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Le Capcir, le pays de la neige

31 Jan Le Capcir, le pays de la neige

Si la neige choisissait son pays, son point ultime de rayonnement, ses paysages d’éternité, le Capcir serait certainement au palmarès de sa dernière demeure. Ne l’appelle-t-on pas, avec ses airs de taïgas profondes et ses grands lacs, tantôt Petite Sibérie, tantôt Petit Canada ?

Si les flocons n’ont pas leur pareil pour ennoblir de perles brillantes le moindre relief, végétal ou bâti, pour ne laisser émerger de l’océan blanc et pur, que les silhouettes déchiquetées des rochers et les murs de bois ou de pierre bâtis par l’homme, ils ne parviennent pas à atténuer le caractère tranché et farouche du Capcir, tout au contraire. Impossible, notamment de le confondre avec la haute plaine cerdane, sa voisine. Pendant des décennies, les paysans du cru, bûcherons, éleveurs, maigres cultivateurs, ont vécu avec fatalisme les températures abyssales, les chemins obstrués, la griffure cinglante du blizzard local, le carcanet. Le pays tout entier a fait du vent son totem puisque littéralement, Capcir signifie, tourné vers le Cers, le redoutable et imprévisible vent occitan. Sous les assauts de ces deux fils d’éole, il n’est pas rare que le thermomètre flirte avec les moins vingt degrés, une température rare dans les Pyrénées. Il y a cent ans, toute la vie s’en trouvait suspendue comme le geste gelé des petites rivières, comme la vallée toute entière, en lisière d’Occitanie, à la naissance du cours impétueux de l’Aude. Une île. Au XVIIe siècle, l’abattage des forêts était si important, et celle de la Matte si incroyablement généreuse, eu égard aux besoins exponentiels des habitants en peine de chauffage, qu’il a été interdit par édit royal sous la menace des grenadiers, créant de fait une immense famine ! Il faut dire que les hauts fûts servaient à fabriquer les mâts de la marine royale. Toute cette histoire rude se lit encore dans le plan ramassé des villages blottis autour de leur église, dans les maisons aux fenêtres minuscules et profondes, dans les lavoirs et fontaines dont on devine qu’ils étaient en service actif, il n’y a pas si longtemps… Le château de Puyvalador, construit non pas à des fins purement défensives mais bien pour protéger toute la population, les éléments fortifiés de Formiguères, lieu de villégiature estival prisé des souverains de Majorque, racontent une autre histoire de luttes, celle d’un pays de frontière. Un pays si indécis, qu’il s’est livré au fil des siècles à l’évêque de Narbonne par l’esprit, aux comtes-rois de Barcelone par le cœur, tiraillé entre Razès et vicomté de Besalú. Tout comme sa rivière principale, née catalane avant de lécher le pied des murailles de Carcassonne ou de Limoux, deux merveilles purement occitanes. En fait, le Capcir naît au Col de la Quillane qui marque sa limite avec le Haut Conflent, et s’étend jusqu’au Col de la Llosa, porte des Garrotxes arides qui redescendent vers la vallée de la Têt. Les villages y sont rares, sept communes à peine, plus un certain nombre de hameaux abandonnés lors de l’exode rural des trente glorieuses ou même avant, pour des raisons de vie miséreuse comme Vallserra, Galba ou Creu : nous sommes ici sur le plus haut plateau des Pyrénées, juste au-dessous du pic du Carlit qui flirte avec les 3000 mètres. Partout, les grandes forêts aux hauts fûts de mélèzes donnent une impression étrange, celle d’entrer dans un monde dont le vert touche au noir profond, souligné par la blancheur immuable de la neige.

Parmi les nombreux lacs, deux énormes plans d’eau créés par l’homme reflètent le ciel pur. Le Capcir est le pays qui fait aimer l’hiver… Dès l’entrée dans ce monde suspendu, l’habitat change imperceptiblement : perché au-dessus de l’étang de Matemale serti de forêts, fileté de chemins ombreux, qui duplique la beauté des montagnes, le village des Angles veille de toutes ses anciennes fermes restaurées sur ce paysage fabuleux. Une véritable petite ville, foisonnante de services, devenue en toutes saisons une merveilleuse destination familiale, qui a su garder tout le charme de son héritage paysan tout en caracolant vers le XXIe siècle. Plus loin, à fleur de lac, Matemale étage ses belles maisons aux toits de lauze le long de l’Aude encore balbutiante. Tranquille, le petit village respire le silence montagnard et ouvre la route de la petite capitale, royale s’il vous plait, le beau bourg de Formiguères. Les marchés y sont particulièrement animés. L’église romane, la chapelle et la fontaine de Villeneuve méritent votre attention, mais rien ne remplace la flânerie sereine dans les petites rues que l’hiver remplit de passants affairés. Offrez-vous une petite escapade au hameau d’Espousouille qu’on dirait tout droit sorti d’un pessebre. à Fontrabiouse, sur la route de Puyvalador, on devine que l’urbanisme a fait son affaire de fermes dispersées existantes, marquées par l’omniprésence du granit, comme si l’homme s’obstinait à reproduire le geste de la montagne. Ici, le miracle, ce sont les grottes, qui comportent un lac souterrain, des colonnes sculptées sous forme de stalactites et stalagmites, des cheminées de fée arachnéennes et, last but not least, une température idéale contre les frimas de la petite Sibérie : 8 degrés ! Si vous êtes privés de ski par les intempéries, voilà la solution idéale pour toute la famille ! Le lac de Puyvalador semble, lui, apaiser les courbes du paysage : il mène aux confins de la Catalogne, dont la petite ville, hélas privée de son château démoli par les troupes françaises, est le tout dernier village, étrange étrave qui marque l’entrée en Occitanie.

Tout autour, le cirque des montagnes coupe le souffle. On distingue sur un renflement, Réal et son hameau tout proche, Odeillo (l’autre). L’église paroissiale de Réal est dédiée à Saint Romain. On en trouve la première occurrence dès 893 alors qu’elle est encore une possession de l’abbaye Saint Jacques de Joucou, dans le Razès, encore un signe de cet entrelacs de vassalités et d’appartenances qui caractérise toutes les terres de confins. Pourtant, vous constaterez très vite que le Capcir est une terre farouchement catalane et revendiquée comme telle par les drapeaux qui ensoleillent les façades des mairies et par les toponymes. Partout, au cœur de ces villages autrefois littéralement figés par l’hiver, où les sports de neige se limitaient à quelques glissades de caisses sur les pentes gelées des rues, auberges et gîtes promettent de toutes leurs cheminées fumantes la chaleur d’un accueil montagnard incomparable et la capture, dans les confitures et le miel, dans les charcuteries et les viandes savoureuses, d’un été croulant de fleurs et de senteurs, un peu comme si le Capcir vous invitait déjà à revenir… Situé au cœur du Parc Naturel des Pyrénées Catalanes, doté de stations familiales idéales pour le ski alpin et nordique ou encore pour les excursions en raquettes, le Capcir est avant tout une merveille naturelle au caractère alpin marqué, une sorte de petite principauté montagnarde plus froide, plus sauvage, et surtout, beaucoup moins peuplée que ses voisines, la Cerdagne et l’Andorre. Héritier de siècles de vie particulièrement rude qui lui ont transmis le sens de l’effort et de l’accueil, le Capcir réussit à être à la fois la destination la plus arctique et la plus chaleureuse de toute la chaîne pyrénéenne. Là-haut, l’hiver fait chaud au cœur !

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