30 Juil LA CITE DES SABLES
Entre mer et lagune, la station du Barcarès semble suspendue sur une étroite bande de terre, comme si elle hésitait encore un peu à larguer les amarres pour devenir une île.
Il y a 60 ans, la lagune du Barcarès, en réalité la pointe méridionale de l’étang de Salses, s’étendait entre les ajoncs, les roseaux et une languette de terre étroite et vierge, à l’exception de quelques cabanes de pêcheurs construites avec des gerbes liées de senyils serrés. Des anguilles, des batraciens, des milliers d’oiseaux et des nuées de moustiques se partageaient alors les lieux sous la gifle violente de la tramontane. Quelques barques tirées haut sur la grève ornaient les plages de ce qu’on appelait encore le port de Sant Llorenç, en référence à Saint Laurent de la Salanque. Mais ça c’était avant ! Avant que ces quelques barques n’inspirent le nom de la ville à venir. Avant que ne naisse en 1962, dans un bureau de technocrates parisiens, une grande idée : aménager le littoral languedocien et catalan. L’objectif affiché est de stopper l’hémorragie des touristes vers l’Espagne, protéger la Côte d’Azur déjà saturée, compenser les effets économiques de la crise viticole en proposant un autre mode de développement et surtout, répondre à l’afflux des pieds-noirs quittant définitivement l’Algérie pour la métropole en leur proposant un cadre de vie proche de leur pays perdu, à fleur de Méditerranée. Le plan Racine, du nom de son chargé de mission, Pierre Racine, fit donc surgir du sable la station balnéaire nouvelle du Barcarès, porte maritime de la Catalogne, fer de lance d’un nouveau tourisme basé sur les plaisirs de la mer et du soleil offerts à toutes les classes sociales. L’emplacement fut notamment choisi pour la beauté de son cadre naturel, 8 km de plages longues et douces adossées à un lac marin de 7000 hectares, avec pour ligne d’horizon terrestre, les masses compactes des Corbières, des lointaines Albères, et en arrière-plan la majesté du Canigou, énorme, qui reflète sa puissance dans les eaux de l’étang froissées par le vent. Pour rendre habitables ces zones lagunaires aux eaux stagnantes boudées de tous temps par les hommes sagement établis dans l’arrière-pays immédiat, un plan de démoustication a été nécessaire qui se poursuit encore soixante ans plus tard. Une mutation totale, et à l’arrivée, une station balnéaire qui a su prendre tous les virages de la modernité pour proposer un tourisme global, certes, mais aussi une qualité de vie qui séduit de plus en plus de sédentaires. Il faut dire que le plan Racine déjà évoqué s’est doublé d’un plan de protection du littoral qui a permis de conserver intacts des kilomètres de côte et les fonds marins qui les longent. Le Barcarès, c’est le grand large en pleine nature !
Tradition revisitée
Aujourd’hui, le Barcarès s’étend de l’embouchure de la Têt à l’étang de Salses, en lisière d’Occitanie. Une série de mas anciens, cossus, bien en retrait du front de mer, parlent d’un temps révolu où l’agriculture régnait en maître. Une des vieilles baraques de pêcheurs, en bordure d’étang, est classée monument historique. De nombreux visiteurs, captent, appareil photo en main, l’envol gracile des oiseaux et les pas de danseurs des flamants roses. « Vivre ici, c’est comme habiter dans un kaléidoscope, la lumière change sans arrêt, on voyage sans bouger » explique Jean-Luc, photographe. L’architecture du noyau du village, sobre et géométrique, a revêtu avec la patine du temps un charme un peu désuet et respire les années 60 tandis que les constructions modernes s’inspirent largement de l’habitat traditionnel des pêcheurs de Méditerranée. La lagune est émaillée de marinas qui conjuguent avec bonheur plaisirs du nautisme, du soleil et de la baignade. Des villages de vacances, des lotissements récents, tout montre une ville en plein essor qui a su s’affranchir des limites de l’héliotropisme pour structurer une offre globale : verte, sportive, et de loisirs. Le Village proprement dit s’organise autour d’une place tournée vers la mer où les joueurs de pétanque pratiquent assidûment à l’ombre des platanes mûriers, aux côtés des stands colorés des marchés. Une étrange goélette, comme échouée, sert d’aire de jeux et de scène de spectacle. Elle accueille en effet bals populaires et concerts de variété. On sent que les concepteurs de la station ont parié sur la convivialité en ouvrant cette agora face à la grande bleue, jouxtée d’une église chaulée d’ocre et de blanc, Notre-Dame de Bon Secours. Pari gagné, l’espace est animé en toutes saisons ! De marchés publics en concerts, la vie coule… Douce. Le souci de développer le tourisme en toutes saisons, a conduit à privilégier un tourisme différent, celui de la plaisance dont le boom s’allie à la persistance têtue d’une pêche artisanale, mais toujours dynamique. Ces deux univers fédérés par l’amour de la mer, se côtoient et se fondent au port, situé sur le Grau Saint Ange, le chenal qui relie l’étang de Salses à la Méditerranée et que doublait autrefois un autre grau aujourd’hui disparu, le Grau Nou. Les bateaux chargés de poisson rentrent chaque jour au port. Les canaux d’accostage alignent 1500 anneaux, répartis entre l’étang et les marinas.
Emblématique vaisseau
Un village de pêcheurs a été aménagé près des barques catalanes et des étals de poissons. Pittoresque, il accueille expositions et événements. Le grau est aussi le haut lieu de joutes sétoises ou de compétitions de « llagut » ces barques à rames effilées caractéristiques de la côte catalane. Un peu plus loin s’élève un étrange paquebot ensablé, le Lydia, qui assurait la ligne régulière entre Marseille et Beyrouth jusqu’en 1966, avant d’être racheté pour devenir l’emblème de la station dont il constitue de fait l’un des plus anciens bâtiments et qui fut tour à tour casino, boîte de nuit, musée… Autour de ce paquebot des sables, l’allée des arts, pensée par le galeriste et photographe John Craven, est un des plus longs musées en plein air du monde. Un front de mer magnifique labellisé « patrimoine du XXe siècle » en 1990 qui aligne des sculptures contemporaines remarquables dont certaines d’immenses artistes internationaux comme Peter Klasen, ou Michel Guino pour ne citer qu’eux.
Plages et voies vertes
Il est clair que Le Barcarès se donne les moyens de ses ambitions et porte haut les valeurs de la culture dans son spectre le plus large, du bal musette à l’art contemporain. « On vient tous les ans depuis plus de vingt ans. Nos enfants ont grandi ici. Maintenant ce sont de jeunes adultes et ils viennent en vacances avec leurs amis, parce qu’ils ne s’y sont jamais ennuyés » explique Agnès, nordiste adoptée. Bien sûr, le premier atout du Barcarès, ce sont ses 8 km de plages blondes au sable fin, sur lesquelles flotte le pavillon bleu, qui proposent tous les plaisirs de l’eau et du vent. Tous les publics y trouvent leur compte, des plus sportifs aux petits enfants, seau et pelle à la main. Le Barcarès est une station généraliste dans le meilleur sens du terme : wake board, ski nautique, téléski nautique, windsurf, kitesurf, plongée, kayak, simple joie de nager et de lézarder au soleil, tout est permis. Il parait même que les incorrigibles tenants du plancher des vaches auront bientôt un skate park indoor ! Pour relier les différents quartiers de la station, rien de tel que le vélo ! La piste cyclable se prolonge joliment vers l’embouchure de l’Agly, ombragée, bordée de lauriers roses, aisément carrossable et surtout, plate à l’infini et donc accessible à tous. En toutes saisons, des familles en promenade s’y croisent, amoureuses de ce paysage qui respire la liberté, avec ses dunes en pente douce à peine constellée de végétation. Pour les fous du pédalage, cette voie verte se prolonge au nord et au sud pour devenir un axe vert européen ! à noter, en bord de plage, la jolie chapelle blanche de Notre-Dame de tous les Horizons, un nom qui sonne comme un manifeste d’accueil et de bienvenue. L’offre hôtelière, en dur et de plein air réalise pleinement cette vocation originelle. Même s’il n’en reste pas grand-chose, Le Barcarès a toujours été un point stratégique et au fil des siècles, la bande de terre qui sépare la lagune de la mer, parallèle à la vénérable Via Domitia, a accueilli nombre de fortins militaires.
Un passé jeune et dense
Plus récemment, le camp de réfugiés du Barcarès, hâtivement bâti à même la plage, a accueilli les républicains espagnols exilés suite au coup d’état de Franco avant de devenir un centre de formation pour les volontaires étrangers, c’est-à-dire les Espagnols et Catalans engagés dans la Résistance française à l’ennemi nazi. Un Monument aux Volontaires étrangers salue la mémoire de ces hommes courageux. Toutefois, si le Barcarès n’oublie pas son jeune passé, et rend régulièrement hommage aux groupes culturels qui la composent, elle reste tournée vers l’avenir, toujours à l’affût des tendances comme l’illustre son festival Electro Beach, incontournable étape estivale des stars de la discipline et de toute une génération de fêtards venus de toute l’Europe et au-delà. Sans doute est-ce là la grâce et le talent du Barcarès : conjuguer tous les goûts, tous les styles, toutes les générations, population sédentaire et foules estivales, dans une joyeuse harmonie qui fait la part belle aux moments de convivialité festive et permet, dans une nature préservée, de vrais moments d’évasion. Une belle destination et un havre de douceur de vivre.
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