30 Sep ELNE, LA VILLE LIBRE
Ville impériale, royale, épiscopale, rebelle et surtout belle, Elne est un véritable joyau qui a su prendre de son histoire tourmentée une incomparable leçon de liberté. Bienvenue dans la commune libre d’Elne !
La plaine du Roussillon s’alanguit sans obstacle le long de la mer. Elle se contente d’écarter ses vignes et maraîchages pour laisser passer fleuves et agulles, heureuse de laisser son regard libre d’aller et venir entre Albères et Corbières, juste limité par la ligne bleue des montagnes. La couronne ocre des remparts d’Elne, perchés sur leur colline, qui ceint la cathédrale et ses deux clochers fait exception à la règle. La ville de l’artiste Etienne Terrus n’entend pas qu’on l’oublie et signifie cette soif d’existence en jaillissant littéralement de la terre qui la fait vivre. Tout autour d’Elne, le réseau des canaux et bien sûr le Tech qui vit là ses derniers plaisirs de fleuve avant de mourir dans les flots, invitent à la promenade, à pied ou à vélo le long de chemins ombragés. Les terres alluviales, qui mesurent jusqu’à 3 mètres de profondeur et qui trahissent encore les cours successifs du fleuve au fil des siècles, ont fait de ce coin de plaine du Roussillon une véritable corne d’abondance. à côté des vignes plus grandes, dont le produit fait fonctionner la coopérative locale depuis des décennies, une myriade de petites propriétés se consacre au maraîchage qui a longtemps fait d’Elne le siège d’un marché local de premier plan, capable d’approvisionner tout le petit commerce de la vallée. Bien sûr, la présence du Marché International Saint Charles a contribué à changer les choses, et à Elne comme ailleurs, l’agriculture nourricière est en déclin faute de repreneurs pour nombre d’exploitations, même si la tendance commence à s’inverser. D’autres formes d’exploitation comme les jardins partagés, nombreux et foisonnants d’énergies nouvelles sont en cours d’émergence. à côté des zones agricoles impeccablement quadrillées, plantées de cyprès, bordées de roseaux, le Tech a su garder son propre domaine et convoquer à ses noces avec la Méditerranée, un petit royaume de plages, d’arbustes épineux et d’arbres, le Bocal du Tech, espace de folle liberté pour les baigneurs et promeneurs. Un sublime poumon vert et bleu, particulièrement agréable en automne, quand les plages sont vierges. C’est au cœur de ces paysages que le grand Terrus, qui fut l’égal d’un Matisse ou d’un Derain posait son chevalet pour peindre sur le vif la silhouette veloutée des Albères, la floraison hivernale des amandiers brodant la terre ocre de blanc, ou plus loin, la crique du Racou.
Ville d’inspiration
Promis à la gloire, cet enfant du pays refusa obstinément de le quitter, et préféra choisir ses pairs sur place comme Henry de Monfreid ou Gustave Violet. La ville lui consacre un joli musée à voir absolument. Aujourd’hui, la ville haute possède des galeries d’art et de nombreux artistes se sont installés à Elne, séduits comme leurs aînés par le tranchant de la lumière et la sensation de s’inscrire dans une lignée. « Quand Odette Traby a monté sa galerie, « l’If », peu de gens avaient compris le potentiel plastique d’Elne. Pourtant, Ayats ou Desclaux se sont imposés et on accueille de plus en plus d’artistes. Quand on veut créer, on a besoin de se confronter à une identité, à une histoire. Elne a tout ça et beaucoup plus » explique Jean-Laurent, musicien, « N’oublions pas que c’est la ville la plus ancienne de Catalogne-nord ». Et l’affirmation est vraie, Elne a été fondée par les Ibères sous le nom d’Illibéris, il y a 2500 ans. De quoi regarder de haut une jeunette comme Perpignan, ou même son ancêtre romaine, l’oppidum de Ruscino ! Son nom est même la contraction de Castrum Helenae, celui que lui avait donné l’empereur Constantin au IVe siècle en l’honneur de sa mère, Hélène. Voilà peut-être qui explique la physionomie de la ville haute qui semble couronner la plaine… Autour de l’oppidum, la ville basse s’articule autour de places et de sortes de boulevards circulaires qui font le tour des remparts encore percés de portes.
Plusieurs tourismes
Le marché, extrêmement dynamique, s’installe ici les lundis, mercredis et surtout les vendredis matin. Il est résolument méditerranéen, bruyant et généreux. On vient au marché d’Elne de toute la plaine, comme on l’a toujours fait, c’est une véritable institution ! Au passage on prend un café sous la treille ou sur la place, un rituel qui vaut à Elne des centaines de visiteurs autochtones. Ville résolument culturelle, Elne fédère aussi des amoureux du théâtre ou de la musique. Mais surtout, Elne attire les Catalans du sud, qui sont nombreux à se presser dans ses rues, notamment le week-end. à cela, trois raisons principales : d’abord bien sûr le patrimoine bâti sublime, ensuite l’aura de résistance et surtout la catalanité qui s’attache à la ville. En 1285, les troupes de Philippe le Hardi, Roi de France, se livrèrent dans la ville et en particulier dans la cathédrale à un véritable massacre, malgré l’héroïsme des habitants. Plus près de nous, pendant la seconde guerre mondiale, une jeune infirmière suisse, élisabeth Eidenbenz monta ici, dans une maison bourgeoise abandonnée, une maternité destinée aux jeunes réfugiées espagnoles fuyant le régime franquiste, mais aussi des femmes juives ou tsiganes enceintes et menacées de mort dans le camp de Rivesaltes d’où partaient des convois de déportés pour Auschwitz.
Fleur de pierre
Elne est ainsi devenu le haut lieu d’une entreprise humanitaire qui a permis de sauver des centaines d’enfants espagnols, juifs ou tziganes. Jusqu’en avril 1944, près de 600 enfants naquirent en toute sécurité dans cette Maternité. « Elne est devenu un lieu de pèlerinage pour les descendants des républicains et tous ceux qui ont compris que la grande histoire n’est au fond que l’entrelacs d’histoires plus intimes » confirme Sylvianne, historienne. Voilà donc l’un des deux fleurons d’Elne que vous devez visiter. On y accède à travers vignes et jardins. La villa est grande, immense même. Elle ne se trouve qu’à 7 km de ce qui fut le Camp d’Argelès, 10 km de ce que qui fut le camp de Saint Cyprien, un point stratégique. On doit la beauté formelle du bâtiment au crayon du grand architecte local du début du XXe siècle, le Danois Vigo Dorff Petersen, coqueluche de la grande famille Bardou, commanditaire de la villa. Ici Elisabeth Eidenbenz, mandatée par la Croix Rouge, a subi les assauts des autorités françaises et nazies sans jamais fléchir. Son histoire serait passée aux oubliettes de l’histoire et la maison aurait continué à se dégrader dans l’indifférence générale sans les recherches de l’un des enfants survivants, Guy Eckstein. Grâce à lui, l’infirmière a reçu, avant de s’éteindre en 2011, la médaille des justes entre les nations, le Premi Sant Jordi et la légion d’honneur. Entre temps, la mairie a acquis et restauré la villa Bardou, en a fait un lieu de mémoire. Son histoire a fait l’objet de bien de livres et de films si bien que l’image d’Elne rayonne à travers le monde. La visite est infiniment émouvante et peut se faire avec de jeunes enfants, qui pourront immédiatement trouver à s’identifier en regardant les petits lits. Deuxième étape obligée, la Cathédrale d’Elne. On ne parle pas de l’église d’Elne mais bien de la cathédrale, car l’évêché d’Elne, créé par les Wisigoths en 506, a subsisté physiquement jusqu’au début du XVIIe siècle, date de son transfert à Perpignan. Encore parlait-on jusque dans les années 70 de « l’évêque d’Elne en résidence à Perpignan ». On entre dans la ville haute par une porte monumentale, et très vite, on se retrouve sur le parvis. Avant toute chose, il faut contempler la beauté extrême du paysage, la ligne bleue de la mer, la masse des Albères, prendre mesure du vertical. En entrant dans la cathédrale, l’immensité de la nef à trois vaisseaux et sept travées est un premier choc. Dans le chœur, la table de l’autel consacré en 1069 repose sur une colonne romaine. Les chapelles, un peu plus tardives que la cathédrale romane, abritent gisants et retables dont celui de Saint Michel, une petite merveille. Une porte discrète conduit au cloître. Construit par les chanoines, en forme de quadrilatère irrégulier, il rassemble à lui tout seul toute l’évolution de la sculpture médiévale en Roussillon. Les quatre galeries remontent à des époques différentes et ont été sculptées sur deux siècles (entre le XIIe et le XIVe siècle). Toutes les galeries sont réalisées en marbre blanc veiné de bleu, le fameux marbre de Céret. La variété des motifs est incroyable : les colonnettes sont ornées d’écailles, d’entrelacs, de feuillages. Les chapiteaux alternent thèmes animaux côté galerie : griffons, aigles, bouquetins, lions et paons et végétaux côté jardin : palmettes, feuilles d’acanthe, fleurs de lotus. Et ce livre de pierre est aussi une Bible ouverte avec ses personnages disproportionnés aux yeux coulés au plomb. Un véritable chef-d’œuvre, surtout la galerie-sud, l’incroyable galerie romane. Aux quatre coins, les culs de lampe sont dédiés aux évangélistes avec leurs emblèmes. « Il existait une galerie supérieure, mais elle a été détruite en 1827 et ses éléments ont été vendus à l’encan, on en a retrouvé prés d’Angers. C’est moins connu que le pillage de Saint Michel de Cuxa, mais ça mérite d’être su » précise Annie, guide conférencière. Vous noterez que les deux tours qui dominent la cathédrale ne sont pas jumelles, elles présentent une asymétrie qui rajoute au charme de l’ensemble. Pour parachever la visite, faites le tour du monument à travers le jolies ruelles, c’est une jolie façon de comprendre la ville. Vous savez maintenant presque tout sur cette ville qui a su garder, malgré les vicissitudes de l’histoire, le panache de sa naissance impériale et l’authenticité farouche de ses racines paysannes. Elne, ou plutôt Elna est irrévocablement catalane, mais elle lie cette appartenance viscérale à une tradition immémoriale d’accueil. Sur son oppidum, la cathédrale ne regarde pas venir l’ennemi, elle veille au contraire à garder tous ses chemins d’humanité grand ouverts.
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