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LA FORTERESSE DE SALSES

09 Juil LA FORTERESSE DE SALSES

La Forteresse de Salses, due au talent de l’architecte artilleur Ramiro Lopez, est unique en son genre et constitue une sorte de maillon entre un château-fort médiéval et une forteresse bastionnée. Magnifiquement conservée, elle se prête avec bonheur à la visite.

En 1496, au sommet de sa gloire puisqu’elle vient de découvrir les Amériques, la couronne espagnole décide de bâtir sur sa frontière orientale une forteresse colossale, capable de résister à l’artillerie moderne, c’est-à-dire aux boulets métalliques qui font de terribles dégâts. En ce point de passage obligé qui suit d’ailleurs le tracé de la Via Domitia, aucun obstacle naturel ne vient freiner une éventuelle avancée de l’ennemi. Le relief est plat et les seules élévations sont des collines douces. Le lieu choisi, au contraire de toute la logique médiévale qui avait jusqu’alors prévalu, tourne le dos aux sommets des tertres pour leur préférer la plaine.

Un ensemble imposant

à tous égards, il s’agit bien d’une architecture de transition entre le Moyen-âge et la Renaissance.  Le fort projeté doit pouvoir accueillir 1500 hommes dont 300 cavaliers, car des écuries sont prévues, et vivre en autarcie pendant plus de quarante jours, le temps de permettre aux renforts d’arriver. Le château inclut des étables, des fours, un abattoir, une basse-cour, c’est une véritable petite ville. Cette prouesse technique destinée à asseoir le prestige des Rois Catholiques Ferdinand et Isabelle est confiée à l’artilleur Ramiro Lopez qui venait de restaurer l’Alhambra. La configuration géographique, à deux pas de l’étang de Salses, soit dans un lieu particulièrement marécageux, ne facilite pas la tâche des centaines d’ouvriers spécialisés venus de toute la péninsule. Il leur faudra pourtant six ans à peine pour donner vie au projet. L’enceinte finale mesure 110 mètres sur 84. Elle est si énorme, si complexe aussi, qu’il faut 20% du budget annuel de l’Espagne pour en couvrir les coûts de construction pharamineux. Il faut dire que l’Espagne vit son « Siglo de Oro », elle est forte de ses nouvelles colonies sud-américaines dont elle pille avec ardeur l’or et les épices, conquérante et dominatrice.

Défensive et offensive

La forteresse de Salses illustre pleinement ce sentiment de toute puissance avec son enfoncement dans le sol jusque-là inédit, ses ouvrages de défense avancés, ses batteries d’artillerie, ses quatre corps de bâtiment, ses 12 mètres d’épaisseur de murailles, ses coursives, ses chicanes, ses galeries de contremine et son donjon fortifié. Ce dernier, haut de 20 mètres, est le lieu de vie du gouverneur de la place, et se trouve protégé par un réduit de défense intérieure accessible par pont-levis comme c’était souvent le cas dans les châteaux médiévaux. Ses tours cylindriques encadrent de longues courtines sans aucun rempart mais de grandes terrasses permettent de mouvoir les canons et de tirer du haut des tours.  Enterrée dans le sol, la forteresse permet d’organiser la défense intérieure et d’atténuer la puissance des tirs ennemis tout en exposant l’adversaire sur les glacis extérieurs. Les niveaux sont au nombre de sept, desservis par un labyrinthe coupé de chicanes.

Abandonnée par l’Histoire

Ainsi le moindre axe de déplacement se trouve protégé. à l’extérieur, la forteresse est protégée par un énorme fossé sec de 25 mètres, quatre tours, deux barbacanes et deux ponts-levis. Un système défensif unique ! En fait, la place forte est divisée en trois parties autonomes : la partie commune autour de la place d’armes bordée sur trois côtés d’arcades donnant accès à la chapelle, aux casernements et aux écuries, un réduit intérieur séparé de la cour centrale par un fossé et une muraille, et enfin le donjon. Pour l’époque, cette architecture était vraiment révolutionnaire à la fois sur un plan offensif et défensif. Au cours de son histoire, la forteresse a été maintes fois éprouvée : en 1503, alors que sa construction n’est pas terminée, premier siège par les Français qui tiennent un mois, forts de 16000 hommes. Ils fuient devant les renforts arrivés du sud, 23000 hommes dont 6000 cavaliers. à cette occasion, les Espagnols revoient leur copie et renforcent le pied des murailles avec un talus d’escarpe. Un siècle s’écoule sans nouveau confit. Mais pendant la guerre de trente ans (1618-1648) l’Espagne soutient l’Allemagne et entre à nouveau en conflit avec la France. Richelieu, qui rêve déjà de s’emparer du Roussillon pour doter la France de frontières qu’il considère naturelles, envoie ses soldats qui s’emparent d’Opoul, Rivesaltes, Claira et Salses. La forteresse est cette fois encerclée. Le 6 juillet 1639, un premier assaut français est donné en vain mais ils finissent par ouvrir une brèche le 19 et s’en emparer. Le 6 janvier 1640 cependant, les Espagnols reprennent la place, mais les Français la quittent avec tous les honneurs emportant armes, bagages et bannière déployée. Il faut attendre la révolte des Catalans contre la couronne d’Espagne et le fait que les Catalans sacrent Louis XIII comte de Barcelone, pour que la forteresse capitule en 1642, devenant ainsi définitivement française. Nous sommes quinze ans avant le Traité des Pyrénées qui va priver la forteresse de toute importance stratégique puisque la frontière se décale à 50 km plus au sud.  Désormais, il s’agit de fortifier la ligne des Albères. Partiellement restaurée par Vauban qui avait un temps imaginé la détruire purement et simplement, devenue prison d’Etat puis poudrière au XIXe siècle, la forteresse revient de loin. Elle doit son salut à son classement au titre des monuments historiques en 1887. à partir de 1830, elle va se trouver gérée par le Secrétariat des Beaux-Arts et dépend encore aujourd’hui du Ministère de la Culture. Elle est considérée comme l’un des fleurons du patrimoine roussillonnais dont elle illustre parfaitement la dualité née de siècles de tiraillement entre les couronnes de France et d’Espagne.

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