05 Jan LE CASTILLET, EMBLEME PUISSANT
Le Castillet, (petit château en roussillonnais), est, sans conteste aucun, le monument le plus caractéristique de Perpignan, présent sur nombre de logos et trait distinctif de la skyline de la ville. Il évoque une figure de résistance obstinée qui signe l’accueil des visiteurs et rassure les Perpignanais.
Certes, Perpignan possède le Palais des Rois de Majorque, forteresse et résidence gothique, à l’architecture élégante, mais sa situation géographique à la fois élevée et excentrée, en fait un lieu de repli et non un point de défense de la ville et de ses habitants. Pour protéger la ville, déjà enserrée dans ses remparts, des menaces d’invasion françaises toujours plus pesantes, il faut l’équiper, au nord, d’un système de défense efficace et dissuasif. Ce sera le Castillet. à la fois porte, prison, et merveille architecturale militaire, le Castillet ne se laisse enfermer dans aucune catégorie : il connait les vicissitudes imprévisibles de l’histoire dont il est né. Il lui a fallu plusieurs étapes mouvementées avant de présenter sa physionomie actuelle. En 1368 l’infant Jean d’Aragon, soucieux de protéger sa ville la plus septentrionale – et la seconde du royaume en termes économiques – des convoitises de plus en plus marquées des Rois de France, décide de faire construire un ouvrage défensif qui garde toutes les caractéristiques des constructions médiévales. On l’appellera plus tard le Grand Castillet. Il est bâti avec des briques et des ouvertures appareillées de marbre blanc de Baixas et équipées de barreaux en fer du Canigou, dont les jointures sont faites en « túrbol », un mélange de chaux de briques pilées qui constitue un ciment incroyablement efficace. En effet, les Français prennent pour prétexte le souvenir lointain du roi franc Charles le Chauve, suzerain historique des comtés catalans pour réclamer les territoires du Priorat. à telle enseigne que, malgré la prouesse technique de l’architecte Guillem Guitard, la protection que ce Castillet nouvellement construit a apporté aux habitants ne tarda pas à trouver ses limites. Dès 1463 Louis XI décide d’envahir le Roussillon avec la ferme intention de l’annexer définitivement. La ville devient pendant dix ans, un chantier permanent.
De Louis XI à Charles Quint
Il fait construire, à côté du bâtiment initial, ce que l’on appellera le Petit Castillet, ou la Porte Notre Dame, une petite fortification annexe qui perce les remparts et qui nous est parvenue quasiment dans son état d’origine. N’ayant à se défendre contre aucun envahisseur venu du nord, le roi de France transforme le Castillet proprement dit en prison et en place forte tournée contre les habitants ! Mais contrairement aux assertions de ses informateurs qui pariaient sur le particularisme roussillonnais, les Perpignanais se sentaient pleinement catalans et se soulèvent en 1473. Il a fallu huit mois de siège pour que les Français se rendent maîtres de la ville, résolument hostile à cette férule étrangère. Quand les rois d’Aragon se voient restituer les comtés du Roussillon et de Cerdagne, en 1493, la ville est auréolée d’une gloire légendaire basée sur sa résistance et sa loyauté envers ses souverains légitimes ! Perpignan devient la « Fidelíssima ». Pour autant, les visées françaises ne sont pas éteintes, loin de là. Conscient de la fragilité de sa frontière nord malgré la très imposante présence de la forteresse de Salses qui verrouille les Corbières, Charles Quint décide de doter le Castillet d’un énorme bastion polygonal, bastion renforcé après le traité des Pyrénées par le grand Vauban, chargé de la fortification de la frontière.
Modernité et tradition
Il y adjoint alors un corps de garde aujourd’hui disparu. Derrière les murailles imposantes, condamnés de droit commun, femmes protestantes des Cévennes et prisonniers politiques se côtoient jusqu’au XIXe siècle. Ici comme ailleurs, toutefois, la modernité est en marche : en 1904, Perpignan étouffe dans ses remparts et son plan médiéval tandis que les faubourgs se développent, notamment dopés par l’arrivée du chemin de fer. On procède à leur démolition et le Castillet perd au passage l’éperon qui surplombait directement la Basse, la rivière du centre-ville. Aujourd’hui, le Castillet reste le témoin d’une architecture militaire unique, décorative, avec son crénelage, ses consoles et ses tourelles de style mauresque, son appareil de galets et de briques, et son immense terrasse qui surplombe la ville à vingt mètres de hauteur et offre une vue à 360 degrés sur la mer et sur le Canigou ! Un incroyable petit château, mais aussi, un musée ! En 1963, le pharmacien Joseph Deloncle, passionné d’histoire catalane et de traditions populaires, confrère de la procession de la Sanch et grand défenseur de la langue catalane, s’allie au grand muséographe Georges Henri Rivière pour créer au sein du Castillet, la Casa Pairal (la maison ancestrale). Ce musée pas comme les autres entend recréer l’environnement dans lequel les innombrables objets quotidiens des Roussillonnais ont été utilisés au fil des siècles. Meubles (lits d’Olot à la décoration picturale et sculpturale nettement baroque), bijoux (notamment en grenat comme la croix badine), objets de culte (dont une magnifique croix aux outrages), pessebres, outils relatifs à l’agriculture et à la viticulture, tête d’ours ayant servi aux fêtes de printemps du Haut-Vallespir, encadrent un chef d’œuvre : la reconstitution minutieuse de la cuisine du Mas Gleix avec son âtre, sa table de bois brut, son four, la résurrection momentanée de tout un univers paysan. Au fil des salles se dessine l’histoire d’un peuple dur à la tâche, arc-bouté sur son héritage culturel. D’ailleurs, l’entrée annonce la couleur : c’est la résidence des deux gegants de Perpignan, Esclarmonde de Foix et Jaume II de Majorque. Sur le Castillet flotte en permanence la senyera, le drapeau catalan. Le monument est le siège incontournable de la Saint Jean et accueille nombre d’expositions temporaires qui le font vivre au rythme des actions culturelles de la ville : Visa pour l’Image Off, Semaine Sainte, exposition de pessebres lors des fêtes de Noël, expositions d’œuvres contemporaines… Il reste, malgré une offre foisonnante, le monument le plus visité de Perpignan, sans doute parce que le plus identitaire pour les Catalans et le plus exotique pour les visiteurs. Incontournable !
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