VOTRE MAGAZINE N° 132 EST EN KIOSQUE
VOTRE MAGAZINE N° 132 EST EN KIOSQUE

LA FESTA DEL PI DE CENTELLES

05 Déc LA FESTA DEL PI DE CENTELLES

A Centelles, le 30 décembre, on fait entrer un immense pin dans l’église. Plus qu’une fête, un rituel qui pique la curiosité, enflamme le village et embrase les esprits. Attention, spectacle traditionnel impressionnant et… assourdissant ! La Festa del Pi a été déclarée « Fête patrimoniale d’Intérêt National » en 1987.

J’avais à peine 16 ans quand j’ai commencé… C’était en 1944 ». Et depuis 1981, Josep Guiol a été élevé au rang de capitaine de l’ « Association de Galejadors de Centelles ». Plus qu’un titre, un honneur pour ce Catalan âgé de 91 ans. Être « galejador », un rituel unique, propre à ce village de 7 500 habitants dans la région de l’Osona, au sud de Vic. Être « galejador », comprenez « savoir faire gala », savoir parader avec un fusil ou un tromblon sur un ton festif pour honorer le pin à l’occasion de la Festa del Pi ! « On honore le pin mais pas n’importe lequel ! Ce pin-là, c’est tout le village de Centelles. Chaque branche représente une rue, chaque branche porte en elle une famille d’ici. Dans ce pin, on retrouve tous les habitants de Centelles. Ceux qui ne sont plus, ceux qui sont présents et ceux qui viendront après nous. » Pour faire partie du cercle fermé des « galejadors » qui compte un peu plus de 340 membres actuellement, dont une soixantaine de femmes, Josep Guiol explique « qu’il faut seulement être né à Centelles ou y résider depuis au moins 7 ans ! ». La Festa del Pi, un singulier arbre généalogique, une tradition fêtée chaque 30 décembre depuis 1751 avec une interruption durant la Guerre Civile entre 1936 et 1939. Ce n’est d’ailleurs qu’en 1976, un an après la mort de Franco, que l’association de « galejadors » a pu être créée au nom de la transition démocratique… Reste que depuis près de 300 ans, l’arbre à aiguilles mobilise tout un village dès le 26 décembre, jour de Saint Estève. Acte I : c’est au petit matin que l’on commence à s’agiter. Les hommes de Centelles s’engouffrent dans la forêt. À l’affût. Plus qu’une mission, c’est jour de grand défi : trouver le plus beau pin. Il doit être droit et élancé. Question de fierté. Sa ramure d’un vert impérial doit former une coiffe parfaite. Sans anicroche, sans branche cassée. Traqué, repéré, célébré à coup de fusil puis choisi par la troupe d’habitants de Centelles, le pin est enfin élu. Ce sera celui de Santa Coloma, la Sainte Patronne qui a donné son nom à l’église du village. Un pin condamné au nom d’une fête séculaire qui, le 30 décembre dès
7 heures du matin, envoie plus de 300 « galejadors » au pied du pin.

Festivals de coups de feu

Le 30 décembre, deux jours avant la fin de l’année, au nom d’une chronologie aussi traditionnelle qu’invariable, on se rend d’abord à la prière des laudes matinales. Un instant sacré qui se transforme rapidement en festival à coups de feu sur la place et dans les rues du village. Dans la fumée et les nuages de poudre, vêtus de noir sur chemise blanche, coiffés de la barretina rouge, les hommes s’en donnent à cœur joie. Dans les cafés, l’ambiance défie la météo de la fin décembre. La botifarra remplit les estomacs, la ratafia arrose les esprits de ces 1 000 herbes secrètes ! Ils sont chauds, bouillants, armés de leurs tromblons et autres fusils. En 2019, ils avaient prévu 400 kg de poudre pour alimenter leurs armes. Tout doit claquer, tout doit partir en fumée. Acte II : On embarque haches, scies et cordages pour faire route jusqu’au pin du jour. Autour de l’arbre divin, on chante, on boit, on ripaille dans le boucan des tirs lancés vers le ciel. Le pin est là. Prêt à être sacrifié. Deux hommes grimpent le long du tronc pour l’entourer de lacets étrangleurs. Coup de cisaille au pied. En 2019, ce sont les fils de Jaume, un galejador décédé dans l’année qui ont donné le coup de grâce. Un coup de hache acharné suivi de nombreuses autres entailles. Comme chaque année, le pin vacille, tangue, fait mine de danser avant de s’écrouler sur le sol. Giclée de sciure sous les applaudissements de la foule en délire. Entre puissance et passion, la raison des plus forts l’emporte… Acte III : au milieu du cortège en effervescence, le héros est transporté à dos de charrette, une carriole en bois, reconstruite à l’identique de celles du début du XXe. Tirée par deux robustes bœufs auxquels les habitants vouent un véritable culte, la charrette se fraye un chemin dans la foule en direction du village.

La tête à l’envers !

Chargé à la force des bras, le pin est alors placé à la verticale sur l’attelage. Erigé en héros, il n’a pas le droit de flancher. Obligé de tenir droit jusqu’à son entrée sur la place du village, à midi pétante ! Encore une bonne heure de fête, de tirs de fusils, de danse et d’acclamations. La Ball del Pi fait rage. La tension monte… Acte IV : il est 13 h, c’est le moment. Libéré de son attelage, le pin s’apprête à franchir la porte de l’église déjà saturée de monde. Toutes aiguilles dehors, le pin balance sa chevelure verte jusqu’à l’autel. Quelques pommes et orties décorent la touffe de l’arbre. Insolite spectacle d’une nature à l’assaut des cierges dociles. Tête à l’envers, le pin est accroché par la base de façon à ce que la ramure arrive au niveau de la représentation de Santa Coloma, la patronne de Centelles. Dans la nef, la foule entassée agite des mouchoirs rouges et entonne l’hymne à la sainte. Impressionnant. La chaleur humaine envahit la nef.

Branches porte-bonheur

Littéralement agglutinés autour du pin, les « galejadors » semblent « faire pigne », expression consacrée pour les castells, ces pyramides humaines qui montent au ciel. Force, équilibre, valeurs et sens. Le pin divin de Centelles est désormais à sa place jusqu’au 6 janvier. Il restera dans l’église avant d’être décroché par les « galejadors » qui répartissent les branches décorées de pommes et de biscuits en guise d’amulettes porte-bonheur. Entre le 30 décembre et le 8 janvier, on a coutume de dire que le pin et Santa Coloma se courtisent et flirtent comme le font les amoureux ! Pour la symbolique, le pin a, de tout temps, été considéré comme une étincelle de vie que l’on aime à conserver au moment où le reste de la nature se meurt. Le 6 janvier, lorsque le soleil reprend du service, lorsque les jours rallongent, on sort l’arbre et on ramasse les fruits de façon à mimer la cueillette. Toujours sur le plan des symboles, on fait le rapprochement avec les douze jours d’or. Douze jours qui s’échelonnent entre le 26 décembre et le 6 janvier, entre l’arrêt du calendrier lunaire et le début du solaire. Des jours sacrés qui se vivent comme une projection des douze mois de l’année à venir.

Divine nature

A Centelles, on considère qu’il s’agit d’une fête dédiée à Santa Coloma, dont les reliques auraient été ramenées de Rome en 1620. Mais selon les historiens du cru, cette fête a certainement des origines païennes très lointaines que l’Eglise ne voyait pas forcément d’un bon œil et qu’elle a donc fini par christianiser. Dire en quelle année on a procédé à ce rituel est difficile. Le premier document retrouvé date du XVIIIe siècle. En 1786, Francisco de Vella y Moya, évêque de Vic condamne les excès inadmissibles d’hommes qui investissent l’église et le clocher, le jour de Santa Coloma, tirant des coups de feu et faisant un vacarme infernal. Il faudra attendre le siècle suivant pour que le pin soit mentionné. En 1848, dans le livre de la paroisse, il est en effet question de l’achat d’une corde pour suspendre un pin dans l’église. De la forêt à l’église, de la nature à la civilisation, le passage du pin n’a rien d’anodin. Difficile en revanche de donner un sens à la présence des « galejadors ». Sont-ils là pour chasser les mauvais esprits ? Quoi qu’il en soit leur rôle est attesté depuis 1878. Dans un texte publié dans les « Memòries de l’Associació Catalanista d’Excursions Científiques », la Festa Del Pi est décrite dans le même ordre que celui d’aujourd’hui. Même mise en scène, même tumulte, même ferveur. Aussi singulière soit-elle, la Festa Del Pi est loin d’être seule au monde. Sur le plan symbolique encore, l’arbre représente l’immortalité et la vie éternelle. Il est aussi symbole de force et de fertilité. Les couples branches-ciel, tronc-terre et racines-monde souterrain sous-tendent également sa faculté d’interdépendance. C’est ainsi toute la problématique de l’être humain que contient l’arbre, toutes les forces et les énergies opposées qui s’alimentent, montent et descendent. On trouve en lui cette puissante volonté de voler comme celle de s’enraciner. Au-delà, l’arbre s’érige en créateur nécessaire à notre oxygène, notre survie. Depuis toujours, l’arbre a fait l’objet de cultes, cavernes à esprits et dieux à la façon de sanctuaires naturels protégés et craints à la fois par l’Homme. De nos jours, malgré la disparition des forêts et la fracture environnementale, les fêtes dédiées à l’arbre ne sont pas perçues comme des attaques. Elles sont au contraire perçues comme de forts retours à la nature et une prise de conscience de nos liens avec elle. Chaque année, la Festa del Pi attire de plus en plus de curieux, amoureux de fêtes traditionnelles et de découvertes patrimoniales de fin d’année. Fête unique en son genre, moment de communion et festival de tromblons, il faut juste penser à protéger ses tympans ! Pour ceux de l’église de Centelles, Santa Coloma veille déjà !

Pas de commentaire

Poster un commentaire