
03 Avr La Baie de Roses, d’épure et de mer
La mer avance dans les terres son ventre gravide, maternel, à la rencontre du chant glacé des fleuves, frangée de rochers, brodée de lagunes, ourlée de plages blondes. La baie se cambre entre les branches minérales d’un compas qui trace, entre le Cap de Creus et le massif du Montgrí, un arc de cercle si parfait qu’il correspond au nombre d’or.
Une divine proportion pour une baie si belle qu’un jury international l’a proclamée l’égale de la baie d’Along ou de la baie des Saintes. Et il n’y a là rien d’usurpé : ce chef-d’œuvre naturel n’a rien à leur envier. Son éternité tutoie au passage quelques millénaires d’histoire humaine, puisque les premières traces de civilisation sont matérialisées par des dolmens et des menhirs remontant à 4 000 ans. Sur cette côte orientale, les Grecs aimaient caboter sept cents ans avant notre ère, en quête d’échanges et de connaissances nouvelles. Ce sont eux, qui, les premiers, y ont créé des comptoirs prospères entretenant des relations commerciales avec les tribus ibères présentes. Ils ont en quelque sorte tracé le sillon de la pénétration romaine dans la péninsule ibérique, une conquête qui a débuté ici, à la hauteur des fleuves Ter, Muga et Fluvià en 218 avant J.-C. Témoin de ce double ensemencement culturel, le site d’Empúries, l’ancienne Emporion, en garde la mémoire croisée. Vous aimerez déambuler entre les vestiges des maisons patriciennes, des thermes et des agoras, à l’ombre de rares cyprès, face à la mer indifférente à la caresse des siècles. Mais bien sûr, l’âge d’or de la Catalogne, c’est le Moyen-Âge, dont on peut mesurer la grandeur à Castelló, haut lieu troubadouresque et culturel qui a su préserver un patrimoine architectural exceptionnel. Parmi ses trésors, on trouve la magnifique église gothique de Santa María (XIVe siècle), aux allures de cathédrale, dotée d’un clocher roman d’une grande élégance. À voir également, toujours dans un dialogue entre l’art roman et le gothique sobre et austère propre à la Catalogne : l’hôtel de ville, la Casa Gran (XIVe siècle), le portail de la Gallarda (XIe-XIIe siècles), l’ancienne Llotja de Mar (halle au poisson), le vieux pont roman, le couvent de Santa Clara (XIe siècle) et, bien sûr, les vestiges des remparts. À l’époque, le fleuve Muga, alors navigable, ouvrait naturellement la ville sur la mer grâce à un lac qui servait de sas et de port. à Roses, l’ancienne Rhode, on retrouve, dans l’enceinte de la citadelle de style renaissant, un gisement archéologique couvrant une période allant de l’époque hellénistique à l’époque wisigothique. Le monastère roman et son embryon de noyau urbain dévoilent les splendeurs médiévales, tandis que les murailles extérieures abritent des bâtiments plus modernes. Il faut savoir lire ces paysages architecturaux, si précis et si bien préservés, à l’aune de la nature et des fleuves qui transforment en aquarelles aux teintes douces le monde incertain des « aiguamolls », ces marais qui embrassent lagunes et champs cultivés, dessinent des rizières et arrosent des vergers luxuriants où pousse la délicieuse pomme locale. Un véritable royaume pour les oiseaux migrateurs en escale, mais aussi pour des milliers d’insectes, de batraciens et de poissons, dont beaucoup sont endémiques.
C’est là qu’ont vu le jour le vénérable village de Sant Pere Pescador, bercé par la double bénédiction du Fluvià et de la mer, ainsi que la plus grande marina de toute l’Europe, Empuriabrava, née il y a plus de 60 ans et sillonnée par 50 km de canaux navigables. Le Parc des Aiguamolls est une zone humide singulière que vous prendrez plaisir à parcourir ou à admirer du haut d’un mirador, offrant une vue imprenable sur l’horizon Son système lagunaire et ses dunes, soigneusement préservés, résistent désormais remarquablement à l’érosion grâce à la plantation d’espèces végétales fixant le sable. Sachez qu’un projet audacieux prévoyait autrefois de prolonger l’un des canaux jusqu’à Figueres, ce qui aurait sans doute changé la face de l’Empordà ! Côté mer, justement, 45 km de plages douces et 15 km de criques déchiquetées toisent le large et dessinent l’horizon d’une Méditerranée en miniature, ornée de pins parasols, rythmée de falaises et de grands rochers. Au nord de Roses, le Cap de Creus, proue des Albères en quête d’aubes claires, avance fièrement son étrave de pierre, creusée de fjords profonds et sillonnée de sentiers et de drailles perdus dans les parfums de serpolet. Son parc naturel à la fois terrestre et maritime, rend hommage à l’unicité de ses paysages, de sa faune et de sa flore. De l’autre côté de la baie en écho, se dressent les montagnes pelées du Montgrí. La tradition populaire voit dans leur silhouette tantôt un évêque couché, coiffé de sa mitre et les mains posées sur sa ceinture – dont la boucle serait le château de Torroella de Montgrí – tantôt, plus prosaïquement, une femme aux seins nus et dressés.
Arc magique
Une simple question d’angle de vue, peut-être. Au pied de cette masse grise mouchetée de vert niche le joli village de pêcheurs de l’Escala, avec ses maisons blanches perchées sur la roche, qui parlent de Sardaigne, de Corse ou de Grèce, sa belle halle aux poissons et sa maison du sel. Nous sommes ici au pays de l’anchois, ce petit poisson bleu qui fait la joie des papilles catalanes, et l’Escala est en ce domaine la jumelle de Collioure. L’Escala et Roses sont de grands ports de pêche artisanale dont les criées font le bonheur des restaurateurs et, bien sûr, celui des convives. Les marins, à voile ou à moteur, trouvent ici un véritable paradis, avec plus de 5 000 amarrages prêts à accueillir leurs embarcations, sans compter les nombreuses possibilités de mouillage. Quant à la marina d’Empuriabrava, elle offre un cadre résolument amphibie, où les rambles bordent de vastes canaux d’eau salée et où les terrasses des cafés répondent à celles installées sur les ponts des navires. Il convient aussi de noter que Roses est devenu un port d’escale pour les grandes croisières méditerranéennes, sans doute grâce aux attraits culturels de l’arrière-pays et aux quatre villages de la baie qui séduisent les centaines de passagers affairés. Les restaurants et marchés participent pleinement à l’authenticité de cette côte aux multiples saveurs, où se rencontrent rizières, potagers, vergers et produits de la mer, donnant naissance à de sublimes suquets et risottos d’exception, accompagnés de vins du cru unanimement reconnus, héritiers des premiers cépages importés par les Romains. Pour tous ceux qui aiment se fondre dans la nature ou repousser leurs limites à travers le sport et l’exploration, la baie de Roses est un véritable coffre aux trésors. Bienvenue aux amoureux des sports nautiques qu’il s’agisse de plaisance douce ou sportive, de plongée dans les criques sauvages, de snorkeling, des joies simples de la nage ou du kayak, ou encore d’apprivoiser le vent sur une planche, qu’elle glisse au ras de l’eau ou s’envole vers les nuages. Toutes les sensations s’offrent à vous, y compris, pourquoi pas, les sauts en parachute, le vol en tunnel ou les promenades en ballon. Vue d’en haut, la perfection de la baie foudroie le regard. Des kilomètres de chemins côtiers ou de sentiers escarpés grimpant à flanc de massif invitent vos espadrilles, indispensables compagnes de votre printemps catalan. L’effort de la marche est toujours récompensé : il vous suffira toujours d’un virage, d’une clairière ou d’une butte pour que vos yeux surpris se noient dans le bleu de la baie, happés par l’indicible et unique envoûtement de l’épure.
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