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Des gens de bien

01 Août Des gens de bien

Le Haut-Vallespir possède pourtant une grâce qui surpasse son patrimoine bâti et la beauté insolente de son cadre naturel : ses gens. Ils sont sa plus-value la plus sûre, avec leur mentalité forgée aux revers des temps et leur tradition d’accueil ancestrale. Voici un calendrier succinct et alléchant des fêtes de la vallée !

En Haut-Vallespir on fait la fête comme on respire, comme on pointe un pas de sardane, rythmés par un chapelet de célébrations qui empruntent bien sûr au calendrier chrétien des anciens, mais n’ont souvent plus grand-chose de liturgique dans le grand élan où se mêlent cultuel et culturel. Certes, des temps forts parfaitement laïques se sont ajoutés, si bien que l’année s’écoule en musiques, en rires, en rendez-vous qui souvent regroupent toute la vallée, depuis que la voiture a eu raison des isolements et antagonismes d’un autre âge. Impossible de ne pas évoquer, à tout seigneur tout honneur, la Fête de l’Ours, inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco, d’autant qu’elle dure désormais quasiment toute l’année, occupe les cimaises de « Visa pour l’Image », et inspire livres et chansons.

Rites, légendes et réjouissances

Au départ, il s’agit d’une fête de résurgence et de fécondité annonciatrice du printemps et destinée à conjurer l’exogamie : un plantigrade venu des bois (juste assez anthropomorphe pour pouvoir se transformer) cherche à enlever une jeune fille. Il est poursuivi par les chasseurs, rasé par des barbiers, exorcisé par un sermon et rendu à la communauté villageoise. Selon les villages, les connotations scatologiques ou transgressives sont plus ou moins marquées comme à Saint-Laurent-de-Cerdans, ou un moine réchauffe le dessous des jupes tandis que des boudins noirs flottent dans le muscat. Toujours est-il que si l’on ajoute le carnaval d’Amélie avec ses deux corsos fleuris, son mariage parodique (el Casament Tremblant) et son étrange contre-procession de pénitents coiffés de capuches blanches, les Grégoires, qui enterrent en pleurant Sa Majesté carnaval, cinq week-ends de liesse se sont déjà succédés ! Juste le temps d’attendre le passage musical des Goigs dels Ous et la patiente confection des crespells, entendez par là oreillettes ! Des groupes costumés chantent des cantiques d’offrande dans les rues et se voient remettre par la population reconnaissante des victuailles : œufs, vin, charcuterie… La fête est complète. À Prats-de-Mollo et à Arles-sur-Tech, les processions du Vendredi Saint drainent une foule fervente, souvent venue de loin, pour voir passer les « misteris », autrement dit les statues de la Vierge et du Christ sortis de l’église portés à épaule d’homme, suivis par des femmes en noir, mantille sur la tête. Les provisions récoltées lors de l’interprétation des Goigs seront dûment consommées lors des nombreux aplecs du lundi de pâques, auxquels tout le monde est convié, pour peu qu’il apporte quelques œufs ou un repas tiré du sac. Tout est prétexte, ici, à de grandes grillades ou cargolades collectives, qu’il s’agisse de foires, de compétitions sportives, de fêtes organisées par les producteurs locaux de viande ou de fromage, ou de grands marchés. Invariablement, la musique des cobles accompagne cette liesse populaire qui remplit cafés et restaurants, et s’attarde souvent tard dans la nuit. La Saint Jean se décline de tour en tour avec l’opération « Torrefocs » qui embrase toutes les tours de guet de la vallée, illumine la croix au-dessus d’Amélie, et invite les diables du sud à des jeux de lumière virtuoses. Là-haut à 2785 mètres, le 23 juin, la flamme conservée toute l’année dans l’enceinte du Castillet de Perpignan a embrasé des centaines de fagots venus de toute la Catalogne, de Provence et même de l’Alguer, en Sardaigne, avant d’être ramenée de village en village pour compenser la chute désormais inéluctable du soleil et le raccourcissement des jours. Chacun aura à cœur de jeter au feu le bouquet de Saint Jean de l’année précédente et d’en acquérir un nouveau dûment composé d’orpin, de noyer, de millepertuis et d’immortelle. C’est le gage d’une année heureuse, n’y dérogez surtout pas : vous êtes sur des terres où les gens vivent entourés de signes qu’ils aiment à déchiffrer !

La gloire de l’été

Sur les hauteurs de Montbolo, dans le secret de la belle église, on descend de son piédestal la « Rodella », le grand cierge roulé en forme de soleil inca, qui sera la vedette de la procession. Il sera porté en grande pompe sur les chemins de pèlerinage d’antan jusqu’à l’abbatiale d’Arles, encore un prétexte à un grand pique-nique festif et à un cheminement convivial sur la voie cyclable, très prisée des autochtones et des touristes. L’été débute, entraînant dans son sillage une profusion de festivals. La musique classique rayonne avec « Classique Autrement », qui propose une vingtaine de concerts répartis dans les églises du territoire. Du théâtre et du texte avec le Festival 543 de Coustouges, qui mobilise autant les habitants que les très grands artistes du moment. Le monde entier à Amélie avec le Festival de Musiques et Danses du Monde, le plus ancien du genre, qui embarque le public pour quatre jours de costumes chatoyants, de musiques dépaysantes et de bonne humeur. Un petit coup de corne bon enfant et sans mise à mort avec les jeux de vachettes et de raseteurs de Festibanyes, le plus catalan des avatars de la corrida. Des expositions de photos exigeantes et belles à Serralongue, de grandes expositions picturales à la Casa Restany et au Casal de Palalda… Le Haut Vallespir ne s’endort jamais sur ses rousquilles !

Un été festif en terres catalanes

Véritable couteau suisse de la fête, avec Prats-de-Mollo pour amiral incontesté, la vallée enchaîne la fête de la rousquille, la foire aux chevreaux, le fête des mulets et bien d’autres réjouissances, dans des rues animées, vibrantes de musique, où l’on danse et chante avec ferveur. Tout cela est rendu possible grâce à un tissu de bénévoles remarquables qui ont fait du bien commun l’axe de leur vie et ont réussi à fédérer des vallespiriens venus de tous les horizons ! À Prats-de-Mollo, le Charivari embrase la ville au rythme de ses bandas endiablées, l’Alegria d’Amunt célèbre avec ferveur les traditions catalanes, tandis que le nouveau festival « Ici et Maintenant » offre une programmation audacieuse et électrisante. à Arles-sur-Tech, les Concerts du Chapitre sont autant de bulles de beauté pure qui illuminent l’architecture de l’église Saint Sauveur. Disons-le aussi, la vallée dispose de trois groupes folkloriques dédiés aux danses traditionnelles catalanes, de deux cobles, la Rosselló et la Tres vents, et déborde de chanteurs d’excellent niveau, capables de faire vibrer des salles entières. Même richesse du côté des plasticiens, souvent séduits, comme leurs illustres prédécesseurs Matisse, Derain ou Picasso, par le tranchant des lumières pures et la violence des contrastes. La population est à l’image de ces coups de foudre successifs : farouchement catalane mais extrêmement diverse dans ses origines. Le gage d’une tradition revivifiée dont la transmission est assurée. Au sud d’un sud, au nord d’un autre, le Haut-Vallespir est un pays de confins : l’amour y est plus fort que le destin.

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