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La route des paysages des génies

02 Avr La route des paysages des génies

Quand paysages et artistes dialoguent, les uns et les autres deviennent partie intégrante de la mémoire mondiale, à jamais liés. A travers leurs œuvres et leurs lieux de prédilection, Miró, Gaudí, Picasso et Casals sont ainsi devenus des symboles de l’apport au monde de la Catalogne.
La Costa Daurada et les Terres de l’Ebre, aidées par la Diputació de Tarragona ont créé un itinéraire à plusieurs volets, centré sur la personnalité de quatre grands noms de la culture catalane du XXe siècle, baptisé à juste titre « Paysages des Génies », qui relie les mémoires de Picasso, de Gaudí, de Casals et de Miró à leur expérimentation particulière des paysages, de la lumière, des gens. Une jolie façon d’explorer l’œuvre de ces quatre génies côté intime, au cœur des émotions sensorielles et affectives qui les ont inspirés.

genies2Casals, la Catalogne avant tout

A l’extrême nord de la Costa Daurada, s’élève le joli village d’El Vendrell, village natal de l’immense violoncelliste Pau Casals. C’est d’ailleurs là, dans un joli cimetière cerné de cyprès, qu’il a trouvé sa dernière demeure dès que les ombres funestes du fascisme se sont éloignées. Son père, organiste, l’initie très tôt à la musique mais le petit garçon est extrêmement doué et ne tarde pas à partir à Barcelone puis à Madrid. Très vite, il acquiert une belle notoriété, se produit devant des monarques, et fonde le célébrissime trio Cortot-Thibaud-Casals.

Engagé, simplement

Jusqu’en 1939, Casals effectue de nombreux séjours dans sa ville natale, mais lorsque Franco proclame sa dictature, il s’établit à Prades, toujours en Catalogne mais de l’autre côté de la frontière et y fonde en 1950, à l’occasion du bicentenaire de la mort de Jean-Sébastien Bach, le prestigieux festival de musique de chambre qui porte son nom. Pas question pour lui de remettre les pieds en Catalogne du sud. Il s’ancre donc à Prades, mais fait aussi de longs séjours à Porto-Rico, le pays de sa mère et de sa jeune épouse.

Droit dans ses bottes

Pétri de sens de l’honneur, Casals soutient dès le départ les républicains et la Catalogne. Malgré d’innombrables sollicitations, il refuse de jouer en Allemagne dès 1933, lorsqu’il a connaissance des premières discriminations envers les juifs. Après la seconde guerre mondiale, lorsqu’il réalise avec horreur que le monde entier s’accommode du Caudillo, il décide de ne presque plus se produire. Ses multiples engagements humanistes le conduisent à être proposé comme Prix Nobel de la Paix en 1958. En 1971, à l’occasion de la remise, par le Secrétaire général de l’ONU, de la Médaille de la Paix des Nations-Unies, il se livre à un vibrant plaidoyer pour son pays, la Catalogne.

L’enfant d’El Vendrell

Casals avait coutume de dire « heureusement, l’enfant d’El Vendrell ne m’a jamais abandonné ». Sa ville lui a donc consacré, dans la villa même qu’il s’était fait construire sur la plage à quelques encablures à peine de la maison familiale, un espace muséal et musical qui redonne vie à son univers à la fois humble et chambriste, un univers tourné vers l’écoute de l’autre, la défense de l’humain, le dépassement de soi et, bien sûr, l’amour de la Catalogne.

 

genies4GAUDI DE L’EGLISE A L’ATELIER

Antoni Gaudí naquit à Reus en 1852 et y vécut jusqu’à ses 16 ans, dans une famille de dinandiers pieux qui lui a peut-être dicté, de l’atelier à l‘église, le décloisonnement éclatant qu’il allait opérer entre art, architecture et artisanat, pour donner naissance à cette acception purement catalane de l’Art Nouveau qu’est le modernisme. Nul doute que les paysages de Reus, entre maraîchages, oliveraies et garrigue, lui ont soufflé un rapport érotique et foisonnant à la nature, dont les motifs végétaux et floraux ne cesseront d’alimenter son imaginaire, au service d’un panthéisme triomphant qui ne s’oppose pas à sa profonde piété catholique. Pour autant, tout est-il déjà joué ? Toujours est-il que s’il étudie l’architecture à Barcelone, Gaudi ne perdra jamais le contact avec ses amis et collègues restés sur place.

Reus capitale du modernisme

Et d’une certaine façon, sa ville l’a suivi, car si elle ne dispose pas d’œuvre notable de son emblématique concitoyen, elle est un véritable hommage au modernisme avec pas moins de 27 bâtiments, pour beaucoup signés Lluís Domenech Montaner, comme la Casa Navàs et l’Institut Pere Mata, soit la plus grande concentration d’Europe. Comme si quelque chose d’indéfinissable amenait artistes et architectes vers cette luxuriante fusion des formes, ce culte de la courbe, cette pléthore de matériaux unique, et ce matériau spécifique fait de céramique brisée, le « trencadís », devenu l’emblème même de la Catalogne dans le monde entier et même, la signature de sa capitale.

 

L’hommage au fils prodigue

Et Reus rend hommage à son enfant avec l’itinéraire Gaudí qui permet de visiter tous les lieux qui ont compté pour lui dans sa ville et surtout, le Centre Gaudí, le seul de son genre, entièrement dédié à la vie et à l’œuvre du maître dont sept œuvres sont classées au patrimoine mondial de l’humanité : le Parc Güell, le Palais Güell, la Casa Milà, la Casa Vicens, la Sagrada Familía, la Casa Batlló et la crypte de la colonie Güell. Des maquettes, des plans, des photographies et des films font revivre le maître dans une étrange symbiose de tradition et d’innovation, au service de l’amour de la Catalogne.

Génie et folie au même lit

Malgré les documents, les éclairages et les œuvres, la figure de Gaudí demeure mystérieuse. Elies Rogent, directeur de l’école de l’architecture de Barcelone, qui présidait le jury devant lequel se présenta Gaudí lors de son examen final, n’avait-il pas déclaré : « nous avons donné ce diplôme à un fou ou à un génie, le temps nous le dira ».

 

genies3MIRO D’ICI ET DE PARTOUT

Un peu plus au nord, à quelques kilomètres de la plage de Miami Platja et du tumulte touristique de la Costa Daurada, au sein du village de Montroig del Camp s’élève la célèbre Masia de la famille de Miró, un mas catalan typique, immortalisé par le maître dans un tableau éponyme et aussi dans une magnifique sanguine « Montroig envinagrat ». C’est là, à partir de 1911, que se constitua l’univers pictural, chromatique, structurel du maître qui devait y passer tous ses étés pendant 65 ans.

Ecole d’éternité

C’est ici, devant ce paysage si intimement, si intrinsèquement méditerranéen avec sa flore économe et éclatante à la fois, ses parfums denses et ses sentiers pierreux, sensible pourtant au baiser mouillé des vents de mer chargés d’iode, que Miró acheva de se définir comme un Catalan international, un artiste nourrissant sa portée universelle de ses appartenances intimes. Ici, qu’il laissa monter des nappes sombres et enfouies de l’enfance, un monde coloré empreint de naïveté. Ici, qu’il donna libre cours au subconscient et testa ses influences fauves, cubistes, expressionnistes avant de revenir à ses célèbres aplats de couleurs primaires, à son écriture onirique et codée, qui rend la lettre au dessin et le dessin à la perception immédiate.

Source de jouvence

A Montroig, Miró entreprend de « tuer, assassiner et voler » les méthodes conventionnelles, comme si ce paysage immuable autorisait tous les écarts, garant du cadre, de la stabilité et surtout du retour à l’enfance. Ce lien particulier est merveilleusement expliqué au « Centre Miró », un petit musée bien documenté, émouvant par son approche intime du grand homme. La Masia va d’ailleurs être transformée en musée, selon la volonté des descendants du peintre. Une jolie promenade dans l’intimité du processus créatif de l’un des plus grands génies du siècle dernier, qui ne laissa jamais personne défigurer son prénom, maintenant contre vents et marée, le O de Joan !

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