01 Sep La Garrotxa : Une belle âme
Inés est la sœur de Fina, le chef étoilé de “Les Cols ” à Olot et la maîtresse de maison du Mas Garganta. Son credo : l’authenticité, la transmission, le respect de l’héritage culinaire, architectural, paysager, mais aussi, et c’est peut-être le plus important, philosophique, du monde paysan. Cap Catalogne l’a rencontrée.
CC : Bonjour Inés, je voudrais que tu nous racontes ton itinéraire et surtout que tu nous parles de la Garrotxa ou plus exactement de ta Garrotxa.
C’est difficile d’en parler. Je ne suis pas quelqu’un qui parle beaucoup. Je suis quelqu’un qui cherche toujours la simplicité, « soc de poques coses ». Je préfère laisser les choses s’imposer d’elles-mêmes. J’aime tout ce qui est concret. Ces paysages, ces gens, cet accent, c’est mon pays : j’y suis née, mes enfants y sont nés, mes aïeux y reposent…Je n’imagine pas une minute vivre ou mourir ailleurs. La Garrotxa c’est une qualité de vie, mais c’est aussi quelque chose de sacré : on me l’a transmis, je veux le transmettre à mon tour à mes enfants. Alors évidemment, comme tous les gens qui sont de quelque part, j’ai des souvenirs partout. Chaque morceau du paysage détient un morceau de moi. Je ne sais même pas comment te répondre, ma Garrotxa c’est tout ça à la fois.
CC : Tu crois aux valeurs d’enracinement et de mémoire …
J’ai très peur de la globalisation, elle n’apporte que de l’arasement et du tourisme, au sens le plus consumériste du terme. Plutôt que des touristes, il nous faut des voyageurs qui soient curieux de nous, de notre spécificité, comme les Anglais qui faisaient le Grand Tour au début du siècle dernier. Je crois qu’il faut savoir qui on est, d’où on vient. Tout n’égale pas tout. La Garrotxa n’est pas encore abîmée, elle reste la terre dure au travail qu’elle a toujours été avec son climat continental sans concessions et ses paysages intouchés. Il y vient maintenant des gens du monde entier, mais je veux qu’ils la respectent. Mes racines sont là, et je dis ça de façon très forte, très concrète. J’ai poussé sur cette terre. J’y ai planté mes racines.
CC : Tu n’as pas toujours vécu à la campagne comme aujourd’hui …
Non, au début de ma vie professionnelle j’étais fonctionnaire à la mairie d’Olot, à l’époque, quand on ne savait pas trop quoi faire et qu’on ne voulait surtout pas partir, on devenait fonctionnaire ! Evidemment, ce n’était pas une vocation. Quand j’ai eu mes deux enfants, j’ai eu beaucoup de mal à concilier ma vie professionnelle et leur éducation, j’avais l’impression de passer à côté de tout. Le rythme citadin, même à Olot qui reste une petite ville, ne me convenait pas du tout, je me sentais stressée, pressurée. Et puis la consommation, le besoin de posséder, ce n’est pas pour moi. J’ai besoin de choses simples. Et j’ai besoin de temps, je suis une contemplative avant tout.
CC : Comment le déclic s’est-il produit ?
Un jour, en faisant visiter à des néo-ruraux le mas abandonné de mes grands-parents, j’ai eu un véritable choc. Comme si les pierres m’avaient appelée. Plus question de vendre cette maison à qui que ce soit, c’était la mienne. Alors, je me suis mise à restaurer le mas moi-même. Pas question de prendre des maçons, je n’avais pas les moyens, mais j’avais le plus important : le temps. A ce moment là, il y a vingt ans, tout le monde restaurait des maisons à tour de bras, mais la plupart des gens rêvaient de modernité, de matériaux lisses, d’intérieurs design. Moi, j’allais à Perpignan au marché aux puces, je lisais des revues françaises, et j’avais envie d’authenticité. Le rapport au passé ne me semble pas être le même en France. Les gens ont beaucoup de respect pour les objets qui ont vécu. Ici c’était différent : c’est incroyable, mais il y a vingt ans il suffisait d’aller sur un chantier : les gens jetaient des meubles, des cheminées, des poutres, des objets usuels, comme s’ils avaient voulu faire table rase de la pauvreté des années noires. Je me précipitais avant qu’ils n’aient l’idée de tout brûler. Toutes ces choses constitutives de la vie dans la Garrotxa, des objets les plus modestes aux meubles les plus imposants, je les ai récupérées et assemblées…J’ai recréé l’univers de mes arrière-grands-parents et de mes grands-parents, parce que je pense qu’il avait un sens profond de communion à la fois entre les gens et avec la nature. Ces objets ont, en quelque sorte, arrêté le temps. Ils ont aussi marqué mon espace d’un sceau garrotxi inimitable. J’y vis en harmonie avec tous ceux qui m’ont précédée.
CC : Et tu vis parmi eux …
Je suis née dans une famille de cinq enfants. Ma mère était mère au foyer, ce qui à l’époque constituait un énorme travail à plein temps. Il fallait bien que le mari puisse travailler… Et mon père menuisier. D’ailleurs je me souviens qu’il venait chercher du bois en France, je ne sais plus pourquoi, peut-être que les arbres sont plus grands plus au nord ? Ils nous ont transmis le virus de la terre : ma sœur Fina est beaucoup plus sophistiquée que moi, mais il n’en reste pas moins qu’elle se base sur les produits d’ici pour créer une cuisine universelle. Moi, dans un tout autre style, je voulais que mes enfants connaissent cette vie simple, loin du stress, et qu’ils comprennent qu’ils sont nés de ce pays. Je les ai mis à l‘école rurale de Riudaura, et le cycle de la vie a continué tranquillement.
CC : Un cycle de vie paysan
Oui, un cycle de vie où le téléphone ne sonne pas à toute heure. C’est ça la noblesse de la vie paysanne : elle respecte les rythmes biologiques des hommes. Quand on a fini de travailler, la coupure se fait, la soirée qui commence est une vraie soirée de liberté. S’asseoir sous le figuier et simplement parler avec des amis, regarder mourir le feu en même temps que le jour devant la cheminée qui a vu s’endormir tant et tant de générations, regarder la ligne bleue des volcans, aller prendre de l’eau à une source parce que les vieux disaient que c’est la meilleure, c’est ça le vrai luxe. Et c’est ça le vrai tourisme rural.
CC : tu veux dire qu’il y en a un autre ?
Je veux dire que vouloir un jaccuzzi dans un ancien mas, ou des salles de bains somptueuses, c’est passer à côté de l’essentiel et se complaire dans un décor de théâtre. Est-ce que nos vieux avaient des jacuzzis et des baignoires ? Non. Mais ils avaient des terrasses fraîches pour regarder les soirs d’été, des pièces au plafond bas pour que la cheminée chauffe bien. Et ils avaient du temps. Avoir du temps. Avoir droit au silence, ça c’est le luxe ! J’ai même des gens qui viennent séjourner au mas pour y faire des « cures de silence » comme s’ils venaient en retraite dans un monastère ou un couvent ! Beaucoup de catalans qui vivent sur la Costa Brava par exemple viennent se ressourcer ici, ils y trouvent une Catalogne immuable, parce qu’ici, simplement, certaines questions ne se posent pas. On transmet ce qu’on a reçu : des valeurs de travail, d’effort, de droiture. Et la langue comme une évidence.
CC : c’est ce que tu voudrais que les gens d’ailleurs comprennent…
Oui, tu vois dans mon idée de recevoir des voyageurs, il y a le désir de leur donner à voir et à comprendre qui nous sommes, dans ce petit pays né des volcans : des paysans descendus des mas et de la montagne porteurs d’une sagesse qui a traversé les siècles. Pour ce qui est du tourisme, la Garrotxa est loin des grands axes, elle ne propose pas des services et des cartes postales faciles, elle donne à comprendre son âme. En fait mon pays, c’est ça, une belle âme.
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