01 Oct La fascinante route des Templiers
C’est un itinéraire qui vous mènera loin dans les terres catalanes, poussant même jusqu’en Aragon, et, très bas sur la côte méditerranéenne, en pays valencien. Un voyage dans le temps, surtout : nous partons ce mois-ci sur les traces des Templiers, à travers la découverte de forteresses vertigineuses et monumentales. Dépaysement garanti.
Des Templiers, on connaît surtout les croisades vers l’Orient, qui évoquent la religion et les batailles sanglantes, le tout auréolé de mystères plus ou moins ésotériques. Cet ordre de chevaliers religieux créé suite au concile de Troyes, en 1129, avait en fait pour fonction originelle d’accompagner et de protéger les pèlerins sur la route de Jérusalem. Mais les Templiers ont aussi tenu des villes, des régions, et, sur la péninsule ibérique, régné du haut de forteresses prises aux Maures… Car sous la couronne d’Aragon, ils participèrent à la reconquête du territoire musulman. En Catalogne, les traces de cette époque médiévale peu sereine sont nombreuses. Nous avons donc décidé de nous embarquer pour un voyage dépaysant, en suivant la route templière Domus Templi (comprenez les « maisons du Temple »), qui propose un circuit prêt à réaliser, ludique et passionnant. Depuis Perpignan, nous partirons à l’assaut du château de Monzón, en Aragon, puis nous descendrons sur Gardeny, à deux pas de Lleida. Nous poursuivrons toujours plus au sud vers Miravet, à l’intérieur des terres de l’Ebre, puis Tortosa, près du delta, et nous achèverons ce périple par la découverte de Peníscola, dans le pays valencien. Mais dans un premier temps, cap, donc, sur Monzón, à quelques kilomètres à peine de la Catalogne, en Aragon… Bouclez vos ceintures… C’est parti !
Monzón : une citadelle démesurée
Depuis Perpignan, nous filons droit sur l’Aragon, via Figueres, Olot, Vic et Manresa. Monzón se situe au nord-est de Zaragoza, à mi-chemin entre Lleida et Huesca. A l’arrivée dans cette région, le contraste entre les champs de céréales verdoyants, aspergés de jets d’eau, et les collines dépourvues de la moindre végétation est saisissant. Ce sont les prémices du désert de Los Monegros tout proche. Monzón est une petite ville tranquille de 17 000 habitants, flanquée de ponts enjambant la rivière Sosa, un modeste cours d’eau grignoté par les roseaux. Rive gauche, on parcourt les ruelles étroites du centre ancien en rasant les murs, à l’affût de l’ombre. On passe devant la remarquable église Santa María del Romeral, qui accueillit au Moyen-Age les têtes couronnées de passage dans la région, et on se dirige vers la citadelle qui, robuste et massive, domine la ville depuis sa colline. En gravissant la voie d’accès pentue du château, en butant sur ses galets scellés au sol par la tranche, en apercevant le corps de garde creusé dans la roche, on comprend, avant même d’avoir posé un pied dans les écuries, la salle capitulaire ou le donjon, pourquoi cette forteresse était réputée imprenable. Alors que nous, simples visiteurs équipés légèrement, soufflons comme des bœufs pour atteindre la cour intérieure, plantée à 370 mètres d’altitude, comment imaginer le calvaire qu’auraient subi des assaillants du Moyen-Age, tassés sous leurs kilos de ferrailles et d’armures, s’apprêtant à livrer un rude conflit ? L’imagination devient galopante lorsqu’on apprend que le château est doté d’un souterrain conséquent, qui prend son départ dans le temple et débouche sur l’extérieur… Nous voilà alors en plein roman ésotérique à la Dan Brown. Si on s’en tient à l’Histoire, ce château a bien vécu des heures tourmentées : construit par les musulmans au Xe siècle, il fut conquis par les troupes chrétiennes dirigées par le Roi Sancho Ramírez, qui le confièrent au Temple en 1143 comme récompense pour ses services guerriers… Cela, après une longue controverse, la noblesse voyant d’un mauvais œil cette attribution. Les Templiers procédèrent à d’importantes modifications de l’édifice, et vécurent ici en prenant part à la vie civile… Une première semble-t-il. Ils pratiquèrent l’élevage, possédant des cheptels importants, pouvant aller jusqu’à mille bêtes. Ils occupèrent le château jusqu’en 1308… Soit un an après la fin proclamée des Templiers : considérés par le roi de France, Philippe Le Bel, comme « bras armé » de la papauté, ils furent les victimes collatérales du conflit entre les rois et l’église catholique romaine. On leur reprocha également leur corruption et leur perversion, raisons qui incitèrent le roi Jaume II à suivre son voisin français et à ordonner l’arrestation des Templiers et la confiscation de leurs biens. Quittons le château de Monzón, et filons vers Lleida, pour une découverte moins spectaculaire mais franchement hors du temps.
Le sol de Gardeny foulé par Jules César
Imaginez… Le château de Gardeny se dresse sur une colline offrant une vue imprenable sur la ville de Lleida et son ensemble monumental de la Seu Vella. Depuis sa terrasse, nous observons, fascinés, la vie citadine qui bruisse à nos pieds. Ce site se révèle d’autant plus magique lorsqu’on apprend qu’en 49 avant Jésus-Christ, des pieds célèbres le foulèrent… Ceux de Jules César, rien de moins ! Il se rendit sur ce petit plateau lors de la campagne de Lleida, qui l’opposa aux légats de Pompée Afranius et Petreius. Bien plus tard, pendant la deuxième moitié du XIIe siècle, les Templiers construisirent ici leur couvent. La colline leur fut en effet attribuée en récompense de leur engagement militaire aux côtés du comte de Barcelone Ramon Berenguer IV, lors du siège de Lleida, alors musulmane. Comme beaucoup de ses pairs, le château de Gardeny fut ensuite confié à l’ordre Hospitalier. Plus tard encore, aux XVIIe et XVIIIe siècle, il subit des modifications pour devenir une imprenable forteresse militaire. Aujourd’hui, le site est principalement constitué d’une église romane et d’une tour d’habitation, ainsi que de fortifications. Dans plusieurs de ses pièces, on découvre des reconstitutions de scènes de vie, avec mannequins et reproductions d’objets d’époque. Mieux encore, on vous propose de devenir « templier d’un jour » ! Des ustensiles du quotidien aux vêtements, une animation vous invite à vous glisser dans la peau d’un membre de l’ordre (1). Cette seconde étape de la route Domus Templi est aussi l’occasion de descendre découvrir les beautés de Lleida, ses ruelles typiques, mais aussi sa cathédrale impressionnante et son château du Roi. Nous reprenons la route vers le troisième site… Notre coup de cœur : le château de Miravet.
Et au milieu coulait l’Ebre…
On accède à ce petit village typique en descendant la vallée sauvage de l’Ebre. Ses maisons s’accrochent à une colline, les pieds dans le fleuve. Sur ses rives, des vergers d’orangers et des vignes se succèdent. On grimpe jusqu’au château par une petite route tortueuse. Que vous soyez amateur de vieilles pierres ou non, poussez donc la porte de ce lieu magique. Depuis ses terrasses, de superbes panoramas se dégagent sur la vallée et les collines plantées de pins, avec, omniprésent, cet Ebre qui se tortille et revient vers nous, dans une palette de bleus apaisants, pour mieux filer vers la mer. Le château de Miravet est, comme ses pairs, monumental. Des blocs impressionnants taillés sans fioriture se dressent les uns sur les autres, formant une masse d’une hauteur à vous donner le torticolis. Sujets au vertige et à la claustrophobie, évitez la montée vers la terrasse du toit : on emprunte un escalier en colimaçon si étroit qu’il est impossible de s’y croiser. Ses marches imposantes forcent à de belles enjambées, et, pour couronner le tout, sont très glissantes. Mais une fois cette étape passée, c’est un grand bol d’air que nous prenons de plein fouet, pour peu que le vent souffle. Depuis cette vaste terrasse crénelée, la vue est encore plus spectaculaire et couvre presque les 360 degrés. Comme Gardeny, Miravet fut donné aux Templiers par Ramon Berenguer IV, lors de la conquête catalane. L’Ordre du Temple transforma alors le château Al-andalus en forteresse. Par la suite, le château fut attribué aux Hospitaliers.
Passionnés et chercheurs de trésors
Aujourd’hui, loin de ces périodes tourmentées, on vient découvrir le château de Miravet par curiosité élémentaire… « Ou par passion », rectifie la réceptionniste. « Certains visiteurs sont férus de l’histoire des Templiers. Nous avons aussi parfois des chercheurs de trésor » s’amuse-t-elle. Car l’histoire des Templiers et leur déchéance continuent d’alimenter moult légendes farfelues. Aujourd’hui, des bénévoles dressent des tables en prévision de la fête du samedi à venir… Des concerts de musique classique et pièces de théâtre sont aussi organisés dans ce site majestueux. Nous poursuivons notre périple au fil de l’Ebre, en direction de la Méditerranée… Prochain arrêt : Tortosa. La citadelle domine cette ville bi-millénaire envoûtante, avec sa cathédrale, son palais épiscopal et ses ruelles typiquement médiévales.
Une prison devenue château royal… Et aujourd’hui hôtel de luxe
Le château de la Suda, ou de Sant Joan, est aujourd’hui propriété de l’Etat espagnol et a été transformé en Parador (chaîne d’hôtels haut de gamme situés dans des bâtisses prestigieuses). On ne peut donc pas le visiter. Toutefois, depuis sa cour, une belle vue sur la ville se dégage : au sud, le quartier ancien commerçant et au nord, son vieux quartier juif fait de modestes bâtisses aux ruelles étroites. Le fleuve fait office de démarcation entre les parties, ancienne et récente, de la ville. Plus loin, la chaîne de montagnes dels Ports barre l’horizon. Depuis cette terrasse, on comprend aussi l’intérêt stratégique du site, perché sur une colline. Des canons disposés le long du muret crénelé rappellent que le château a vécu de nombreuses époques tourmentées. Construit à l’époque musulmane, il devint, sous l’occupation chrétienne, prison publique… Puis château royal ! Autant dire qu’il hébergea, tour à tour, les faibles et délinquants, et les puissants. Une bonne partie de l’édifice tel qu’il existait à l’époque médiévale a été détruite au fil des travaux de modernisation et des péripéties de l’Histoire. Nous descendons toujours plus au sud, longeant la Méditerranée, pour découvrir la dernière étape de notre périple, et objectivement la plus belle : Peníscola. Située à quelques kilomètres des frontières administratives de la Catalogne, on entend parler catalan dans ses rues comme dans tout le pays valencien.
Peníscola la blanche
Cette cité touristique se divise en deux parties bien distinctes : côté pile, une station balnéaire classique, avec ses immeubles et son immense front de mer accueillant une foule compacte de vacanciers en été… Quand, côté face, c’est un bijou méditerranéen qui se dévoile, une cité toute blanche qui dévale une colline pour plonger dans la mer. Perché au-dessus de cette petite ville aux allures grecque et marocaine, le château contraste par sa couleur sable, que l’on retrouve aussi sur les remparts monumentaux qui encadrent le bas de la cité. Les Templiers construisirent cet ouvrage entre 1294 et 1307 sur le modèle des constructions de Terre Sainte, sur les restes d’une forteresse arabe réputée imprenable, que Jacques Ier avait sagement évitée lors de sa reconquête. Après dissolution de l’Ordre, elle passa sous régence d’un autre ordre, celui de Montesa. Depuis la terrasse supérieure, une vue splendide embrasse les toits-terrasses de cette cité blanche. Le regard perdu dans la Méditerranée, on se prend à imaginer ce que devait être le quotidien des templiers… Étrange congrégation qui n’avait pas fait de choix entre les armes et la méditation, et qui devait, au quotidien, vivre de façon très militaire. En repartant, nous découvrons deux écus sculptés sur l’entrée du château. Ce sont ceux des ordonnateurs de la construction de cette forteresse-couvent, le frère Bérenger de Cardona, maître de l’Ordre du Temple pour la province d’Aragon et de Catalogne, et le frère Arnauld de Banyuls, commandeur de Peníscola. Sept siècles plus tard, l’empreinte des Templiers est toujours présente sur la pierre… et dans l’Histoire.
Fanny Linares
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