01 Sep Deux collectifs pour défendre la cuisine de l’Empordà : portraits croisés
La cuisine catalane est l’un des éléments culturels distinctifs les plus remarquables de la Catalogne qui a su faire la synthèse de toutes les cuisines méditerranéennes. Elle est aussi un formidable outil touristique de découverte des territoires et un secteur économique en pleine expansion. L’Empordà, traditionnellement proche de la France, joue à plein la carte de la haute gastronomie avec deux collectifs de restaurateurs dynamiques et résolus, le Col-lectiu de Cuina de l’Empordanet et le Col-lectiu Cuina del Vent. Cap Catalogne a rencontré pour vous leurs présidents respectifs.
Il y a 22 ans voyait le jour le premier collectif de restaurateurs jamais créé en Catalogne, le Col·lectiu de Cuina de l’Empordanet, cette microrégion côtière du Baix Empordà, patrie de l’immense écrivain Josep Pla. Son dynamique président, Toni Izquierdo est le chef étoilé du Mas dels Arcs.
CC : Toni Izquierdo, comment définiriez-vous la cuisine de l’Empordanet ?
D’abord, nous avons choisi ce nom parce qu’il définit parfaitement notre territoire, une zone côtière bordée par les montagnes des Gavarres et encadrée de deux ports de pêche, Sant Feliu de Guixols et Palamós. Déjà tout est dit. Nous avons tous les produits à portée de main : le riz de Pals, les légumes de la plaine, tous les poissons de roche et les crustacés imaginables, des volailles élevées au grain… un vrai jardin.
CC : Vous avez lancé des campagnes gastronomiques qui couvrent presque toute l’année. Expliquez-nous.
Nous avons commencé avec la Garoinada (la cuisine de l’oursin), il y a 22 ans, après une réunion au Mas Pla, sous l‘ombre tutélaire de son propriétaire. L’oursin connaît sa pleine saison pendant deux mois entre janvier et mars, alors plusieurs restaurants se sont associés pour proposer un menu au même prix. Puis, nous l’avons fait pour la gamba, mon produit préféré, pendant trois mois, à savoir mai, juin et juillet. Ensuite est venu le poisson bleu, le poisson de roche…
CC : Mais votre produit absolu c’est la gamba ?
Oui, ici on vient de toute l’Europe pour manger la gamba dans tous ses états. Je travaille avec quatre ou cinq pêcheurs que je connais bien et qui me livrent chaque jour. Songez que nous écoulons ici 800 kg de gambas par an… Venez avec moi, je vais vous montrer.
Après deux kilomètres dans les pinèdes nous arrivons au-dessus d’une adorable crique avec des cabanes de pêcheurs. Au loin, la plus grande plage vierge de toute la Catalogne, Castell, et derrière elle, l’échancrure de la falaise, la Foradada.
CC : C’est votre endroit préféré ?
Petit, je venais pêcher et me baigner. Aujourd’hui quand je reçois de très grands chefs, je les emmène ici et je fais griller des gambas…
CC : Vous m’avez parlé d’un menu du collectif, comment ça marche ?
Et bien dans les 18 établissements du réseau, vous pouvez déguster un menu à base de gambas à 38 euros, apéritif café et vin compris. Il s’agit de proposer le produit aux clients quand il est à l’apogée de sa qualité gustative et au prix le plus accessible.
CC : D’où vient votre clientèle ?
Je dirais qu’il y a beaucoup d’Européens, mais aussi beaucoup de gens qui viennent d’autres comarques dans un rayon d’une heure à une heure et demie, en voiture. Ils viennent parce qu’ils savent qu’ils ne seront pas déçus. L’autre jour, en débarrassant une table, j’ai trouvé un mot griffonné à mon intention par des clients madrilènes : « posiblemente la mejor gamba del mundo » (certainement la meilleure gamba du monde). Ça vaut toutes les étoiles.
CC : La gamba de Palamós, qu’a-t-elle de spécial ?
Regardez cette couleur (il nous tend un magnifique plat de gambas roses et violettes), cette fraîcheur. Je crois à la tradition revisitée. Je crois aux poêles en fer de ma mère, à la qualité des produits. Bien sûr, on dégraisse, on allège mais on reste les héritiers d’un savoir-faire. Je n’utilise jamais de crème fraîche ou de beurre cuit. J’accompagne le produit, je guette la cuisson parfaite. La simplicité, c’est ma passion.
Nous quittons Toni Izquierdo, ensoleillés par sa gentillesse, son enthousiasme, cette flamme inextinguible qui semble attacher cet homme talentueux à sa terre. Notez bien son adresse, si vous n’avez encore jamais mangé de gambas.
Direction Castelló d’Empuries pour y rencontrer Salvador Jordà, qui dirige l’Hôtel Emporium et assure la présidence du Col·lectiu de Cuina del Vent. Nous sommes accueillis avec ce petit plus qui nous fait nous sentir encore plus Catalans : comme à la maison, avec cet accent aux voyelles neutres presque fermées qui fait chaud au cœur.
CC : Salvador Jordà, vous êtes un ardent défenseur de la cuisine de l’Empordà. Comment définiriez-vous le rôle de votre collectif ?
Défendre le produit, retrouver de vieilles recettes dont beaucoup se sont perdues, avancer dans l’élaboration des sauces, rechercher l’équilibre parfait… Nous avons eu la chance ici d’évoluer dans l’ombre d’un véritable monstre qui a tout réinventé, tout revisité, Ferran Adrià. Maintenant, la Catalogne est reconnue mondialement comme terre de cuisine mais nous devons travailler à introduire la haute gastronomie dans les habitudes des Catalans. Nous ne sommes pas trop de 18.…
CC : Vous faites beaucoup de campagnes gastronomiques ?
Oui, cette année, au mois d’octobre, nous allons tous travailler sur une recette qui est commune à la Catalogne du nord et à l’Empordà et se prête à mille déclinaisons, le « Mar i Muntanya ». Ça peut être très simple ou très élaboré.
CC : Un hommage à ce territoire ?
Nous avons des langoustines fantastiques à Roses, de la boutifarra de perol dans l’arrière-pays, du poisson… Chacun d’entre nous propose déjà à la carte un « Mar i Muntanya », alors chacun suivra son inspiration pour proposer à ses clients quelque chose d’original et d‘attractif. La cuisine catalane est une synthèse des cuisines méditerranéennes mais aussi des cuisines de montagne et de mer, c’est-ce qui fait sa force.
CC : Vous avez une communication commune pour le collectif ?
Oui, nous éditons un dépliant et nous avons un site. Nous avons même publié un livre collectif sur la Cuina del Vent.
CC : Votre idée de base, c’est de promouvoir la production locale de produits de qualité ?
Absolument. Mes deux fils sont sommeliers. Nous dirigeons l’entreprise à trois, en passant par roulement de trois jours de la cuisine à la salle et nous travaillons avec des producteurs locaux de vin, d’huile, de fruits etc. Nous sommes très attentifs à ce que tout soit d’extrême qualité et produit sur ce territoire.
CC : L’Empordà produit d’excellents vins, je suppose que votre carte en propose beaucoup ?
Oui nous commençons à avoir de très grands vins. D’ailleurs nous les vendons en Catalogne du nord où on les trouve à la carte des restaurants. Vous savez, beaucoup de mes clients sont nord-Catalans. Ils viennent ici pour retrouver des racines mais ils sont imprégnés de culture française et il est évident que la France a de l’avance dans la culture gastronomique : la grande cuisine est une institution qui fait partie de l’éducation depuis des décennies. Le français moyen considère que la cuisine est un art mais il sait qu’il peut se l’offrir. Ce n’est pas encore le cas ici, mais ça viendra.
CC: J’ai l’impression que vous remplissez une véritable mission. Comment la définiriez-vous?
Nous devons créer et révolutionner le secteur gastronomique, transmettre notre travail sur les produits pour que nous succède une génération de grands professionnels bien meilleurs que nous. Nous devons leur laisser en héritage un chemin parcouru, des habitudes acquises, un label de qualité et surtout l‘amour de leur territoire. C’est ça notre mission, et c’est pour ça qu’on se bat.
Et voilà comment nous avons pris, auprès de Salvador Jordà et de Toni Izquierdo une double leçon de cuisine et d’humilité.
Pas de commentaire