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La céramique de la bisbal, le galbe d’or rouge

30 Sep La céramique de la bisbal, le galbe d’or rouge

Capitale emblématique de la céramique catalane, la Bisbal d’Empordà perpétue un savoir-faire artisanal depuis plus de 500 ans. De génération en génération, des familles de potiers et céramistes continuent à mouler, tourner et enfourner plats, pots, cruches et autres carreaux de faience aux couleurs bleu nuit, jaune paille ou rouge cuivre. Un superbe musée lui est même consacré. Au pays des cheminées rouge brique, entre tradition, passion et transmission, le geste instinctif du modeleur n’a rien perdu de son incandescence.

Je suis terre, eau et feu à la fois. à la Bisbal d’Empordà et son chapelet de villages tels que Forallac, Cruïlles, Monells, Sant Sadurní de l’Heura, Corça ou encore Ullastret, je suis reine. Il faut avouer que, de ma cour mmnaturelle, j’ai hérité de l’essentiel. Oui, je suis bien née. Là, entre Girona et la Costa Brava, au pied du Massif des Gavarres, classé Espace d’Intérêt Naturel et qualifié « d’éléphantesque » par le poète Josep Pla, en raison de sa forme arrondie. Dans cette forêt, j’ai trouvé tout le bois qui me sert de combustible. Dans la roche, j’ai pioché l’argile. Et, à la confluence du Daró et du Rissec, j’ai puisé l’eau indispensable à mon existence. Bénie des Dieux, je suis. Mais qui suis-je, au juste ? Je suis poterie. Je suis Céramique. Avec un C majuscule. à la Bisbal, ma première mention date de 1511. C’est dire si je suis inscrite et gravée dans le paysage. Encore aujourd’hui, il n’est qu’à lever les yeux pour admirer les silhouettes élancées rouge-brique des vingt cheminées qui constellent la Bisbal d’Empordà. Cigares verticaux, ex-cracheurs de fumée, vestiges d’un passé industriel florissant. La cheminée Coromina serait la plus ancienne, érigée en 1918. Ont suivi la Terracota, la Diaz Costa ou encore les Bosch au fil des années 50 et 60. Empreintes indélébiles du paysage urbain, ces tours tubulaires avec leurs fours à flamme inversée ne sont plus en activité. Pour autant, elles s’érigent en fabuleux témoins à forte valeur patrimoniale ajoutée.

Collection d’artisans de l’argile et d’artistes du feu

D’autres fours plus modernes ont pris le relais, des ateliers, des boutiques mais surtout des hommes et des femmes. Artisans de l’argile, artistes du feu, alchimistes de la créativité. C’est à eux que je dois ma survie. Dans leurs antres, ils me malaxent, me pétrissent, m’enfournent, me vernissent et me chérissent. De génération en génération. Chez Figueras et Fils, on me fabrique sous forme de pots à fleurs en céramique depuis 1960. Spécialistes des pièces grand format et d’un savoir-faire hors du commun, les Figueras sont devenus les créateurs officiels des espaces intérieurs des boutiques Mango et Massimo Dutti. Quand j’observe ces grands potiers de mon intérieur vide, sous mon globe vert aux tons chauds et au galbe du plus beau féminin, je ne peux m’empêcher de penser à ces petits génies des Niebelungen qui jouent avec le feu et font jaillir des étincelles. Il y a là Annick Gallimont la magicienne qui, dans sa maison bleue donne à voir de subtils objets de décoration en grès. Un monde qui rappelle la mer, la forêt et la tranquillité d’une journée d’été. à deux pas, au fond d’une impasse, c’est l’intarissable Jaume Rulduà qui reçoit dans son atelier d’un autre temps. Entre les indémodables bols à motifs d’animaux de la ferme et les « tomba-truites » (plats spécifiques pour retourner les omelettes !), Jaume est passé maître de l’engobe, ce mince revêtement à base d’argile délayée, appliqué sur une pièce de céramique pour modifier sa couleur naturelle et lui conférer l’aspect lisse et luisant au contact de l’émail. Au rang des familles de céramistes, les Ferrés installés à Corça jouent toujours et encore les messagers de la patience depuis 1956. Leur expérience des techniques artisanales ainsi que leur goût pour l’innovation et le design ont propulsé leurs carreaux céramiques dans les lieux les plus chics d’Europe. Et d’habiller les restaurants les plus select de Barcelone, dont le double étoilé Michelin « Disfrutar », mais également le « H10 Casa Mimosa » ou encore le « ME Sitges Terramar » dont le propriétaire n’est autre qu’un certain Leo Messi ! Droit au but, le carreau émaillé et le grès cérame en monocuisson ou bicuisson se met toujours plus au service de l’architecture d’avant-garde, entre design et volonté de perpétuer la tradition. En intérieur ou en extérieur, la céramique fait mouche et revient depuis quelques années en majesté. Au-delà des entreprises familiales du cru, telles que Ceràmica La Estrella, Ceràmicas Yuma ou Céramiques Est, Puigdemont et Aparicio, il en est une qui aura marqué la Bisbal à jamais. Chez les Vilà-Clara, dont l’atelier-boutique se situe Carrer del 6 d’Octubre à la Bisbal, la céramique est élevée au rang d’art. Josep Vilà Clara mort en 1989 est aujourd’hui considéré comme le pionnier du passage de la poterie traditionnelle à la céramique d’auteur, à l’objet d’art. La personnalité de ce génie qui avait pourtant commencé comme apprenti dans la vénérable pâtisserie de Can Graupera, a largement dépassé l’Empordanet. Ses œuvres, dont de nombreuses céramiques murales, sont devenues des pièces de collection. Les fils Vilà-Clara ont naturellement repris le flambeau. Joan a pris la tête de l’association des céramistes de Catalogne. Infatigable pétrisseur de terre, ardent défenseur d’un art millénaire, il est incollable sur l’histoire d’amour de la Bisbal avec la poterie. Dans l’atelier familial, toutes les pièces une fois terminées et avant d’être enfournées, sont signées individuellement. Elles sont cuites une première fois à une température de 990º C. La pièce est ensuite vernie et cuite à nouveau à 1030º C avec une courbe de cuisson très longue qui lui confère cette finition caractéristique de la céramique Vilà-Clara.

« Ceràmica la Bisbal », marque déposée depuis 2010

De nous, les pots, les vases, les cruches, les plats… Les céramistes font des œuvres d’art avec les éléments. Et s’il est un élément qui fait la différence, c’est bien la terre. La terre des Gavarres, l’ADN de la Bisbal. La « vermella » est cette argile rouge, ferrugineuse, plastique et grasse. Elle est la préférée des ustensiles de cuisine, de la vaisselle. La « blanca » plus sableuse, plus dure, plus poreuse convient à la céramique de revêtement et de construction. Parfois, à la lumière d’un savant mélange, les deux argiles couvertes d’engobe et vernies peuvent être du plus bel éclat. Céramique utilitaire, décorative ou appliquée à la construction, peu importe. La « Ceràmica de la Bisbal » est depuis 2010 une marque déposée et certifiée authentique à l’échelle de l’Union Européenne. Ce label oblige les fabricants à mettre les produits sur le marché avec le logo associé à la marque, qui figure également sur l’étiquetage ou l’emballage. Pots de fleurs certes mais pas si cruches que ça ! L’Association d’Entrepreneurs Artisans Céramistes de La Bisbal et de sa région et  l’Union des Commerçants de La Bisbal veillent au grès. Car parfois, nous nous sentons égratignés dans notre cœur bisbalenc… Parmi la ribambelle de boutiques-vitrines du carrer de l’Aigüeta, cette grande avenue qui nous est, pour ainsi dire dédiée, de fausses céramiques jumelles se sont invitées. Venues de contrées asiatiques et de pays bien loin du Massif des Gavarres, elles ne peuvent prétendre à l’authenticité et à la qualité du savoir-faire de nos artistes-artisans. Plus de 500 ans de tradition céramiste, ça ne se balaie pas comme ça ! Alors récemment, nous avons brûlé de fierté. D’abord parce que l’ensemble des cinq municipalités a reçu l’accréditation comme destination de tourisme créatif du prestigieux réseau international « Creative Tourism Network ». Et ensuite, parce que nous, les céramiques artisanales des ateliers de la Bisbal, avons décroché le prestigieux label de « World Craft City ». La Bisbal est ainsi la première cité artisanale d’Europe continentale et la 5e au niveau européen. Autant dire une reconnaissance inédite qui officialise notre tradition historique de l’artisanat céramique. Cette distinction internationale nous permet d’attirer encore plus d’artisans. La mairie et les associations de céramistes ont ainsi pu lancer un appel à tous les artisans créateurs désireux de s’installer à la Bisbal en leur proposant des aides économiques. Et ça fonctionne ! C’est même la grande fête à la Bisbal. Les ateliers de céramistes autodidactes se multiplient. Céramiques d’auteur, pièces de créateurs, grès porcelainique design… Nous manquait un temple pour nous célébrer en bonne et due forme. C’est au musée Terracotta que toute notre histoire, notre passage de l’argile à l’ustensile de cuisine, à l’œuvre d’art ou au revêtement de maison est magnifiquement mis en scène. Là, au pied des cheminées, dans une ancienne fabrique superbement réinventée depuis 2015, entre les vieux bassins de filtrage de terre et les fours en brique parfaitement conservés, nous sommes plus de 10000 pièces de céramique, de poteries et de faïence à revenir sur le devant de la scène. Tapis rouge en hommage à cette argile « vermeille » qui nous élève au rang des merveilles !

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