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Le Baix Empordà, coté Art, quinte flush !

03 Oct Le Baix Empordà, coté Art, quinte flush !

Terre d’inspiration par excellence, le Baix Empordà a vu naître ou s’installer de nombreux artistes séduits par ses paysages contrastés, entre mer et montagne, nature sauvage et villages intimes. Une diversité qui stimule la création et célèbre la liberté d’être. Cinq figures emblématiques vous invitent à découvrir la région à travers leur regard.

Le grand Lluís Llach, sans conteste le chanteur catalan le plus connu dans le monde, a dédié une chanson explicite à son petit pays d’élection « quan moriré porteu-me à l’Empordà » (quand je serai mort, emmenez-moi dans l’Empordà car il n’y a aucune terre au monde que ma chair aime autant). De fait, il y possède encore un magnifique mas de pierres brunes ceint d’un grand mur, à Parlavà, un petit bijou situé juste à côté de Verges. Son œuvre prolixe multiplie les clins d’œil à ces paysages : les mouettes se détachant sur le bleu du ciel et la fine dentelle de neige qui subsiste à la fin du printemps sur le Canigó, aux plages où les amoureux se faufilent entre les roches, aux villages si proches qu’ils ne se perdent jamais de vue. Son catalan si caractéristique, enraciné dans les terres gironines, ne s’est jamais détaché de son enfance. Malgré la renommée mondiale et les engagements humanitaires, Lluís Llach, est toujours resté fidèle à cette terre. Alors pourquoi ne pas suivre ses pas ?

Le gage d’amour de Dalí

À l’Escala, observez les mouettes prendre leur envol, promenez-vous entre les vignes qui descendent vers la mer, marchez sur les plages fouettées par les embruns, et laissez-vous porter par L’Estaca. Voyager dans le Baix Empordà avec Lluís Llach en bande-son, c’est vivre une expérience sensorielle inoubliable. Autre figure essentielle, le divin Dalí. Bien que natif de l’Alt Empordà, il était, par essence, peu sensible aux subdivisions administratives, mais farouchement attaché à son territoire. Il choisit de convoler en justes noces avec l’amour de sa vie, sa muse Gala, au cœur du massif des Gavarres, exactement là où l’Empordà, vu du ciel, ne fait plus qu’un et célèbre les noces plurielles de la terre, de la mer et des fleuves. À Gala, il offrit, en gage d’amour, un nid invraisemblable et délicieusement excentrique : le château de Púbol. Mentionné dès 1017, de style gothique mêlé d’influences renaissantes, il fut entièrement restauré par l’artiste et meublé de pièces locales. À noter : la piscine entourée de bustes de Wagner et les énormes éléphants qui peuplent le jardin, fruits de l’anticonformisme résolument surréaliste du Maître. Le village médiéval qui l’entoure, paisible et magnifiquement conservé, vaut à lui seul le détour.

Carmen a existé

Dalí y a laissé, à travers des paysages et comptines illustrés, une part de son âme, livrant aux visiteurs les clés d’un Empordà intérieur. Púbol s’inscrit dans le célèbre triangle dalinien et la visite du château dévoile de précieuses séries de dessins offerts par le peintre à son éternelle amoureuse.. Une étape incontournable pour qui souhaite approcher l’univers du Maître… et celui de l’Empordà. Begur, de son côté, se souvient des rythmes caribéens rapportés par les Indians et des havaneres qui bercent encore ses criques. Elle se souvient aussi d’une voix unique, celle de Carmen Amaya, immense danseuse et chanteuse de flamenco. Née à Barcelone dans un bidonville, le Somorrostro, situé à l’endroit où s’élève aujourd’hui le village olympique, elle est d’abord formée par son père, un guitariste de flamenco réputé. Belle et ténébreuse, libre et transgressive – elle se produit en pantalons pour danser le flamenco ! – elle connait un immense succès international qui lui vaut l’amitié et l’admiration d’un Jean Cocteau ou d’un Charlie Chaplin. Sa gloire est telle qu’elle est invitée à se produire à Carnegie Hall et aussi à la Maison Blanche où elle chante et danse devant le président Théodore Roosevelt !

Halte à Romanyà

C’est pourtant ici, face à la mer catalane, qu’elle choisit de vivre ses derniers jours, entourée d’un cercle de fidèles. Ne manquez pas de rendre visite à sa statue qui surplombe Begur de toute sa noble cambrure de danseuse ! L’empreinte des lettres catalanes se prolonge à Romanyà de la Selva, havre discret de l’arrière-pays, où repose Mercè Rodoreda. Après des années d’exil en France puis en Suisse, cette figure majeure de la littérature catalane du XXe siècle, auteure du célébrissime roman « La plaça del diamant », sublime évocation du quotidien durant les années noires, revient en 1972 dans le Baix Empordà. Elle est hébergée dans un premier temps par son amie de jeunesse, compagne de ses luttes catalanes et prépublicaines, Carme Manrubia. Rodoreda y poursuit son œuvre, portée par une passion catalaniste héritée de son grand-père, qu’elle n’a jamais reniée malgré les épreuves du temps et de l’exil. Ici elle a produit, au cœur d’une œuvre prolixe, l’un de ses chefs-d’œuvre les plus aboutis : « Mirall trencat » (Miroir brisé).

Palafrugell dans les pas de Josep Pla

Après avoir obtenu le Prix des Lettres Catalanes et connu la satisfaction d’adaptations à succès au cinéma, ainsi que l’honneur d’une chanson-culte écrite par Ramon Muntaner, elle s’éteint et repose à Romanyà de la Selva, l’un des plus beaux villages des environs de Santa Cristina d’Aró que vous adorerez pour son atmosphère pastorale, sa grotte, et la noblesse discrète de ses façades en pierre. Sans nul doute le prétexte à une excursion passionnante et l’occasion de saluer la mémoire d’une grande dame des lettres. Enfin, pour clore ce parcours sensible et artistique, cap sur Palafrugell, capitale de l’Empordanet, en compagnie de l’immense écrivain et journaliste Josep Pla, véritable chantre de cette ville à l’identité si singulière. Elle conjugue avec naturel un caractère terrien profondément enraciné, des vestiges architecturaux éloquents de sa participation à la Révolution industrielle – oscillant entre modernisme et noucentisme – et une ouverture vers la mer, qu’elle effleure par ses hameaux enchanteurs : Calella, Llafranc et Tamariu, trois joyaux étincelants de la Costa Brava. Sa maison natale, massive et cossue, abrite aujourd’hui la fondation qui porte son nom, mais la famille Pla occupa également d’autres demeures disséminées dans la ville. Parcourir la Route Josep Pla, c’est s’immerger dans l’univers de l’aristocratie paysanne catalane, puisque la famille possédait en parallèle un élégant mas à Llofriu. C’est aussi plonger au cœur du quotidien villageois, marqué par une imbrication forte entre classes sociales, que l’on saisit à travers une halte à l’ancien « casino » – café raffiné réservé à la bourgeoisie – et au Centre Fraternel, espace de sociabilité ouvrière qui demeure encore actif de nos jours. Pla fut le grand témoin et analyste de cette vie locale, façonnée autant par les traditions rurales que par les contraintes étouffantes du franquisme. Aujourd’hui, Palafrugell se lit comme une mosaïque de mémoires : quartiers contemporains et rues ouvrières, maisons patriciennes et usines désaffectées, petites places animées et statues discrètes. Ville active, commerçante, vibrante de terrasses bruissantes de conversations, elle assume pleinement son rôle de capitale de l’Empordanet, fière de son passé et résolument tournée vers l’avenir. Cinq regards d’artistes posés sur le Baix Empordà, cinq manières sensibles et singulières d’en parcourir les paysages, d’en effleurer les contours et d’en révéler les nuances intimes, offrant autant de raisons supplémentaires de succomber au charme discret mais puissant de ses trésors cachés.

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