On imagine la taille des campements, l’intendance quotidienne, les transports de victuailles et autres ravitaillements… C’est une véritable petite société qui se construit le temps de ces travaux. Et, une fois le chantier achevé, c’est encore un monde à part qui s’organise derrière les murs de la forteresse. Un monde militaire et français, dans une région qui ne parle pas la même langue et dont la culture est tout autre.

ML4Entrer dans une citadelle militaire

Pour découvrir cet univers intra-muros, nous traversons la cité « civile » de Mont-Louis, sur les pas de Sylvie Candau, et grimpons jusqu’à la forteresse. Car si elle est occupée par les militaires, les civils ont le droit de la visiter, uniquement dans le cadre des visites guidées de l’office de tourisme de Mont-Louis, et à la condition expresse de se faire discrets, c’est-à-dire en remisant les appareils photos et en suivant consciencieusement le circuit déterminé. Notre petit groupe s’élance timidement sur les talons de Sylvie. « Salut, six personnes ! » annonce-t-elle au planton invisible dans sa guérite. « Ok, allez-y » répond-il. Mais alors qu’on s’attend à filer vers l’énorme porte d’entrée de la citadelle, Sylvie s’immobilise sur le pont et entame un cours express d’architecture militaire. « Vous voyez qu’au XVIIe siècle, on n’est plus dans l’architecture médiévale, embraye-t-elle. Il n’y a plus de tour, de donjon, de créneau,… Car à cette époque, on attaque au canon ».

Des échauguettes qui portent mal leur nom

Notre guide nous explique que les demi-lunes sont des postes de tir avancés, que les échauguettes servaient à guetter, par définition au chaud, mais portent mal leur nom à 1 000 mètres d’altitude en hiver. La stratégie de défense militaire tout entière repose sur un système d’étagement des défenses et de chicanes pour éviter les tirs en enfilade. Ajoutez à cela un pont-levis, trois portes, une herse à faire tomber… C’est toute une logique qui rend la forteresse imprenable. Vauban est par ailleurs connu pour avoir toujours eu à l’esprit le souci d’économiser les vies humaines. Nous débouchons maintenant sur une place immense, insoupçonnable de l’extérieur, encadrée de casernes. Aujourd’hui, manque de chance, il n’y a pas de stage. Mais un autre jour, nous serions peut-être tombés nez à nez avec des militaires en train de grimper aux murs ou de courir, en se faisant vertement encourager par un chef… Car c’est le CNEC 1er choc, le Centre National d’Entraînement Commando, qui est installé à Mont-Louis (ce même CNEC qui dispose d’une antenne à Collioure)… Les fameux bérets rouges. Ils apprennent à soumettre leur corps à leur mental, en réalisant des exercices difficiles, épuisants, stressants, et même à dormir en marchant.

Exercices commando en live

Mais pour le visiteur baladé par le guide l’office de tourisme, il faut bien le dire, la présence des militaires est surtout divertissante et quelque peu exotique. Sylvie soupçonne même certains touristes de ne participer aux visites que pour le plaisir d’entendre, entre deux descriptions d’ordre architectural, un chef éructer sur ses stagiaires ! Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, la grande cour est vide et Sylvie échange deux mots et une plaisanterie avec les quelques militaires que nous croisons. L’acceptation de ces incursions de civils dans les murs de la citadelle a de quoi surprendre. Sylvie a son explication. « La confiance s’est établie petit à petit. Et puis, les militaires se sont approprié l’histoire de la citadelle. Quand nous avons obtenu le classement de l’UNESCO, les gars m’ont dit ” on a gagné ” ». Mais l’affaire « du puits des forçats » aura aussi créé des liens… Le puits, nous y arrivons justement : il se trouve dans un petit bâtiment. Ce n’est pas un simple trou dans le sol… Il est accompagné d’une imposante roue, semblable à un jouet de hamster, mais à taille d’homme.

Quand le soldat puni « faisait le hamster »

Une pièce rare, d’époque, superbe, dans laquelle les militaires punis étaient vraisemblablement condamnés à « faire le hamster », explique Sylvie… C’est-à-dire, à marcher pendant des heures, pour activer la poulie qui remontait d’énormes seaux et les versait dans une canalisation débouchant sur le grand bassin attenant. Autant d’informations dont Sylvie a eu confirmation il y a quelques années, après avoir voulu en savoir plus sur ce puits hors du commun. « Mon premier travail a été de consulter les archives militaires. Tout ce que j’ai pu trouver, c’est un plan annonçant 28 mètres de profondeur. J’ai alors demandé au Colonel de nous prêter des plongeurs de Collioure pour essayer de comprendre comment l’eau arrivait au puits ».

Plongée dans une eau à 4 °C

Et les militaires se sont retrouvés en plein exercice pratique. « Il faisait -17 °C dans cette pièce et ils ont plongé dans une eau à 4 °C ! Ils m’ont détestée je crois. J’ai dû me racheter à renfort de plaquettes de chocolats, c’était nécessaire pour qu’ils reprennent de l’énergie ». Les plongeurs sont parvenus à descendre à 24 mètres. Et ont découvert que le puits avait servi… De poubelle. « Alors le Colonel a proposé de prêter à nouveau ses plongeurs pour nettoyer ! » sourit Sylvie. Et notre guide de dresser un inventaire à la Prévert. « Pierres, poutres, os de poulet, poignées de portes, francs, nouveaux francs, pesetas,… » Un bric-à-brac balancé comme une ritournelle, qui prête à sourire. Mais surtout, les militaires ont retrouvé plusieurs seaux d’époque, dont certains sont encore visibles, immergés dans le bassin. « Il nous reste 1,40 mètre à sortir, mais nous buttons pour l’instant sur deux vilains rochers » conclut Sylvie. Nous retraversons la cour en sens inverse, franchissons les grandes portes de la citadelle… Comme on revient à la réalité.

ML3Deux miroirs gigantesques

Nous partons maintenant à l’assaut de la deuxième grande curiosité de Mont-Louis : son four solaire. Notre guide, Ludovic, nous fait traverser une pièce obscure et nous débouchons sur un vaste espace extérieur, au pied du bastion sud de la cité. Deux miroirs gigantesques se font face. L’un est droit et face au soleil, dont il suit la course au fil de la journée, grâce à une programmation informatique ; c’est l’héliostat. Il est composé de 567 miroirs ! L’autre, avec ses 860 miroirs, est incurvé, et orienté plein nord, c’est le concentrateur. Au beau milieu de ces deux géants, se tient une structure, le laboratoire. Sur les côtés du site, toutes sortes d’installations miniatures semblent avoir été laissées là par inadvertance. Un ancien projecteur de la DCA datant de 1941, un bout de rail et une brique réfractaire fondus, ou encore de drôles de meubles, a priori de bric et de broc, qui sont en fait des versions écolos de fours et autre barbecue ! Dans cet univers hétéroclite de labo de plein air, on se sent un peu comme chez Géo-trouve-tout. Et Géo, en l’occurrence Félix Trombe, a trouvé… C’est à Mont-Louis qu’il a réalisé ses essais de four solaire, dès 1949, vingt ans avant de s’atteler à l’ouverture du four solaire d’Odeillo. Ludovic nous explique le principe de la production de chaleur par concentration des rayons du soleil, grâce à plusieurs ateliers pratiques. Mais, c’est le point d’orgue de la visite qui ravit le plus les visiteurs. Il grimpe l’escalier du labo jusqu’à arriver sur une plate-forme.

La planche s’enflamme instantanément

Là, il attrape une planche. Il tend le bras, la main protégée d’un gant. Et, instantanément, le bout de bois fume et s’enflamme. Un phénomène impressionnant, mais somme toute logique. Ludovic a trouvé le point de concentration des rayons du soleil, formé par l’interaction entre le concentrateur et l’héliostat. En ce point précis, la température flirte avec les 3 000 °C… soit trois fois celle de la lave d’un volcan. De quoi, effectivement, inciter à passer un gant pour effectuer la démonstration ! Nous quittons ce lieu passionnant pour revenir aux ruelles de Mont-Louis… Et observer avec un regard neuf cette petite cité surprenante.

Une cité sans passé

Une épicerie, un magasin d’artisanat, un distributeur de journaux, deux terrasses de café et même un hôtel-balnéo hors les murs… Mont-Louis ressemble à première vue à n’importe quelle petite ville de montagne. Pourtant, dans ces ruelles construites bien après l’époque médiévale, auprès de cette église qui, contrairement à ses voisines de Haut-Conflent, n’a rien de roman, dans les salles voûtées du restaurant Le Dagobert, tout respire l’univers militaire du XVIIe siècle. L’époque de la construction d’une ville, ex nihilo, en terre hostile, comme dernier bastion de la citadelle voisine, imprenable. Mont-Louis est décidément unique en terre catalane.

Fanny Linares

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