
03 Avr La Conca de Barberà, Terres de Légendes
La Conca de Barberà s’offre deux totems de l’identité catalane, deux merveilles médiévales, deux vigies de spiritualité. Elle abrite à la fois le lieu du combat entre Sant Jordi et le terrible dragon et l’écrin de la plus belle des abbayes royales catalanes, Poblet.
À l’approche de Montblanc, par ailleurs capitale de la région, on se sent un peu dans la peau de Don Quichotte découvrant au loin les énormes remparts de Barcelone. Tout petit et surtout curieux. Cette sensation est décuplée par la présence majestueuse des Montagnes de Prades qui se dressent en arrière-plan. L’enceinte fortifiée, gigantesque, s’étend sur près de deux kilomètres, rythmée par une bonne trentaine de tours crénelées construites au XIVe siècle autour du village médiéval préexistant pour lutter contre les prétentions hégémoniques éternelles de la Castille. Il ne reste que deux des quatre portes monumentales de cette cité unique : le portail de Sant Jordi et le portail Bové, mais ils offrent un aperçu saisissant de ce qu’elle a pu être. Si belle, si imprégnée de l’esprit médiéval, si légendaire au fond, que c’est sous ces imposants remparts que l’historien Joan Amades, inspirateur du roman national catalan, situe le fameux combat du chevalier Sant Jordi, qui est aussi le patron du pays, contre un monstre sanguinaire venu dévorer les jeunes filles, notamment la princesse locale. Un véritable mythe. Cette victoire du Bien sur le Mal, de la connaissance sur l’obscurantisme, a donné lieu à une fête nationale célébrée en Catalogne chaque 23 avril.
Légende et Tradition
C’est à la fois la Saint Valentin catalane et plus largement, la fête de toutes les sortes d’amour ou d’amitié matérialisés par un échange de livres et de roses. L’Unesco l’a reconnue comme la journée mondiale du livre ! Les petites rues étroites de la ville, conservant leur plan médiéval, s’ouvrent sur de rares places à arcades. Montblanc présente de nombreux bâtiments civils gothiques qui rappellent, par leur aspect hiératique et sobre, le centre ancien de Perpignan. Mentionnons la beauté du Palais Royal, le Palais-Forteresse du Castlà, ainsi que les maisons bourgeoises Alenyà, Josa et Desclergue, de véritables joyaux organisés autour de leurs patios. À cette architecture austère, qui bannit toute ostentation, s’oppose la splendeur des bâtiments sacrés, à commencer par l’église archipresbytérale Santa Maria la Major. Son style gothique un peu tardif a été enrichi d’un beau portail baroque au fronton soutenu par de belles colonnes surmontées de statues. Longtemps inachevée à cause de la terrible peste noire du XIVe, elle a en outre subi, dans les années 1640, des destructions liées à la Guerra dels Segadors, la guerre des faucheurs. La silhouette massive des sommets qui bloquent l’horizon lui a valu le surnom mérité de cathédrale des montagnes. C’est un peu le pendant de Santa Maria del Mar à Barcelone. Leur réputation, amplifiée par la « vox populi », va bien au-delà de leur statut ecclésiastique officiel pour célébrer leur aura exceptionnelle.
Rescapée de temps plus anciens encore, l’église Sant Miquel a conservé sa façade romane malgré son remaniement gothique tandis que Saint Marçal incarne pleinement la majesté tranquille du gothique catalan aux ogives presque accroupies, plus trapu que ses cousins du nord. L’ensemble médiéval de Montblanc est une merveille à parcourir mais n’a strictement rien d’un conservatoire ou d’un musée : les boutiques aux jolies devantures, scrupuleusement pensées pour s’intégrer harmonieusement à l’ensemble, les cafés conviviaux, les petites boulangeries, attirent une foule affairée qui rappelle à tout moment que Montblanc est aussi une capitale économique. Un jeu de ruelles plus étroites que les autres, aux ouvertures particulièrement hautes rappellent qu’ici vécut une communauté juive. Au-delà de ses fortifications, l’éclat gothique de la ville se prolonge avec l’élégant couvent de Sant Francesc et son cloître orné de voûtes ogivales, ainsi que l’hôpital Santa Magdalena. Un point d’attraction notable est également le pont médiéval, caractérisé par ses arches ogivales ornrmentales, qui vient d’être entièrement restauré après une crue mémorable. Le charme des lieux est décuplé par la présence des deux rivières qui se rejoignent, le Francoli et l’Anguera, et la présence d’une poignée de hameaux qui entourent la ville et réservent d’étranges surprises comme les peintures rupestres classées au patrimoine mondial de l’Unesco de Rojals, à quelques kilomètres à peine. Montblanc possède également un Centre d’Interprétation dédié à ce patrimoine inestimable, qui vous fera regarder tout autrement le cirque minéral alentour. Un petit tour à la belle cave coopérative viticole, parée de briques et signée Cèsar Martinell, vous révélera une certaine continuité architecturale cultivée par le Modernisme, toujours hanté par le spectre gothique. Si vous avez aimé votre arrivée à Montblanc, vous n’oublierez jamais le moment où vous verrez se dessiner l’enceinte en trapèze de Poblet, insolite au milieu des vignes en pente douce. Et encore moins, sans doute, le franchissement du portail monumental et l’avancée sur la calade irrégulière, usée par les milliers, voire les millions de pas de pèlerins et de grands personnages qui l’ont polie, tout en longeant les bâtiments d’intendance jusqu’au portail de l’église. Une trentaine de moines y vit encore, partageant leur temps entre travail et prière selon la règle bénédictine « ora et labora », largement modernisée par l’irruption d’Internet qui leur permet d’être en réseau avec d’autres communautés monastiques. Poblet est inscrit au Patrimoine de l’Humanité et tout en lui mérite cette distinction, qu’il s’agisse du site naturel ou de l’architecture. Poblet est le plus beau monastère de la route cistercienne qui le relie à Vallbona de les Monges et à Santes Creus. Il a vu le jour au XIIe siècle, en 1129, à l’initiative du Comte-roi Ramon Berenguer IV, sous l’égide de moines venus de l’abbaye de Fontfroide porter la parole de Citeaux sur ces terres méridionales. Et cette foi primitive est bien là, dans l’élévation qui saisit le visiteur. L’église Santa Maria, grandiose dans la noble monochromie de sa pierre aux reflets d’opale, obéit à un plan basilical qui la scinde en trois nefs reliées par un transept et un déambulatoire majestueux. Une corolle d’ogives ouvre les chapelles latérales et couronne aussi le réfectoire adjacent. Santa Maria est le panthéon d’Alphonse le Chaste, de Jaume Ier le roi conquérant, de Pere le Cérémonieux et du dernier roi de la première dynastie catalane, mort sans enfant, Martí l’Humà (Martin Ier dit l’Humain). Autant dire, une quintessence de catalanité. Une paix profonde, presque tangible, nait du silence minéral. à côté, le cloître, précédé par un grand lavatorium au bassin circulaire percé, couronné de jets égaux et abrité d’ogives dentelées, déploie ses deux étages de galeries sur des jardins méditerranéens aux essences odorantes. Sa salle capitulaire sert encore de lieu de lecture comme elle l’a fait pendant des siècles et les moines s’y réunissent pour débattre des règles de vie en communauté et des questions théologiques. Poblet est un haut lieu spirituel dont le rayonnement est immense dans le monde catholique. En fait, trois espaces concentriques et étanches définissent la circulation dans le monastère : ouvert au public désireux de le visiter, ouvert aux moines et aux visiteurs masculins qui y font retraite, ouvert aux seuls moines. Tous sont annoncés par des portails monumentaux qui facilitent la circulation et la lecture de l’architecture. à Poblet, tout est dans les détails : une rampe d’escalier s’avère un monstre démoniaque en forme de serpent et la promenade sur les galeries les plus hautes est une plongée dans la nature magnifique qui sert d’écrin à l’ensemble. L’ancien Palais Royal situé dans l’enceinte, celui du roi Martí, abrite de merveilleuses œuvres picturales gothiques, des retables, des prédelles, des statues et une collection de verreries remarquable tandis que la bibliothèque recèle quelques trésors historiques. Une fois à l’extérieur, ne ratez pas l’hostellerie où individus et familles désireux d’échapper aux rumeurs du monde sont les bienvenus.
Seule concession au caractère sacré des lieux, l’absence de télévision ! Il vous restera à explorer la boutique où vous pourrez acheter le vin du monastère dont les terres sont désormais sous-traitées au groupe Codorníu, les moines n’étant pas assez nombreux pour assurer récolte et vinification, et aussi une foule d’objets d’artisanat. Gageons que vous aurez envie de ramener avec vous quelque chose de Poblet ! Avec ces deux joyaux, la Conca de Barberà vous a déjà révélé bien plus qu’elle-même. Elle vous a donné accès à l’âme catalane, forgée par la mémoire médiévale de l’âge d’or gothique, entre le vacarme des conquêtes et le silence des scriptoriums. Venez découvrir ces lieux magiques où l’histoire rencontre la beauté naturelle, et laissez-vous transporter par les récits de chevaliers, de moines et d’artistes qui ont façonné cette terre légendaire.
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