01 Août L’apero catalan : un must convivial
L’heure de l’apéro : heure des confidences entre amis, prélude aux repas de famille, simple moment de décompression
Mais toujours, sur les tables catalanes, pastis, muscat et vermouths se disputent la vedette. Autant de boissons qui capturent le soleil et mettent le cur en fête !
Imaginez les toits vernissés de Bourgogne, des paysages de vignes impeccables et… pas de kir pour égayer le gosier et le blanc sec…. Sacrilège ! Les bruns sombres d’un pub irlandais, le son d’un fiddle et plus de Guinness… Et pourquoi pas un drapeau anglais ! Heureusement, sur les tables catalanes, il sont bien là, artisanaux, inattendus, pluriels, délicieux, inimitablse : les vermouths! Ils tutoient les pastis anisettes et autres boissons anisées, les bières fraîches et bien sûr, l’indétrônable muscat de nos grand-mères. Ils sont le prétexte de retrouvailles familiales ritualisées devenues un art de vivre au quotidien
Il est partout, le vermouth
Car ici, au nord de la frontière, où sont les apéros d’antan ? Vous vous souvenez ? Sur la table en zinc régnait la silhouette ajourée de la bouteille d’eau de Seltz avec son mécanisme mystérieux et son joli murmure de fontaine. L’heure était au Byrrh dont les publicités ornaient les façades le long des routes nationales, ou encore au Picon citron. Les tenants du Martini s’opposaient fermement aux fans du Cinzano et les femmes rivalisaient de délicatesse et de sophistication en sirotant des Noilly ou des Ambassadeurs. Quand on passait la frontière, porte-monnaie de pesetas en main, on s’installait en terrasse pour retrouver la même bouteille d’eau de Seltz et la saveur étrange d’un « vermut », breuvage aléatoire et changeant selon les latitudes et les cafés, plus ou moins amer, plus ou moins sec. Vermouth, ils l’étaient pourtant tous !
Franco-italiano, preco !
Pas de hihan intempestif de burros catalans orgueilleux d’avance, s’il vous plait ! Bien que le « vermut », on va le voir, soit devenu au fil des années l’apéritif national catalan, nous ne l’avons pas inventé. Désolée, personne n’est parfait… Les premières tentatives remontent à un grand bienfaiteur de l’humanité, le médecin Hippocrate, inventeur de l’hippocras, un vin d’herbes antique, réputé délicieux, qui préludait aux transes des mystères et autres libations cultuelles en hommage aux Dieux.
Il doit son existence moderne aux Français et aux Italiens. Longtemps, Turin et Chambéry (que ne séparait alors aucune frontière d’état) se sont disputé le titre de capitale du vermouth. Combat gagné par KO par les italiens et les grandes familles de fabricants.
Catalan d’adoption
Le Yalta de la répartition passe par la couleur du vin de base. Dans l’hexagone, on fait macérer les herbes dans du vin blanc, notamment des vins secs de Bourgogne, et on n’a pas peur des degrés. Du côté de la botte, on préfère le velouté de rouges capiteux à la robe fauve, un peu plus doux en alcool, plus parfumés en goût. En Catalogne, comme toujours, on fait feu de tout bois avec un véritable génie de la synthèse. Rouge, blanc, rosé, peu importe, tous les parfums ont droit de cité.
Un jardin fait boisson
Autour des herbes reines que sont l’absinthe et la gentiane, une ronde folle de plantes amères et toniques ouvre le champ de tous les possibles. Racines, plantes, fleurs et épices, il faut jusqu’à 50 ingrédients différents pour que le vermouth artisanal trouve sa saveur inimitable. Et un peu de sucre ou de caramel pour qu’il prenne cette couleur doré qui invite le soleil au fond des verres… Alors des recettes, il y en a à foison. Familiales, locales, secrètes ou transmises dans la buée des cuisines, elles font du vermouth un prétexte à des variations infinies.
Fer el vermut : un art de vivre
La boisson fait tellement partie du paysage catalan qu’elle désigne l’acte même de prendre l’apéritif : en Catalogne on invite à « fer un vermut », prendre un apéro, terme totalement généraliste qui ne préjuge pas du tout de votre choix une fois au bar. Si vous restez fidèle au vermouth, préparez-vous à des choix cornéliens, des vermouths, il y en a à foison : des extra-dry, des secs, des demi-secs, des doux. Pour la plupart élaborés dans la capitale mondiale du breuvage : la bonne ville de Reus, au sud de Tarragone. Servis avec une rondelle de citron ou d’orange, arrosés d’eau de Seltz qui rehausse leur pétulance naturelle, ils font merveille pour réveiller les papilles et les préparer aux saveurs du repas.
Un mezze méditerranéen
D’ailleurs, aux heures traditionnelles de l’apéro, le bonheur du vermouth n’arrive jamais seul. A minima, il s’accompagne de délicieuses olives vertes, des « berberechos », des amandes grillées et autres anchois salés. Il en était ainsi dans toutes les familles catalanes jusqu’à la mort du caudillo. Un vermut somme toute assez léger, puis on passait au repas. Les choses ont beaucoup changé en quarante ans… Les tapas venues du pays basque ont envahi la péninsule ibérique et le monde, modifiant le sens de la locution « fer Vermut ». Maintenant, la délicieuse boisson parfumée accompagne un véritable pré-repas ! Convoqués à cette table d’un nouveau type, le pain frotté à la tomate, son huile d’olive et son ail pelé, des croquettes de poulet, des boquerones, des clovisses, des moules, des pommes de terre en sauce piquante (les fameuses patatas bravas), des « pimientos de Padron », de l’escalivade, du serrano …. Une farandole d’entrées qui renoue avec la grande tradition méditerranéenne des mezze et va parfois jusqu’à remplacer le repas !
Des bières d’anthologie
Si, à l’apéritif, vous êtes un fervent adepte de la « canya », la bière pression, optez pour des bières catalanes : la star, comme son nom l’indique, c’est l’ Estrella, fabriquée à Lleida, mais vous pouvez lui préférer la San Miguel… Si vous êtes un vrai amateur, ne vous privez pas du plaisir de déguster une Cap d’Ona ou une Alzina, les deux bières nord-catalanes, fines et désaltérantes.
Le fil de nos aïeux
Avant que ne s’organise une transhumance hebdomadaire vers le Perthus pour en ramener Pastis ou Ricard, on buvait ici du 3/6, un alcool anisé fabriqué avec de l’aneth macéré dans de l’alcool. C’était le pastis des gens simples, dont on conservait précieusement les bouteilles dans l’obscurité des armoires ou des caves. Dilué à l’eau fraîche, il était un peu plus pâle que ses cousins de commerce. C’était une boisson d’homme. Les femmes y ajoutaient menthe, grenadine ou orgeat pour créer des perroquets, des mauresques ou des tomates maison.
Des vins parfumés
Coté Catalogne nord, le vermouth roi, c’est évidemment le Byrrh, mais le muscat tient également la corde avec ses temps forts comme celui de noël. Outsider en vue chez les jeunes, le rosé. Servi avec des framboises, des pêches, de l’eau gazeuse, ce vin fruité réputé plus léger devient une star des plages et des grillades et ouvre en beauté l’appétit des demoiselles ! La mode a eu tôt fait de traverser la frontière. Aujourd’hui, on trouve tous ces must de l’apéro catalan de Salses à Tortosa : on commence d’ailleurs à trouver d’excellents vermouths maisons dans certains bars de Perpignan.
Séquence dégustation
Si vous êtes un peu mou du coude et vous contentez volontiers de le lever, soyez rassuré : un peu partout en Catalogne apparaissent des maisons du Vermouth qui conjuguent admirablement délices liquides et plaisirs plus roboratifs… Vous prenez place et le serveur s’empresse de vous apporter (souvent dans un panier), une bouteille de vermouth maison et une bouteille d’eau de Seltz, histoire de casser la glace et de planter le décor. Mais dans ces temples de l’apéro, rosé, pastis, muscat ou bière vous tendent aussi les bras, toujours accompagnés de tapas délicieuses.
Reus épicentre absolu
Barcelone regorge de ces établissements qui ont fait des amuse-gueules et du siphon une sorte de religion. Petit à petit, ces bars d’un nouveau type prennent le pas sur les bars à tapes d’inspiration basque pour imposer un modèle autochtone. Si vous êtes décidé à une immersion totale, choisissez Reus où vous attend un véritable itinéraire initiatique, car c’est bien autour de Tarragone que se situe l’épicentre de ce séisme gastronomique. Toutes les grandes maisons de vermouth se sont installées dans la jolie ville moderniste. Et Reus s’est même offert un musée érigé en temple de la dégustation. A moins que l’hédoniste qui est en vous n’aspire au doux bruit des vagues en terrasse ? Dans ce cas, les « Casa del vermut » de Cambrils ou de Tarragona sont incontournable…
Un art de vivre
Déclinés à la catalane, avec des vermouths artisanaux, les cocktails les plus connus de la planète deviennent de véritables aventures gustatives qui interpellent les papilles. Ils constituent la base d’un nombre considérable de cocktails célébrissimes comme l’Américano par exemple. Pour autant, pas besoin d’être un oiseau de nuit pour se plier au rituel qui rassemble en fin d’après-midi des familles entières dans les cafés. « Fer el vermut » c’est aussi une affaire de famille, intergénérationnelle et animée. Une façon de se retrouver pour faire le bilan de la journée, sorte de rappel convivial des grandes tablées d’antan, quand tout le monde vivait sous le même toit. Les amis viennent parfois s’ajouter à ces familles élargies, donnant un air de fête à la simple fin de la journée. En Catalogne, on sait vivre !
Bon, vous l’aurez compris, plus question d’enfoncer les portes ouvertes de la grande consommation internationale : oubliez les Martini, Cinzano, Noilly et autres vermouths industriels qui se passent depuis longtemps du précieux siphon et du délicieux rituel qui l’accompagne. Demandez au bar un authentique vermut català, rouge ou blanc, plus ou moins sec selon votre goût. Et laissez les rosés, muscat, Byrrhs et autres délices catalans vous surprendre. L’inattendu est souvent là, juste au coin de la rue. Vous verrez, l’apéro catalan, l’aventure sera belle !
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