Le Baix Empordà, plus de temps que de vie

03 Oct Le Baix Empordà, plus de temps que de vie

La comarca actuelle, si elle plonge ses racines au plus profond des temps humains, révèle toute son identité singulière au Moyen-Âge, lorsque la nation catalane joue dans la cour des grands, sur toutes les rives de la Méditerranée.

Certes, Ibères, Romains et Grecs ont laissé de belles empreintes, comme la forteresse d’Ullastret, ou les villas romaines de la côte, mais l’âge d’or du Baix Empordà, c’est, sans conteste, le Moyen-âge, lorsque la comarca, alors divisée entre les comtés d’Empúries et de Girona, voit ses paysages marqués durablement. À cette époque, Sant Feliu de Guíxols abritait une loge de mer florissante, et la Catalogne rayonnait comme puissance maritime, fondant les bases du droit naval international. Point de départ idéal pour ce voyage dans le temps : Monells, l’un des plus anciens villages de la région, avec ses magnifiques maisons en pierre blonde, ses ruelles pavées, souvent à demi-couvertes, et surtout sa sublime place, entièrement bordée d’arcades, où se tenait le marché, il n’y a pas si longtemps encore.

Peratallada, gravée dans la roche

Ce décor si léché, si intact qu’on peine à le croire habité, a naturellement inspiré de nombreux cinéastes et photographes. Juste à côté, dans un cadre agreste paisible et beau, qui ne déparerait pas sur les cimaises des plus grands musées, Sant Sadurni de l’Heura, à l’écart des circuits touristiques, dresse encore son vieux clocher roman du XIe siècle. Il domine un habitat paysan traditionnel, lové entre champs et bois ombreux. Enfin, Cruïlles réserve une autre surprise : une tour romane très haute, parfaitement cylindrique, que vous pouvez gravir pour admirer le paysage et surtout les ruines du très beau monastère Sant Miquel où dorment des restes de fresques romanes. Monells, Sant Sadurni, Cruilles forment un trio architectural et patrimonial remarquable, blotti dans un mouchoir de poche. Au rayon des incontournables médiévaux, cap maintenant sur Peratallada, dont le nom évocateur, « pierre taillée », annonce déjà la magie du lieu. Le village est littéralement né d’une énorme plaque de pierre fissurée sur laquelle il repose et dont ont été extraits tous les blocs ayant servi à ériger ses bâtiments, ainsi que les remparts qui l’enserrent encore.

Une blondeur diffuse enveloppe les pierres d’une lumière intérieure, douce et vibrante, comme si chaque fragment murmurait encore les échos du Moyen-Âge, baignant l’ensemble d’une clarté dorée au charme suspendu. Ici, chaque ruelle semble remonter le temps. Laissez-vous porter de voûte en portail, à travers des passages étroits épargnés par la circulation, et découvrez le château et sa tour de l’Hommage, l’ancien palais, puis l’église romane dédiée à Sant Esteve, en marchant dans les empreintes des siècles passés. à quelques kilomètres à peine, Palau-Sator offre sa tour de l’horloge carrée et surmontée d’un clocher-mur, son château aux murs en glacis avec sa grande tour rectangulaire et son église Sant Pere. Traverser ce village, c’est savourer une promenade hors du temps. Les maisons en pierre, les terrasses à arcades, les arches en plein cintre rappellent l’art de vivre médiéval. Et pour une touche d’originalité, ne manquez pas l’ancien puits de glace : vous pouvez même y pénétrer pour une immersion insolite dans le passé.

Pals et les villages d’or

Quelques encablures encore, et vous voilà à Pals, haut lieu touristique apprécié non seulement pour son patrimoine bâti et son charme médiéval, mais aussi pour son cadre naturel qui le contraint à grimper à flanc de colline en étageant maisons, remparts et église. Ici, pierres et arbres, murs et fleurs se parlent et s’entremêlent, tandis que plus bas, les rizières soignées tutoient la mer dans un miroitement partagé que la tramontane vient parfois froisser. Le mirador Josep Pla, belle esplanade située au sommet du village, est sans doute le meilleur prescripteur pour organiser votre visite : il vous invite à parcourir l’enceinte gothique et laisse entrevoir à l’horizon, l’ocre des îles Medes, posées comme des joyaux dans l’azur. Les remparts ont conservé quatre de leurs tours d’origine, mais peu importe, elles suggèrent les autres. La tour romane de l’ancien château (XIIe), la tour Sant Pere (Xe), le château et la tour de l’horloge se mêlent à des tombes wisigothiques qui trahissent le passé complexe de ces terres aisément accessibles jadis par la mer. Pals est un véritable joyau, entouré de villages moins connus mais tout aussi charmants, à l’image de Regencós, dont le centre historique a été classé par CNN parmi les quinze plus beaux villages d’Europe. Détail appréciable : tous ces villages sont parsemés de petits restaurants célébrant la cuisine de l’Empordà, installés avec goût au cœur de ce patrimoine unique.  Soyez tranquille l’aventure sera belle sous le signe de la découverte, surtout si vous optez pour une route médiévale à vélo, au plus près des paysages, ou une randonnée, à travers champs, bois et collines ! Côté patrimoine, les villes majeures du Baix Empordà ne sont pas en reste, même si l’architecture médiévale s’y niche parfois au cœur de zones urbaines plus récentes. La Bisbal, capitale de la comarca, tire son nom de sa fonction d’ancien siège épiscopal. Son château-palais, monument emblématique, est l’un des plus beaux exemples d’art roman civil catalan des XIe et XIIe siècles. Il est entouré de ruelles pittoresques et de placettes ouvrant sur une large avenue bordée d’arcades : un décor parfait pour flâner. À Torroella de Montgrí, le centre ancien se découvre à pied, entre une imposante église gothique, un couvent d’époque Renaissance, et le palais du comte de Torroella, où séjourna, dit-on, le Comte-Roi Pere le Cérémonieux. Aujourd’hui transformé en hôtel, il conserve tout son cachet. Plus à l’intérieur des terres, le village de Verges est célèbre pour sa procession du Vendredi saint, rythmée par des danses macabres saisissantes. Il abrite aussi un château du XIe siècle, un magnifique portail surmonté d’une Vierge et les vestiges d’une ancienne enceinte fortifiée. Cap à présent sur le littoral avec Palamós, port de pêche dynamique et capitale incontestée de la gamba IGP. Son centre historique, animé et commerçant, est ponctué de belles places dominant les quais, et d’une remarquable église gothique mariale aux retables finement ouvragés. Sur les hauteurs, le château de Sant Esteve veille sur les criques alentour. La ville n’est pas sans présenter quelque gémellité avec Sant Feliu de Guíxols, sa fabuleuse promenade maritime et surtout son monastère à la porte monumentale, la Porta Ferrada, défendue par une belle grille en fer forgé, un vrai chef d’œuvre architectural qui devient, tous les étés, le cadre d’un magnifique festival de musique. Partout, dans le Baix Empordà, l’histoire médiévale se manifeste avec éclat, car il faut rajouter à toutes ces splendeurs les petits ermitages perchés sur les hauteurs comme le Sanctuaire des Anges, au cœur du massif des Gavarres, où se sont mariés, en 1968, loin de la presse et des médias, Dalí et Gala, et les innombrables églises romanes ou gothiques qui s’appellent d’un clocher à l’autre. Le temps semble se jouer des siècles, un peu comme l’horloge à l’aiguille brisée de la procession de Verges. « Plus de temps que de vie » dit-on en Catalogne. Le Baix Empordà a bien retenu la leçon.