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Girona, l’indépassable

04 Fév Girona, l’indépassable

Si Girona n’avait pas, dès les années 1980, entamé une reconquête résolue et passionnée de son patrimoine juif,  sans doute ne parlerait-on pas aujourd’hui de route séfarade. La belle ville aux airs florentins est d’abord le siège d’un call magnifique.

De tous temps, ce call a été le moteur intellectuel de la ville, et il est encore, paradoxalement, son moteur économique et touristique le plus puissant eu égard aux milliers de visiteurs qu’il draine. Il est en effet la survivance la plus éclatante du monde séfarade et la démonstration la plus parfaite de son intrication dans l’identité catalane. La première occurrence de la présence de juifs à Girona date de 888, et signale l’installation de 25 familles ! Aujourd’hui, la ville possède tout simplement un des calls les plus intéressants de toute l’Europe, et un de ceux qui ont été les mieux restaurés et mis en valeur grâce à la vision du maire en poste dans les années 80, Joaquim Nadal, qui a su trouver tous les soutiens internationaux nécessaires. Ces travaux de recherche ont permis de prendre la mesure de l’implantation juive à Girona, à la fois en termes d’extension et d’importance intellectuelle. La rue de la Force, située non loin de la cathédrale, donnait autrefois accès à un hospice, un orphelinat, une maison de la charité et pas moins de trois synagogues et un abattoir rituel pour respecter la cashrout. Elle séparait le call du reste de la ville et se trouve installée exactement sur le tracé de la Via Augusta, signe fort de l’histoire, si l’on y ajoute que tous les vendredi saints, elle est empruntée par la procession de la Passion ! Une des rues adjacentes de cette artère, à lire comme un véritable catalyseur de civilisations, est le carrer Sant Llorenç qui fut l’un des centres d’activités du quartier au XVe siècle, lorsqu’il fut interdit aux juifs de tenir boutique du côté gauche de la rue de la Force. Une communauté brillante, active et prospère peuplait ces maisons de pierre proches de la cathédrale, pour beaucoup intactes. Des dizaines de boutiques, d’échoppes, d’ateliers, mais surtout des tas de cabinets de professions libérales et intellectuelles signaient l’activité commerciale et intellectuelle du quartier, connu dans tout le monde médiéval. Sous les pas des visiteurs se dessine un labyrinthe de petits patios, de placettes, d’escaliers, qui respirent une atmosphère unique et font de Girona une véritable exception culturelle tant l’influence juive, malgré les siècles d’absence, reste prégnante dans la gastronomie, dans la spiritualité, dans les mentalités, marquées par un refus de tout ce qui est de l’ordre de l’ostentation ou de l’exhibition. 

Un très grand petit musée

La tour Gironella, toujours visible près de la cathédrale, était en quelque sorte le donjon où la communauté pouvait se réfugier lors des attaques chrétiennes, qui n’ont hélas cessé de s’accélérer à partir du début du XIVe siècle. Les maisons juives de la rue de la Force étaient aveugles du côté de la rue, simplement trouées de petites ouvertures grillagées pour des raisons évidentes de sécurité, mais s’ouvraient en jardins suspendus au flanc de la montagne de l’autre côté, pour n’offrir aucune visibilité sur la vie des familles. Les juifs de Girona possédaient des terres et avaient des droits sur plusieurs moulins, ce qui signifie que la société juive pouvait vivre en autarcie, assise sur ses terres. Les familles les plus bourgeoises prenaient les eaux à Caldes de Malavella et les érudits voyageaient énormément vers d’autres communautés juives d’orient et même d’Europe du nord. Dès les années 80, la ville a entrepris l’excavation et la restauration de son patrimoine juif. Bien lui en a pris. Elle draine des milliers de visiteurs venus du monde entier, parmi lesquels de nombreux juifs de la diaspora et beaucoup d’Israéliens, mais aussi l’immense majorité des amoureux du patrimoine et de l’histoire. Autre phénomène, la beauté plastique de cet enchevêtrement de rues attire cinéastes et peintre, et a notamment servi de décor à la série télévisée « Game of Thrones » ou au film « le Parfum », deux productions qui se caractérisent par un certain ésotérisme. à Girona, les pierres ont leurs légendes et elles racontent à qui sait les entendre la mémoire enfouie des grands initiés. Pour tout comprendre à la vie des communautés juives et prendre la mesure de leurs apports, le Musée d’Histoire Juive de Girona reste un lieu vraiment magique dans son évocation sobre et belle. Il est installé dans l’ancienne synagogue, parfaitement conservée autour de son patio décoré d’une immense étoile de David. On peut y admirer le mikvé, la collection lapidaire juive la plus importante de la péninsule ibérique, ainsi que la liste impressionnante des juifs catalans qui ont compté par leurs apports intellectuels ou scientifiques universels. Pas de scénographie spectaculaire, pas d’objets remarquables, juste un cheminement dans l’âme séfarade, jalonné de documents et d’images, qui concerne toute la Catalogne et dresse petit à petit un portrait émouvant de ces communautés dispersées dont il apparaît clairement que les membres les plus éminents se trouvaient tout près du pouvoir terrestre tandis que ses rabbins faisaient partie des figures les plus écoutées du monde juif. Une incroyable librairie, située sous le musée, est  devenue l’épicentre de la diaspora qui visite Girona : on y trouve des ouvrages rares dans toutes les langues connues, comme si ces vénérables figures refusaient de quitter une nouvelle fois leur cité bien aimée ! 

Une identité dans un contexte hostile

Le Call de Girona a vu naître une foule de personnalités hors du commun dont l’apport rayonne encore de nos jours, bien au-delà de la Catalogne. Outre l’incontournable figure de Nahmanide, de son nom chrétien Bonastruc Saporta, rabbin et médecin, né en 1194, l’excellence se retrouve chez les médecins, astronomes, astrologues, philosophes, juristes… C’est une vieille habitude à la cour des monarques de Catalogne-Aragon de retrouver des médecins juifs, aux côtés des médecins chrétiens, leur accordant la même confiance et la même considération. Parmi les médecins de Jaume Ier, en 1271, nous trouvons Jucef Almeredi médecin et Joan Jacob chirurgien. Loin de se contenter du rôle de guérisseur, ils recherchaient, mettaient au point et inventaient de nouvelles formules et prescriptions pour éradiquer la maladie. La stricte hygiène qui les caractérisaient, lorsqu’elle était adoptée chez les chrétiens, a influencé le mode de vie des catalans et a contribué à faire reculer certaines maladies. La traduction des textes de l’antiquité depuis la langue arabe a permis d’enrichir considérablement les techniques et savoir-faire des orfèvres, des mathématiciens, des astronomes et même jusqu’aux juristes qui, réservant un statut plus libre et équitable pour les femmes juives, ont influencé le cadre juridique si particulier des femmes catalanes. La banque elle-même avec ses tables de change et son crédit nous vient du Call. L’expulsion des juifs en 1492 a représenté une grande perte, intellectuelle et scientifique, un coup d’arrêt au progrès. 

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