04 Nov LA CATALOGNE DU NORD
C’est de l’actuelle Catalogne du nord qu’est née la Catalogne. C’est pourtant cette matrice que l’histoire a sacrifiée, mutilant ainsi le territoire culturel, historique, linguistique commun. Il faut dire que les comtés du nord ont de tout temps servi d’otages et de monnaie d’échange avec la France. En effet, si les Catalans se considèrent indépendants dès 985, lorsque Borrell II fait face seul aux Berbères, les rois de France n’abandonnent leurs prétentions qu’au traité de Corbeil, soit 300 ans plus tard ! Dès qu’un problème se profile, on annexe le Roussillon, zone de plaine accessible, ou on le reprend : Philippe le Hardi, Louis XI, puis Richelieu attaquant Collioure, tout le monde semble considérer la Catalogne du nord comme une marche, alors que sa capitale a été pendant des siècles la deuxième ville de Catalogne !
Royaume de Majorque
Pour n’avoir duré que 70 ans, l’épisode du Royaume de Majorque n’est pas étranger à cet état de choses. En 1229, Jaume Ier dit le Conquérant conquiert l’île de Majorque. Ne sachant comment en prendre réellement possession, il décide de la céder à son cousin, l’infant du Portugal, puis de la reprendre à la mort de ce dernier en 1256. Enfin, en 1262, il prend une décision très étrange dans un Moyen-âge qui s’acharne justement à concentrer les fiefs sous une même autorité : il donne les îles Baléares à son plus jeune fils, Jaume II ainsi que le Roussillon et la lointaine Seigneurie de Montpellier, réservant à son fils aîné, Pierre III le Principat, l’Aragon, le Royaume de Valence et les possessions d’outre-mer. Ce petit royaume possède bien une capitale maritime, Palma de Mallorca mais pas de capitale continentale : ce sera Perpignan qui devient alors une ville royale, dotée d’infrastructures, d’un palais, d’un hôpital… L’épisode des Vêpres Siciliennes, qui oppose son frère à la famille d’Anjou pour la possession de la Sicile, oblige Jacques 1er à prendre parti. Il choisit la France, pour des raisons de rivalité. La rançon sera terrible. En 1285, Pierre III reprend ses terres du Roussillon. Furieux d’être repoussés, décimés par le typhus, les Français font un massacre à Elne.
Différentes annexions
En 1640, la révolte des Catalans, occupés par les armées castillanes, conduit Pau Claris, le Président de la Generalitat à demander l’aide de la France et même à sacrer Louis XIII comte de Barcelone. Les Français mettent alors les Castillans en déroute lors de la bataille de Montjuïch. Quelques décennies plus tard, la France hégémonique de Louis XIV est victorieuse de l’Espagne sur le front des Flandres et décide d’annexer les comtés de Roussillon et de Cerdagne (1659) auxquels il fait semblant dans un premier temps de conserver leurs privilèges et leurs coutumes. Les familles nobles passent au sud, et c’est une classe de bourgeois enrichis qui va faire le jeu de la collaboration et du rattachement. Dans les montagnes du Vallespir et du Conflent, ruinées par l’application de la gabelle dans un pays de salaisons et d’élevage, il en est tout autrement. La révolte des Angelets, menée par Josep de la Trinxeria, va tenir en échec pendant plusieurs décennies les armées de Louis XIV et ses gabelous zélés, avec quelques beaux faits d’armes à Céret et au Pas du Loup.
Le siècle de la césure
Le complot démantelé de Villefranche et l’exécution en place publique (sur la place de la Loge) de son chef, Manuel Descatllar, le 20 avril 1674, sonneront le glas de la résistance nord-catalane. La francisation progressive de la bourgeoisie des villes parachèvera la colonisation. Dès lors, les destins se séparent inéluctablement, entamés par le choc culturel de la Révolution française et de l’Empire. Au nord, la Maçonnerie se fait porteuse des valeurs des Lumières qui pénètrent peu au sud, où la monarchie absolue, adossée à un clergé puissant et fermé, fait barrage à toute idée jugée subversive. Cet écart premier, démenti sur les zones de frontières par la persistance obstinée d’échanges et de liens familiaux, est aggravé par trois guerres de conscription au nord : la guerre de 14, la deuxième guerre mondiale et la guerre d’Algérie qui font naître un certain sentiment français jusque-là peu perceptible. Après le drame de la Retirada, le franquisme participera paradoxalement à renforcer des fraternités qui, après 1975, vont constituer la colonne vertébrale du rapprochement. De part et d’autre de la frontière, la conscience d’une communauté de destin reparaît comme l’indique la forte présence nord-catalane lors de la chaîne humaine organisée à l’occasion de la Diada le 11 septembre 2013.
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