03 Oct Le Château de Montjuïc, témoin emblématique
Le Château de Montjuïc, juché sur la butte qui lui donne son nom, est la vigie la plus emblématique de Barcelone. Tour à tour fortin, forteresse, garnison, prison puis espace culturel, il constitue à lui seul une biographie de la cité comtale.
Il couronne la colline la plus haute de Barcelone d’où il domine, du haut de ses 178 mètres, à la fois le paysage urbain et sa skyline marquée par la Sagrada Família, la voile de verre de l’hôtel W Barcelona ou la tour Agbar, et l’immensité du port auquel l’unit la danse des télécabines. Lui, c’est le Castell de Montjuïc, maître de la colline aux merveilles, peuplée de palais muséaux, de stades, de piscines et de jardins, et mère des pierres qui ont construit la basilique de Santa Maria del Mar et tant de bâtiments remarquables. Ici, sur les hauteurs, s’étaient écartées les sépultures des membres du « call », d’où son nom de montagne des juifs, puisque la communauté l’a utilisée du IXe au XVe siècle, date de leur terrible expulsion par les Rois Catholiques. Au départ, il s’agissait d’une simple tour à signaux médiévale placée face à la mer, chargée d’informer les habitants de l’arrivée des bateaux de guerre. Elle fut peu à peu transformée en fortin et largement utilisée dans les années noires de la Guerra dels Segadors (Guerre des Faucheurs) en 1640, avant que cette construction primitive, prompte à céder aux outrages du temps et des intempéries, ne soit démolie puis reconstruite selon des techniques beaucoup plus modernes, en 1651, pour devenir propriété royale en 1652. Il a toutefois fallu attendre 1694 pour que l’ensemble puisse mériter le nom de château, avec son chemin de ronde crénelé, ses redoutes et ses demi-lunes. Il devint, sous cette forme plus sophistiquée, l’un des principaux enjeux de la guerre de Succession d’Espagne, et même, la clé de la maîtrise de Barcelone. Le Château de Montjuïc fut livré aux Troupes de Philippe V le 11 septembre 1714 après une résistance héroïque de la population de Barcelone. C’est cette date qui donne lieu, depuis 310 ans, aux célébrations de la « Diada de Catalunya ». En 1751, l’ingénieur militaire espagnol Juan Martín Cemeño transforma le fort en le dotant de plusieurs citernes – dont une d’eau potable -, une nouveauté, et en faisant creuser l’énorme fossé. L’imitation des techniques défensives de Vauban est manifeste. à la fin du XVIIIe siècle, le château possédait des cuisines capables de sustenter 3000 hommes et avait trouvé l’aspect qu’il a conservé jusqu’à nos jours. En 1808, il fut brièvement occupé par les troupes de Napoléon. Le château de Montjuïc servit autant à défendre Barcelone qu’à la bombarder à différentes époques de son histoire. Loin de toute frontière autre que maritime, le fort a eu, en 1842, la sinistre mission de maintien de l’ordre et servit de base de tir pour bombarder par deux fois la population soulevée contre le pouvoir. Devant la série de soulèvements de toutes sortes vécus par la Catalogne à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, il a peu à peu été transformé en prison et lieu de torture contre les anarchistes, les ouvriers soulevés, les syndicalistes, puis les opposants au franquisme dont la figure emblématique reste le Président de la Generalitat Lluís Companys, fusillé dans les fossés en 1940. Franco le céda en partie, en 1960, à la municipalité et en fit un musée de l’Armée, en 1963. Lors du retour à la Démocratie, après la mort du dictateur, dans les années 1980, le château a vu son destin basculer vers des visées plus pacifiques et culturelles. En 2008, la statue équestre du généralissime Franco, symbole d’autres temps, est écartée.
Un destin de paix, enfin
Pour la première fois, 40 000 visiteurs peuvent parcourir le château et ses dépendances lors d’une journée portes ouvertes. Il faut bien comprendre que pendant plusieurs siècles, aucun civil n’avait franchi la porte du château librement et que plus d’un n’en était pas ressorti vivant ! Dès lors commencent les travaux destinés à en faire un équipement public de premier plan et enfin, le 15 octobre 2011, le drapeau catalan finit par flotter pour la première fois sur les remparts. Pour tout savoir sur les existences successives de ce bâtiment emblématique, la visite du Centre d’Interprétation du Château de Montjuïc s’impose. Le parcours est divisé en quatre thèmes éclairants : « la montagne de Barcelone » qui porte la mémoire des carrières et des proscrits, « tour, fortin et forteresse » qui illustre les états défensifs successifs de l’édifice au fil de transformations drastiques, « défense et répression » qui expose le rôle le plus sinistre du château, pourtant en temps de paix, quand il est un élément de répression majeur et enfin, « prison et mémoire », pour une dernier chapitre qui fait la part belle aux exactions et exécutions du franquisme. Mais bien sûr, rien ne remplace la visite. Vous aimerez le pont d’accès de style néoclassique, le fronton flanqué de deux colonnes de bienvenue et aussi la construction en étoile, qui comprend quatre remparts saillants et ne manquera pas de vous rappeler les ouvrages de Vauban. Au niveau intermédiaire les demi-lunes et la corniche sont particulièrement impressionnantes. Le fossé profond n’est plus en eau depuis longtemps et accueille aujourd’hui de beaux jardins paisibles aux motifs fleuris impeccables, transformés selon l’heure et la saison, en cinéma de plein air avec des projections sur la façade du château, ou encore en haut-lieu de lecture et de pique-nique. Difficile d’imaginer-là pelotons d’exécutions et sinistres commandos, et pourtant…
La place d’armes, située dans la partie supérieure semble se souvenir du son des fers croisés et des 250 bouches de feu qui permettaient de bombarder Barcelone et plus particulièrement le Born et la Ribera. Le rempart sur la mer et surtout le chemin couvert, qui mettait les soldats à abri des tirs ennemis, offrent des vues spectaculaires à 360 degrés sur la ville et la mer, mais les plus bluffantes sont à admirer depuis la terrasse. Pour accéder à ces hauteurs, vous avez le choix entre le merveilleux téléphérique qui traverse toute la baie, une véritable légende de Barcelone, et le vénérable funiculaire, rapide et un peu suranné, qui présente l’avantage d’être directement relié au réseau du métro. Le Château de Montjuïc ne fait pas encore partie des monuments les plus visités de Barcelone, et pourtant, il vaut vraiment votre détour !
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