02 Août LE BAIX LLOBREGAT, RENCONTRE AVEC MINGO MORILLAS
Cap Catalogne : Bonjour Mingo Morillas, merci de nous recevoir dans votre établissement. C’est un lieu un peu insolite, non ?
Mingo Morillas : Comme vous le voyez c’est un ancien mas, même s’il se situe maintenant au cœur d’une zone industrielle de banlieue et s’il n’est plus entouré de terres arables comme autrefois. Je le considère comme un symbole de la résistance de la nature aux menées des hommes, comme une sorte de forteresse du bien vivre et du bien manger. Un avant-poste, si vous préférez, de tout ce que notre région a su garder et de ce qu’elle est en train de reconquérir. J’aime beaucoup cette sensation d’île. Elle me rend optimiste pour l’avenir.
CC : Vous avez toujours vécu ici ?
MM : Disons que j’ai vécu toute ma vie professionnelle dans la région, d’abord à Castelldefels, où j’ai tenu un premier restaurant, puis ici, à Viladecans. Au départ, la cuisine n’était pas mon premier choix, elle l’est devenue par nécessité économique, puis par passion. Grâce à elle, j’ai pu me consacrer à ce en quoi je crois, un retour aux racines qui se nourrit sans cesse de métissages, comme un grand fleuve à remonter dont il faut connaître tous les affluents. Ce qui m’intéresse, c’est de retrouver un peu la cuisine des Romains, enfin dans l’esprit, en tout cas. On a tous les ingrédients pour ça. Dans le Baix Llobregat, nous sommes au centre d’un éden. C’est historiquement le jardin de Barcelone, même s’il ne produit évidemment plus assez pour nourrir une ville-monde de plusieurs millions d’habitants ! Nous sommes sur une terre de delta, une terre d’alluvions avec des zones sableuses et des limons. C’est un paradis pour tous les légumes à fibre comme l’asperge ou l’artichaut. Le légume ne doit pas se battre contre un milieu qui l’enserre comme ce serait le cas pour une terre argileuse : ici il ne lutte pas et donc ne se muscle pas. C’est aussi le cas, avec tout le respect que je dois aux gens de Valls, pour les calçots qui s’adaptent très bien aux conditions locales. Le fleuve a été totalement dépollué, on a peine à imaginer qu’il était bordé d’usines. Nous avons retrouvé une partie de l’état naturel et la récompense, ce sont des fruits et légumes d’une qualité exceptionnelle.
CC : Vous vous servez toujours sur place ?
MM : Le kilomètre zéro est évidemment incontournable. Les gens ont besoin de savoir d’où viennent les aliments, qui les produit, à quoi ils correspondent. Nous disposons ici de la zone de maraîchage périurbaine la plus importante d’Europe, avec des paysans motivés qui pratiquent une agriculture avancée à dominante biologique. Nos produits sont connus dans toute la Catalogne, même si, bien sûr, ils ne sont pas toujours à proprement parler autochtones, comme l’artichaut du Baix Llobregat de la variété blanca tudela auquel la proximité de la mer donne sa spécificité locale. Nous n’avons pas une eau très pure, car le delta induit une capillarité entre la mer et la nappe phréatique. C’est une caractéristique qu’il faut toujours prendre en compte. Nous sommes le triangle fertile de Barcelone et nous travaillons pour le rester.
CC : Qu’est-ce qu’on produit en Baix Llobregat ?
MM : De tout (rires). C’est une véritable corne d’abondance : des artichauts, des salades, des aubergines, des courgettes, des cerises, des prunes, des pêches, des prunes, des fèves, des petits pois… J’ai fait de la saisonnalité un véritable credo et je ne suis jamais à court de produits. Quand je ne peux pas acheter directement aux paysans du parc agraire, je recours à des fournisseurs qui se servent aussi sur place. Nous avons aussi de très bonnes volailles qui jouissent de la fameuse IGP Pota Blava (pattes bleues) mais là encore il faut un peu casser les mythes. Ces volailles de haute qualité n’ont rien de particulièrement local, elles sont le fruit de croisements minutieux…
CC : Comment définiriez-vous votre cuisine et aussi celle de la région ?
MM : Méditerranéenne de saison, je crois que c’est ce qui convient le mieux. Parce que nous sommes tous le résultat de notre temps et du lieu où nous vivons, nous ne pouvons pas y échapper. Se soumettre à la nature, c’est aussi revenir à notre condition humaine avec le plus d’humilité possible. La cuisine est un formidable outil de rapprochement mais c’est aussi un marqueur identitaire et territorial.
CC : Le Baix Llobregat est en pleine résilience ?
MM : Je vais vous surprendre mais oui. Il y a trente ans, par exemple, Viladecans était une banlieue dortoir avec des usines, des gens épuisés et tristes, une immigration intérieure très forte avec une majorité écrasante de gens parlant espagnol, une survivance de l’après-guerre. Aujourd’hui la population s’est renouvelée et rajeunie, les industries salissantes ont disparu, un hôtel Ibis s’est installé à proximité, nous sommes dans une tout autre approche. Mais tout n’est pas tombé du ciel. Avant de céder son établissement au groupe Accor, c’est la mairie qui avait pris l’initiative de créer un hôtel pour développer la commune. Et c’est le cas de toute la comarca qui découvre son potentiel attractif et touristique et qui multiplie les efforts pour le mettre en avant. Le Baix Llobregat n’a plus le syndrome de la banlieue, parce qu’il a retrouvé son lien avec la nature. Nos plages sont impeccables, nous avons une zone humide magnifique à deux pas de l’aéroport, le delta du Llobregat, nous n’avons pas d’autre choix que d’assumer notre dualité, mais nous devons le faire en beauté, en respectant au mieux la terre qui nous nourrit. Quand on est cuisinier, et de ma génération – songez que j’ai partagé à l’école la chambre de Ferran Adrià – on sait que c’est le seul chemin et qu’il mène à la Méditerranée, toujours !
CC : Le syndicat que vous présidez a conscience de ces évolutions ?
MM : Je n’aime pas travailler seul, j’aime fédérer. Mes confrères ne sont pas des rivaux mais sont pour la plupart des amis. Nous essayons d’innover dans le respect des fondamentaux, sans refuser aucune rencontre, aucun métissage et en nous amusant dans la mesure du possible. Nous avons réussi à changer d’image ! Au-delà de cette casquette culinaire, je suis aussi vice-président du tourisme du Baix Llobregat et c’est une tâche à laquelle je m’attelle avec beaucoup de plaisir, parce que nous en voyons les résultats tangibles. Pendant le confinement, les Barcelonais ont redécouvert le paradis à deux pas de chez eux. Un petit tronçon d’autoroute et les voilà au bord de la mer, dans les montagnes de Montserrat ou au bord du Llobregat. Je suis convaincu qu’à terme, ces évolutions nous seront très favorables. Nous sommes en train de devenir une destination touristique choisie. Les locaux ne viennent plus chez nous par proximité mais par choix. C’est un changement considérable et c’est le fruit d’un travail soutenu pour mettre en valeur les atouts naturels de nos paysages, leur intérêt sportif, et aussi un patrimoine bâti assez incroyable. Le fait de nous trouver dans une zone péri-urbaine nous permet d’avoir des châteaux forts et des ermitages isolés, des quartiers modernistes, des dizaines de fêtes votives différentes et donc des propositions presque infinies pour les visiteurs. Le meilleur est devant nous, j’en suis convaincu. Parce que je suis marcheur, je sais que c’est sur le chemin qu’on se réinvente et qu’on rêve le monde.
www.calmingo.net
Pas de commentaire