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La Garrotxa : le génie de la résistance

01 Sep La Garrotxa : le génie de la résistance

D’eau et de feu, la Garrotxa est née des volcans et des rivières. Opiniâtre, travailleuse, elle est née pour résister et porte haut, très haut, les couleurs catalanes. Il n’’en reste qu’’une, elle sera celle-là. Histoire d’un pays qui ne se rend pas.
Entrer dans la Garrotxa, c’est un peu pénétrer dans un temple : la nature y est mystérieuse et contradictoire. A la courbe douce des volcans, aux cuvettes boisées des calderas parfois ornées d’improbables chapelles, répondent la profondeur des forêts et à la présence têtue de l’eau, déclinée en sources et en zones marécageuses. Une indéfinissable celtitude semble planer sur cette terre dure, montagneuse, aux faux airs d’Auvergne que l’on devine ouverte aux légendes.

Garrotxa8Une force étrange

De ce cirque grandiose de volcans endormis monte une étrange force, tellurique, venue du fond des siècles et du cœur même de la terre. Une force qui a fait les hommes d’ici résistants, têtus et travailleurs : la terre de la Garrotxa sait être généreuse, mais il faut l’aimer, la travailler au corps, s’y adonner. Ici, tout naît d’une noble âpreté, même les maisons sortent de la lave. Ici, rien ne se soumet jamais… D’ailleurs, l’étymologie annonce cette absence de concessions : elle mêle le latin garr (garrigue) et le mozarabe roxa (roche) pour indiquer les noces intimes du minéral et du végétal…

Une terre sans concessions

Amoureux du tiède, passez votre chemin. Ici, les hivers sont si rudes que ma mère, jeune mariée venue du Vallespir, s’exclama au matin devant les champs couverts de gelée : « Espia, ha nevat ! » (Regarde, il a neigé). Quant à l’été, il est torride et sec, et fait du moindre point d’eau une bénédiction : par chance, ils sont innombrables. La transhumance des familles vers les fontaines en fin d’après-midi pour y goûter, est une tradition garrotxina bien ancrée ! Terre de volcans et de mystères, la Garrotxa est aussi une terre d’histoire et elle annonce la couleur.

Romane et médiévale

On pénètre dans la Garrotxa par le Moyen Age et l’incroyable pont de Besalù, à la fois à dos-d’âne et coudé, fermé d’une herse et doté d’un pont-levis, qui enjambe majestueusement le Fluvià, le fleuve roi de la Garrotxa. Une pure merveille gothique. Devant vous, l’un des ensembles historiques les mieux conservés de Catalogne. L’hôpital Sant Julia arbore une magnifique façade du XIIe siècle, l’église romane Sant Vicenç se penche doucement vers le gothique. Un peu plus loin, la Curie Royale et la Collégiale Santa Maria. L’église Sant Pere porte sur sa façade des lions qui terrassent un singe et un homme nu, symbolisant la force de l’église et les forces du mal. La Casa Cornellà, une incroyable maison romane magnifiquement conservée, est un des plus beaux témoignages civils de cet art concomitant de la naissance du pays. Le mystère est ailleurs, presque à fleur de fleuve, là où s’ouvrait la porte du call, réservée aux juifs. Le mikvé, la yeshiva (école) et la synagogue sont encore visitables : ici vivait l’une des plus brillantes communautés juives de Catalogne, indissociable de l’histoire de cette terre.

Garrotxa6Profondément chrétienne

Pour rester dans la splendeur médiévale, il faut aller à Sant Joan Les Fonts et son monastère bénédictin du XIIe siècle, avec ses trois nefs et son incroyable portail. A ne pas rater : les fonts baptismaux de toute beauté. Ici aussi, le Fluvià est surmonté d’un pont majestueux, revêtu de la moire sombre des roches volcaniques. Il jouxte l’Estada Juvinyà, une magnifique maison de maître fortifiée. Enfin, direction Santa Pau avec ses remparts du XIIIe siècle et son château de la Baronia, ordonnancé autour d’une cour rectangulaire XVe siècle. Le flanc sud voit naître l’espace triangulaire du firal dels bous (place des bœufs) où se situait le marché. Parallèlement à ces centres urbains, les hommes ont essaimé dans les montagnes de la Garrotxa comme autant d’actions de grâce, des chapelles et des ermitages dont la beauté récompense randonneurs et pèlerins.

Résistante dans l’âme

Ici, les batailles furent grandioses et les soulèvements nombreux : ceux des serfs remences dès le XIVe siècle, libérés bien avant leurs homologues des autres Espagnes, ceux de la Guerre de Succession qui vit la Garrotxa se ranger massivement du côté des Habsbourg, ceux des chemins de l’exil en 1939. Aujourd’hui encore, la Garrotxa fait le plein de votes indépendantistes comme ses façades le font d’estelades. Attention, ici, vous êtes au cœur de l’ADN catalan ! Pourtant, le paysage, dans sa rudesse qui porte à la résistance, n’est pas exempt de douceur…

 La douceur des vallées

Qui dit fleuves dit vallées. La Garrotxa en compte trois. D’abord le Vall de Bianya qui abrite l’incroyable passage pavé de la voie du Capsacosta, une voie secondaire de la Via Augusta construite par les Romains, et intacte sur huit kilomètres. Elle est équipée d’égouts, de ponts, de réservoirs d’eau. Vous croiserez çà et là, un de ces mas en pierre de lave dont le dernier étage à arcades servait autrefois à faire sécher le blé, les salaisons et le linge. Son patrimoine d’art roman est de premier ordre (Santa Margarida de Bianya, Sant Martí de Capsec, Sant Miquel del Mont, etc.) Au rayon cartes postales, rien ne vaut la Vall d’En Bas, vestige d’un lac de barrage formé par la coulée de lave du volcan Croscat sur le Fluvià, avec ses villages de poupée comme les Hostalets d’En bas, Joanetes ou El Mallol et ses champs de maïs à la riche terre brune. Enfin, la Vallée d’Hostoles est un véritable château d’eau avec ses sources, ses gorgs (gouffres) sur la rivière Brugent, ses vieilles tours en ruines et le charmant village de Sant Feliu de Pallerols. La Garrotxa a de quoi vous envoûter…

Garrotxa7La sculpture des volcans

Il faut dire que les volcans ont bien travaillé ! Après Besalu et Sant Jaume de Llerca, vous verrez s’élever l’éperon improbable sur lequel trône le village de Castellfollit de la Roca. Une falaise en feuilleté de roche, aux plis serrés comme une jupe de Kenzo, imposante, énorme, légère pourtant, qui a presque un air de Bonifacio des terres avec son église et ses maisons blotties autour du clocher pour échapper au vertige. Evidemment, le village est un intarissable motif d’inspiration pour les peintres et dessinateurs qui ont coutume de planter leur chevalet à l’entrée du village, au carrefour de la route d’Oix. Si vous aimez la montagne, prenez-la donc, cette route, qui rejoint Beget et plus loin Camprodon par les chemins escarpés de la Haute Garrotxa : elle vous enchantera avec ses vues à couper le souffle, ses hameaux et ses mas isolés qui vivaient encore en totale autarcie au début du XXe siècle. Ici, mes arrière-grands-parents n’achetaient que le sel et les tissus pour les vêtements : tout le reste naissait de cette terre ingrate et abrupte !

Miradors et belvédères

Si vous avez pris goût aux vues vertigineuses, la Garrotxa a ce qu’il vous faut. Les belvédères ne manquent pas : Mare de Deu del Món dans la Haute Garrotxa, sanctuaire de la Salut de Sant Feliu de Pallerols, Santa Maria de Finestres à Santa Pau, aire récréative de les Preses… Autant de belvédères naturels sur la beauté de la comarca mais aussi dans ce dernier cas, de vues ouvertes jusqu’au Cap de Creus et à la baie de Roses, avec toujours les courbes douces, féminines, des mamelons volcaniques boisés, presque veloutés, brodés par endroits de zones cultivées, ou joliment striés de cours d’eau ou de cascades.

Un Parc unique

Tant de beauté se devait d’être protégée et c’est désormais chose faite avec le Parc naturel des Volcans qui englobe une quarantaine de cônes volcaniques et une vingtaine de coulées de lave. Particularité : presque tout le parc appartient à des propriétaires privés qui jouent le jeu touristique, en acceptant que des randonneurs arpentent les 28 itinéraires pédestres proposés, pour la plupart parfaitement balisés. Evidemment, pas question de capturer des animaux ou d’emporter plantes et roches…

Mille univers Au-delà de l’intérêt des volcans, le parc englobe beaucoup d’espèces d’arbres, notamment toutes sortes de chênes et aussi une hêtraie de légende, la fageda d’En Jorda, une formidable cathédrale végétale où niche volontiers de mémoire de garrotxi, le sublime rovelló, le lactaire délicieux. A l’entrée, une stèle salue le poète Joan Maragall, auteur d’un magnifique poème dédié à ce bois magique. Les fûts vertigineux des hêtres vénérables ont poussé sur la coulée de lave du volcan du Croscat qui relie Santa Pau, Olot et les Preses. L’espace muséal du volcan du Croscat présente une exposition sur le volcan, son cône et son cratère ouvert en forme de serrure, sa coulée de lave, sa dense végétation et ses gravières longtemps surexploitées. Respect du passé Le parc de Pedra Tosca longtemps exploité comme zone agricole avant d’être abandonné, a été peu à peu restauré jusqu’à retrouver sa physionomie d’il y a 150 ans, soit son labyrinthe de chemins, de murs de pierres sèches, de fours de charbonniers et de cabanes, indispensables pour tenter de dompter une terre d’une dureté exceptionnelle. Cet important travail de mémoire a même reçu un prix européen, le prix Rosa Barba. Sur la route qui va d’Olot à Santa Pau, à la hauteur du hameau de Can Xel, ne ratez pas le volcan de Santa Margarida, ainsi nommé parce que son cratère, aujourd’hui recouvert d’une prairie, abrite une chapelle. Hêtres et chênes ourlent en alternance le périmètre de la caldeira.

A pied, à cheval

Pour parcourir la Garrotxa, tous les moyens sont bons : à pied bien sûr, mais aussi à dos d’âne ou de mulet le long des sentiers balisés qui traversent champs et forêts : de quoi comprendre la vie rude des traginers d’autrefois. Vous pouvez opter pour le vélo, le long de l’ancienne ligne de chemin de fer qui reliait Olot à Girona, par exemple. Un train légendaire : el tren d’Olot que se’n va quan vol i s’atura quan pot ! (Le train d’Olot qui part quand il veut et s’arrête quand il peut). Rassurez-vous, les pistes cyclables sont nombreuses. Si vous aimez le train, le vrai, celui qui tortille, prenez le « tricu-tricu » qui va de Olot au Vall de Bianya en passant par la vall d’en bas et Sant Joan les Fonts : un peu lent, mais idéal pour comprendre à quel point la Garrotxa est d’abord un pays de mas !

La Garrotxa vous séduira par la variété de ses paysages, de ses climats, de ses habitats. Diverse, plurielle et pourtant si typée qu’on en garde longtemps le goût, comme ces vins de garde qui enchantent le palais à des années de distance. Littéralement envoûtante. Comme sa capitale, Olot.

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