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En attendant le TGV

01 Sep En attendant le TGV

Il a l’ambition de changer nos vies, d’élargir notre territoire, de décupler notre bassin d’emploi, de nous faire bouger. Qui ? Le TGV bien sûr, désormais annoncé pour fin 2013 !

 
tgv2Patience et longueur de temps

Certes, plus de 95% des travaux de la ligne ont déjà été réalisés, et aucun retour en arrière n‘est possible. Mais voilà qu’on apprend des dysfonctionnements de l’Etat espagnol dans les procédures d’appel d’offres publiées « trop tard ». Initialement prévue in fine pour 2012, la ligne n’existera maintenant qu’en fin 2013, les travaux souterrains de la gare de Girona et le tronçon Mollet del Vallés /gare de la Sagrera n’étant pas terminés faute d‘entreprises choisies à temps. D’un point de vue concret donc, la ligne TGV tant attendue n’existe pas encore, elle rappelle même la destinée d‘une autre Arlésienne centenaire qui a fini pourtant, elle, par quitter les coulisses, et avec quel brio, le tunnel sous la Manche…

Le TGV baromètre de l’avenir

Pourtant, c’est l‘arrivée de la ligne TGV, son existence dans les mentalités, les espoirs des uns, les peurs des autres, qui définit depuis dix ans la politique territoriale des deux zones frontalières et bien au-delà. Evidemment, il y a d’abord le clivage politique des tenants de plus d’intégration européenne, et de ceux qui défendent, bec et ongles, l’existence des états sous leur forme traditionnelle. Il y a ceux qui voudraient que le lien avec la Catalogne soit privilégié mais qui savent bien que le lien avec le nord de l’Europe est vital pour elle. Et surtout, des deux côtés de la frontière il y a ceux qui parient, dans un sens ou dans l’autre, sur cette prochaine ligne pour imaginer ou asseoir leur avenir et celui de leurs enfants, selon qu’ils croient ou non, à l’émergence d’un vrai bassin de vie et d’emploi transfrontalier.

Moins d’élites francophones

Depuis la fin de la « Reconquista », la Catalogne a vécu toute sa vie, quelles qu’aient été ses formes d’existence officielle, le regard tourné vers le nord, vers l’Occitanie jumelle d’abord, puis vers la France avec laquelle ses élites intellectuelles et artistiques ont entretenu un quasi lien de filiation, jusqu’à la fin du XXe siècle. Aujourd’hui son regard va bien au-delà, vers l’Europe du nord et plus loin encore, les Etats-Unis. Sa jeunesse, autrefois massivement francophone, préfère les sirènes du monde anglo-saxon et l‘efficacité commerciale de la langue anglaise.

Cap sur l’Europe

Le TGV jusqu’à Paris, donc Londres, Amsterdam, Genève ou Francfort est la condition du désenclavement et surtout, du développement sans les freins infrastructurels et logistiques que contrôle toujours l’Etat espagnol, au travers de ses prérogatives régaliennes sur les transports internationaux. La principale crainte de ce dernier est en effet de voir la Catalogne s’imposer pour ce qu’elle est, à savoir d’une part le territoire le plus dynamique de la péninsule ibérique et surtout, autre chose que l’Espagne.

L’Europe force d’attraction

L’intérêt d’une ligne TGV vers le nord est donc, au sud, une force d’attraction vers l’Europe, parfaitement comparable à celle qu’a toujours manifestée le nord de l’Italie. La proximité induite séduit à l’échelle de villes comme Figueres ou Girona, qui capitalisent déjà beaucoup sur les acheteurs et consommateurs nord-Catalans, mais c‘est une plus-value bienvenue, plus que nécessaire, les axes routiers jouant déjà à plein. Pour eux, il est clair que le grand boom attendu ne peut se produire que lorsque le tronçon Perpignan-Montpellier sera ouvert.

tgv4TGV n’égale pas proximité

D’ailleurs, les centres commerciaux qui ouvrent à la Jonquera, au grand dam des commerçants nord-Catalans, ne misent pas sur le rail mais sur la clientèle motorisée traditionnelle tandis que les aéroports de Girona et de Barcelona continuent de se développer avec de très nombreuses destinations européennes. Toutes les statistiques le prouvent, au-delà de 5 heures de trajet, c’est l’avion qui a la préférence des voyageurs. Le maire de Figueres, Santi Vila, vient de demander l’ouverture de nouvelles lignes traditionnelles via Port Bou, conscient que le TGV ne répond pas réellement aux besoins de son territoire…

Mais sans doute mobilité

Toutes ces cartes déjà complexes viennent en outre d’être rebattues – et le seront encore un bon moment – par la crise qui génère, lentement mais sûrement, un exode annoncé vers l’Eldorado social français, tandis que la tentation est grande pour les Barcelonais de quitter des appartements de banlieue exigus pour habiter, avec un temps de transport et un coût comparable, une maison avec jardin au nord de la frontière… en sens inverse la baisse de l’immobilier au sud peut conduire nombre de nord Catalans à y habiter tout en conservant leur emploi.

Au nord rien de nouveau

Côté nord, la situation est très différente. D’abord, nous sommes à l’extrême sud d’un Etat, avec tout ce que cela implique en héritage : pas d’industrie, beaucoup d’administrations qui constituent les plus gros employeurs, un gros secteur tertiaire de petites PME et une agriculture en souffrance. Avec ou sans crise, la Catalogne du nord connaît la précarité et le manque d’emplois, certes en partie compensés par le système social, mais endémiques. Et c’est sous cet angle que l’arrivée du TGV est analysée.

Une manne attendue

Ses défenseurs y voient l’occasion de renforcer l’afflux touristique des sud-Catalans, notamment pour de courts séjours – dont-ils sont déjà très friands – en s’adossant à une politique commerciale volontariste (temps forts comme la Sant Jordi, la Sant Joan, Noël) et à une offre culturelle de haut niveau (festival Eté 66, Visa pour l‘Image, Théâtre de l‘Archipel, festival de Prades, les Déferlantes, etc.). Les jeunes espèrent une facilitation de leur inscription dans des universités catalanes et un élargissement notable de leur bassin d’emploi, Barcelone restant à l‘évidence la métropole de proximité. Les propriétaires et investisseurs en attendent une manne immobilière. Ils espèrent des phénomènes comparables à ceux qu‘ont connus en France, Tours ou Le Mans, et que connaît actuellement Bordeaux.

tgv301Des pouvoirs publics mobilisés

Les pouvoirs publics ont même créé autour de la gare un nouveau quartier avec un énorme centre commercial en pariant sur un déplacement du centre-ville de Perpignan vers le « Centre del Món », réaménageant au passage l‘avenue de la gare, appelée à devenir le trait d‘union piétonnier vers le centre ancien. Une véritable plate-forme intermodale s’est développée, avec la gare routière, une station de taxis opérante et des loueurs de véhicules à proximité immédiate de la gare, des points vélo… Tout est prêt pour que le voyageur soit autonome à la sortie du train.

Mais le doute subsiste

Seule ombre au tableau : la gare sera-t-elle là ? Il est en effet question de la situer, pour des raisons de conservation de vitesse des trains directs, soit au Soler, soit à Rivesaltes, ce qui reviendrait à faire du Centre del Món un joli décor de théâtre. Cette notion de trains « directs » est encore moins rassurante car elle pose la vraie question. Combien de ces TGV s’arrêteront-ils ? Perpignan constitue-t-elle un enjeu suffisant pour justifier le détour des trains Paris-Barcelone ? Autant de questions qui demeurent, d’autant que les statistiques d’exploitation du tronçon Perpignan-Figueres ne sont pas encourageantes sur ce point, la plupart des voyageurs venant de Montpellier ou de Barcelone…

Des adversaires résolus

Et bien sûr, le TGV a ses détracteurs : ceux qui craignent de voir s’envoler les prix du foncier, excluant peu à peu les autochtones du jeu, ceux qui ont peur de la désertification du centre-ville de Perpignan, ceux qui pensent que Perpignan ne fera que regarder passer les trains entre Montpellier et Barcelone, ceux qui n’ont pas envie de faire 10 km pour aller prendre leur train… Et toujours les clivages traditionnels : des jacobins qui trouvent inconcevable d’être reliés au sud, avant de l’être à Montpellier, des catalanistes qui se passeraient bien d’une extension du réseau au nord, des expropriés qui pleurent leurs vignes, des agriculteurs échaudés par la politique européenne et les contre-la-montre perdus d’avance pour les primeurs, les écologistes qui ne voient dans les nouvelles lignes tracées que des plaies ouvertes dans le paysage et l‘annonce d‘une société de la vitesse et de la performance.

Un effet d’optique

Soyons rassurés, si l’effet frontière nous paraît au centre des débats, c’est un simple effet d’optique, un conditionnement éducatif. Les problématiques ont été exactement les mêmes en Ile-de-France ou en Touraine avec le développement des premiers TGV. Avec 10 ans de recul, l’équilibre a été trouvé. Les villes moyennes qui ont reçu la population parisienne ont vu leur assiette fiscale s’élargir et ont pu, dès lors, assumer les politiques d‘équipements, notamment culturelles et sportives, induites par ce changement de population. Les zones rurales ont rouvert des classes scolaires, des points poste, des petits commerces. L’immobilier a vu ses prix augmenter mais dans des proportions raisonnables.

Un développement avéré

Dans un deuxième temps, des Tourangeaux ou Manceaux de souche n’ont pas hésité à prendre un emploi à Paris, sans pour autant déménager, induisant un développement croisé. Et même Montpellier, avec les trois heures de train qui la séparent de Paris, est dans la course pour ceux qui travaillent à temps partiel dans la capitale. Plus aucune de ces collectivités territoriales ne remet en cause l’apport économique, social, générationnel et même de notoriété, induit par le TGV. Nul ne saurait non plus mettre en doute le développement de Nîmes ou de Valence, plus petites.

D’abord un outil commun

Pour Perpignan, en outre, l’effet risque d’être triple, car elle se trouve à exacte équidistance de Barcelone, de Montpellier et de Toulouse. La vraie trouble-fête ici, car elle accentue l’effet frontière par la disparité des protections sociales, c’est bien la crise, encore qu’il faille prendre en compte l’existence au sud d’une économie souterraine qui s’avère un airbag assez efficace. N’oublions pas non plus que beaucoup de petites entreprises travaillent déjà de chaque côté de la frontière, sans attendre l’effet TGV, mais confiantes dans le fait que le développement d’un territoire ne doit rien négliger et que tout nouvel outil, surtout symbolique, est le bienvenu.

Raillé mais sur les rails

Dans quelques mois, ce sera l’épreuve du feu et des faits. Le TGV entrera dans les mœurs ici comme ailleurs, comme l’a fait le fameux tunnel sous la Manche dont plus aucun Britannique ne met en cause la pertinence. Malgré les atermoiements des Etats centraux et les mille et une vicissitudes du chantier, Perpignan sera reliée à Barcelone en 45 minutes, à Girona en 25, dans un an à peine. Autant dire un trajet de métro ou de RER. L’espace se sera rétracté, le temps se sera dilaté. On pourra décider de passer la journée à Barcelone comme on la passe à Figueres, aller au restaurant, sans craindre les effets de l’éthylotest au retour, répondre à des annonces d’emploi, sans envisager un changement de vie radical…

Pour la première fois, la péninsule ibérique sera vraiment reliée par le rail au nord de l’Europe, un fait hautement symbolique qui efface les campagnes napoléoniennes, de sinistre mémoire, place la Catalogne aux avant-postes et Perpignan en double position d’avant-garde, à la fois vers le sud et vers le nord. Nous avons le ballon. Saurons-nous transformer l’essai en acquérant l’agilité linguistique et l’adaptabilité réclamée ? Nous seuls avons la réponse.

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