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La Rumba Catalane

01 Avr La Rumba Catalane

On l’appelle rumba catalane : voici l’histoire mouvementée d’une musique tissée d’exils et de voyages, libre et farouche, une musique de haute mer qui a pourtant jeté son ancre dans la terre catalane dont elle porte loin et haut les couleurs.

 
rumba3La Rumba catalane

Impossible de ne pas danser en écoutant la rumba catalane, ce rythme endiablé qui mêle guitare, percussion, chant et fait les beaux jours de groupes mondialement connus comme les Gypsy kings, devenus des rois de la variété. Mais, s’ils chantent en espagnol (malgré leur origine camarguaise), ne nous y trompons pas ! Leur langue maternelle est bien la nôtre et leur musique est un élément majeur de notre culture, au même titre que la sardane ou les havaneres. Un sang catalan voyageur et sensuel coule dans leurs veines et leurs notes. Celui des gitans d’ici !

Un croisement magique

Ce qu’on appelle aujourd’hui dans le monde entier : « rumba catalane » est un style musical pétri de nombreuses influences antillaises, latino-américaines et arabo-andalouses, inventé dans les années 50 et 60 par les gitans des quartiers pauvres de Barcelone. Cette rencontre musicale du troisième type est principalement due à deux phénomènes simultanés et inverses. De nombreux musiciens venus d’Amérique du sud, colonies obligent, animent alors les bals et les fêtes de la capitale catalane, tandis que beaucoup de gitans, traditionnellement vendeurs de vêtements et d’étoffes sur les marchés, se rendent en Amérique du sud, notamment en Colombie et au Venezuela, à des fins commerciales. Les uns et les autres se familiarisent de part et d’autre de l’Atlantique avec les sons nouveaux de la salsa et les rythmes des îles des Caraïbes et d’Amérique latine. Avec le génie musical que l’on connaît au peuple gitan, ils ne tardent pas à s’en approprier les rythmes et les thèmes qu’ils diffusent aussitôt de bals en fêtes. Cette musique d’inspiration nouvelle se répand comme une traînée de poudre dans une Catalogne morose, écrasée par le joug puritain du franquisme.

Une origine controversée

Selon certains puristes, tout aurait commencé dans le quartier populaire du Raval, plus précisément carrer de la Cera (où se trouvent aujourd’hui les services culturels de la Generalitat) avec deux musiciens gitans, « Orelles » et « Toqui », grands animateurs de soirées, de mariages, de bals et de baptêmes. D’autres considèrent cependant que la rumba serait née à Lleida avec « El Parrano », « el Marquès de Pota » ou « Beethoven » (sic) et dériverait du Garrotín, un pamphlet musical aux vers entrelacés, au couplet immuable, sur lesquels se produit l’improvisation du texte mêlant à la voix, percussions et guitare. Mais tout le monde tombe d’accord sur un point : c’est à la fin des années 50, à partir d’un thème du flamenco, le « tanguillo », que se fixe le genre musical. Sous les doigts de « El Pascaïlla », de son oncle et de son père, apparaît alors la technique du « ventilador ». Pour la première fois, la main percute la guitare tout en pinçant les cordes, dans un rythme échevelé et inimitable, si vite qu’elle évoque irrésistiblement les pales d’un ventilateur, d’où son nom. La Rumba catalane est née, elle va embraser le monde.

rumba2Au-delà du monde gitan

Dès lors, la rumba est la reine incontestée des fêtes gitanes de València aux rives du Rhône. Elle évolue en important de plus en plus de thèmes et de rythmes différents venus des Caraïbes, qui se diffusent à la vitesse de l’éclair, car chez les gitans la musique n’est pas une distraction, pas une expression, c’est la vie elle-même, le langage suprême, le lieu du partage. Malgré l’adoption de ces nouveaux rythmes, la plainte rauque et les vibratos à l’orientale hérités du flamenco ne sont pas abandonnés. Le mélange donne un nouveau style de chanson, aisément mémorisable et fredonnable, qui dépasse largement la sphère gitane et touche le grand public. Dans la foulée apparaissent pour la première fois sur le devant de la scène des artistes gitans comme « Chango » ou « la Marelu » mais le succès absolu viendra avec « Peret », un gitan de Mataró qui réussit l’exploit de vendre des milliers de disques dans toute l’Espagne et de passer à la télévision aux côtés du sacro-saint flamenco et des lénifiantes œuvres lyriques imposées par le régime franquiste aux téléspectateurs. Derrière lui s’engouffrent certes de nouveaux groupes, comme « Los Maya » ou « Rumba Tres », mais cette notoriété subite n’a pas que des avantages. Elle entraîne aussi une tentative de récupération de la part du pouvoir franquiste qui se voit bien rééditer son annexion du flamenco à l’Espagne éternelle, et à travers elle, réussir son vieux fantasme d’annexion culturelle de la Catalogne.

Années 80 : le déclin

Cette institutionnalisation, quoique finalement ratée, manqua de tuer la rumba catalane. Heureusement, deux figures venues de l’étranger, et précisément d’Amérique du sud, émergèrent presque en même temps. Il s’agit de « Mayito », un pianiste cubain, et de « Gato Pérez », un jazzman argentin qui avait vécu et travaillé à New York. Grâce à eux, et à leur groupe « Salsa Gitana », l’alliance des rythmes des Caraïbes et des intonations gitanes atteint la perfection au point de fixer définitivement les canons du genre. En plus, « Gato Pérez » compose et écrit, dotant la rumba catalane de vrais classiques et d’un répertoire propre transmis depuis cinq décennies au sein des familles. Après ce tribut payé par la terre musicale d’inspiration, l’Amérique Latine, le balancier revient vers la Catalogne. Car c’est précisément l’apport de musiciens « païos » comme « Pedrito Diaz », « Josep Cunill », « Ricard Miralles » ou « Xavier Batllés » qui va empêcher toute récupération espagnoliste à relents anti-catalans. Mais ces non gitans vont faire beaucoup plus encore. Ils vont éviter la dégénérescence et la marginalisation folklorisée d’un style que ses ténors et fondateurs ont abandonné. En effet, à la fin des années 70, « Peret », qui a embrassé l’église évangéliste, vit une crise mystique et s’éloigne des podiums. « Pescaïlla » est parti à Madrid. « Gato Pérez » est malade. Les lieux les plus emblématiques de la Rumba comme la Petxina ou el Tabú ferment leurs portes un à un. Dans les années 80, au début du processus de transition démocratique, l’heure est grave, il ne reste guère que deux groupes notables, « Chipen » et les « Estrelles de Gràcia ».

rumba4011992 : le miracle catalan

C’était compter sans l’élan nationaliste qui porte les Jeux Olympiques de Barcelona de 1992 et la jeune démocratie catalane. Soucieuse de se montrer dans sa pluralité ethnique et culturelle, et de donner aux nouveaux arrivants en provenance des provinces du sud de l’état espagnol, notamment aux Andalous, un signe d’identité catalane dans lequel ils puissent se reconnaître, la Generalitat récemment rétablie se saisit de la rumba catalane. Ainsi, aux côtés de la chanson « Amics per sempre » interprétée par la soprano Montserrat Caballé et le regretté chanteur de Queen, Freddy Mercury – prématurément emporté par le sida – apparaissent lors de la cérémonie de clôture la version rumba décapante de « All My Loving » (des Beatles) par « Los Manolos » et la chanson hypergitane de Peret « Barcelona hechicera ». Le monde entier découvre, aux côtés des castells et de la sardane, traitée à égalité d’importance avec eux comme signe identitaire majeur, la rumba catalane et ses rythmes brûlants.

Catalane et universelle

Aujourd’hui, elle est partout. Au nord comme au sud, les groupes se multiplient qui mêlent volontiers la rumba à d’autres genres comme Ojos de Brujo, la Pegatina ou encore le DJ Txarly Brown. Au nord, impossible de ne pas citer les Tekameli, bien sûr, mais aussi, les Rumbeiros catalans, Sabor de Perpinyà, Geronimo, la Rumba del Vernet… Non contente de se prêter à toutes les alliances, classiques, électriques, ethniques et d’inspirer des millions de musiciens dans le monde, la rumba catalane est devenue un véritable argument touristique, qui accompagne les convives des restaurants et les consommateurs attablés sur les terrasses de café. En quelques décennies, elle a su devenir à la fois un symbole de catalanité, de liberté et de douceur de vivre qui parle de lointains, d’un sud au-delà du sud et des mémoires croisées des fils d’esclaves et des fils du vent, à cœur battant et à bride abattue, au rythme obstiné du ventilador. Une musique comme un concentré d’humanité. Née ici et fière de l’être.

1Commentaire
  • Théel
    Posted at 06:38h, 03 juin Répondre

    très complet, qui relate bien la réunion de la musique sud américaine ,,du flamenco et de la catalogne,
    merci

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