28 Juil La rousquille catalane, couronne emblématique
Elle est le biscuit sacré des Catalans depuis plus de 200 ans ! La rousquille n’a rien perdu de sa splendeur ni de sa douceur. Portée par un regain des savoir-faire et des traditions ancestrales, elle revient sur le devant de la scène grâce à des artisans passionnés par cette mystérieuse couronne à recette secrète. De son berceau du Vallespir à la plaine du Roussillon, le « gâteau de voyage » poursuit son aventure patrimoniale. Qui a dit que la gourmandise était un vilain défaut ?
Je suis petite et ronde. Mes mensurations ne feront aucun jaloux, rassurez-vous. Non seulement je l’assume mais je le revendique avec une fierté non feinte. à peine quelques centimètres qui se comptent sur les mmmdoigts d’une main. Je suis donc petite, ronde et blanche. Une sorte d’immaculée conception ! J’ai été portée sur les fonds baptismaux voilà plus de 210 ans, baignée par le Tech. C’est à croire que l’air du Vallespir conserve bien… Je tire mon nom de l’espagnol « Rosca » qui signifie anneau ou couronne. Me voilà donc, moi la Rousquille catalane ! Que suis-je au juste ? Un gâteau, une pâtisserie, un biscuit ? Un délicieux morceau d’histoire du pays catalan ! Une chose est certaine : j’ai toujours eu beaucoup de succès.
Une couronne au glaçage fondant pour la noblesse d’Amélie-les-Bains
Aujourd’hui, plus que jamais, je reviens sur le devant de la scène. « Les gens aiment de plus en plus les produits du terroir, il y a un nouvel engoument pour les savoir-faire… ». Ce n’est pas moi qui le dit, c’est André Sunyer, pâtissier à Bages qui s’est entiché de mes douces rondeurs. Il n’est qu’à voir les files d’attente devant l’échoppe « La Rousquille d’André ». Ici, 600 petites couronnes sortent du four tous les jours ! La clé du succès ? Les couronnes confectionnées par André sont 100 % artisanales. Des œufs bio, de la farine bio et même du miel bio ! Produits de proximité avant tout. La recette ? Transmise secrètement en famille à la manière d’un parchemin caché. En fallait-il plus pour relancer la rousquille sur le podium des spécialités catalanes emblématiques ? Ça ne s’invente pas : si André travaille à Bages, il est pourtant natif du Vallespir, le prestigieux berceau de la couronne ! Il faut en effet replonger dans l’histoire de la ville thermale des « Bains d’Arles » qui, en 1840, fut baptisé Amélie-les-Bains en souvenir de la Reine Marie-Amélie de Bourbon-Siciles. Les élégants hôtels accueillaient alors une prestigieuse clientèle. La noblesse et les têtes couronnées venaient prendre les eaux en Vallespir. Clients de passage au service desquels un certain Marius Séguela travaillait. Bien inspiré dès 1810, le chef-pâtissier eut l’idée de glacer les fameux beignets aromatisés à l’anis, vendus sur les marchés espagnols et dans les fêtes foraines. J’étais donc un simple beignet tout à coup nappé de sucre blanc et transformé en délicatesse pour le plus grand plaisir d’une clientèle huppée qui repartait avec un « biscuit de voyage ». On pouvait me conserver pendant une bonne semaine. Je devenais donc le souvenir parfait d’un été de villégiature en pays catalan. Quelle inspiration ce Marius ! C’est à lui que je dois mon existence. Sauf que Seguela s’est fait voler ma paternité… Il n’a pas eu la présence d’esprit de déposer le brevet et la concurrence est arrivée de la cité voisine Arles-sur-Tech. Aujourd’hui encore, le débat persiste : la première rousquille vient-elle d’Amélie ou d’Arles ? D’Arles si l’on considère qu’Amélie s’appelait alors « Els Banys d’Arles ». D’Amélie si l’on considère la cité thermale actuelle, d’autant que la pâtisserie fondée par Séguela continue son œuvre avec Christian Perez, l’un des ses descendants. Sur la façade de la pâtisserie, une moulure accroche immédiatement le regard. Sous le drapeau sang et or, le blason « Maison Séguela-Combes » est encadré par deux Catalans en costume traditionnel. Lui, « porro » à la main. Elle, un panier gorgé de rousquilles sur les genoux.
Pourquoi la rousquille artisanale a perdu son trou…
à l’étage de la vénérable institution, dans l’atelier de fabrication, nous, les rousquilles sommes littéralement bichonnées. Vincent, Valérie Perez-Aubert et leur équipe n’ont d’yeux que pour nous. Artistes-artisans, presque orfèvres, ils nous donnent vie tous les matins dès 7 heures selon la recette secrète, à jamais confidentielle, héritée de Marius puis de l’oncle Le Sellier. Préparation de la pâte, passage par le four puis opération glaçage. Une étape aussi visuelle que sensuelle. Presque poétique. Albert Bausil n’écrivait-il pas : « Pour vous donner un peu de son royal trésor, le Roussillon chez nous en caresses s’épanche. Il a mis son soleil dans ses mimosas d’or. Il a mis sa douceur dans ses rousquilles blanches… » Baignées, drapées de sucre blanc, nous passons au séchage durant deux bonnes heures avant dégustation. Mais peut-être l’aurez vous remarqué ? Notre trou a disparu ! à l’époque, cet espace vide au cœur de la couronne servait à nous enfiler sur un bâton porté à l’épaule par le vendeur ambulant. Avec le temps, la cuisson de la pâte au four nous a rebouchées et a permis un bain de sucre plus homogène. Et puis il faut dire que ça va plus vite sans l’obstacle du trou… Seules les rousquilles industrielles, notamment fabriquées par la Confiserie du Tech fondée en 1964 portent encore la trace du fameux trou. Aujourd’hui, nous pourrions être en danger car largement produites de manière industrielle… « Alors que la version artisanale est mœlleuse et sucrée, sa version industrielle est bien plus sèche » relève l’association Slow Food. Pourtant, nous, les artisanales produites par une dizaine de pâtissiers dans les Pyrénées-Orientales, ne craignons pas la concurrence. « Nous n’avons rien contre les industriels et la grande distribution. Bien au contraire, ils ont permis à la rousquille d’avoir un développement plus large au niveau régional et national. Les industriels ont généré un effet de masse et un regain autour d’un produit identitaire et cela permet de faire découvrir nos rousquilles à l’ancienne. »
Bouche cousue et recette secrète bien gardée
Eric Touron est de ces artisans-phares de la rousquille. Ses aïeux ont fondé la pâtisserie Touron à Arles-sur-Tech en 1890 et déposé la recette par écrit en 1930. « Les gens n’hésitent pas à faire des kilomètres pour venir chez nous. Ils commandent plusieurs jours à l’avance. Sans réservation, il arrive que le dernier paquet de rousquilles leur file sous le nez ! » Chez Touron, on nous confectionne six jours par semaine à raison de 100 kg par jour. Dans cet atelier-là, nous sommes presque élevées au rang de religion. Dès 4 heures du matin, l’atmosphère se drape de solennité. Pétrissage, dressage, glaçage. Silence et secret bien gardé, comme l’explique Eric Touron : « Il y a encore une photo de mon grand-père avec le doigt sur la bouche… Seul lui et son fils avaient le droit de préparer la pâte. Très tôt le matin, le personnel était envoyé en balade près de la gare d’Arles-sur-Tech, pour ne pas prendre le risque de dévoiler la recette secrète. » Pour nous préparer pourtant, il ne faut que peu d’ingrédients : de la farine, du sucre, du beurre, des œufs, de l’extrait de citron, du miel et parfois de l’anis. Alors, le vrai secret réside certainement dans le dosage. Mais, avouons-le, le tour de main n’y est certainement pas pour rien. Il faut voir comment nous sommes lissées à la paume de la main pendant le glaçage ! Tout un art.
Une « Diada de la rosquilla » en mon honneur à Amélie !
Vous l’aurez compris, je suis à la pâtisserie ce qu’est le grenat catalan à la bijouterie d’aquí : un véritable joyau. J’ai longtemps été le « biscuit du jeudi », avant de passer à la friandise des jours de fête. Les Catalans me considèrent comme leur Madeleine de Proust, comme leur couronne à souvenirs d’enfance. Nostalgie des tablées de famille. Présent parfait pour les amis du passé. Je suis ronde de bonheur et concentré de saveurs d’antan. Je n’ai pas encore été reconnue par une IGP, une indication géographique protégée, mais ça ne saurait tarder. En attendant, depuis quelques années, on me célèbre lors de la « Fête de la Rousquille » d’Amélie-les-Bains. Ma version géante et tournante dévale les rues de la ville sur un char digne des plus grandes princesses ! L’édition 2023 aura lieu le 16 septembre. Je serai accompagnée d’une joyeuse farandole de danseurs et des membres déguisés du Comité des Fêtes. Des stands de fabrication vous permettront de mettre la main à la pâte pour continuer à me faire vivre au cœur de ce Vallespir où j’ai la fierté d’être née !
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