
01 Août LE HAUT-VALLESPIR, AU NORD DU SUD, AU SUD DU SUD ?
Au sud du sud de l’hexagone, le Haut-Vallespir trompe son monde. S’il est haut en couleurs, prompt à faire la fête et à ouvrir les bras, il reste au nord de son espace culturel naturel. Cette claudication identitaire entre nord et sud lui donne le charme indéfinissable du mystère, entre réserve et exubérance.
Le maître des lieux, celui qui sculpte, colore et dessine de ses affluents toutes les vallées secondaires en courant son chemin heureux, entre gorges et lacs tranquilles volés à la force du courant, c’est le Tech, dernier fleuve sauvage du nord de la frontière. Débonnaire et rieur la plupart du temps, il se laisse parfois emporter par de folles colères, comme tous les gens d’ici. Si vous aimez les demi-mesures, le tiède et la civilité de surface, ce pays n’est pas pour vous. Ses orages qui recréent par leurs éclairs violents d’étranges journées ensoleillées au cœur de la nuit, ses pluies dignes d’un climat tropical, la chape de feu qui s’abat parfois sur ses étés glorieux ne quémandent aucun pardon, juste la grandeur d’être. Il y a 85 ans, les éléments se sont conjugués pour tout détruire du mode de vie antérieur et faire du Tech un agent de destruction massive : les ouvrages d’arts intacts, les maisonnettes de garde-barrière vous parlent encore d’un temps où toute la vallée était desservie par le chemin de fer. Quelques usines électriques, dont l’énorme trombe du Tech, ont subsisté, mais il a fallu tout recommencer.
Le fleuve, la mémoire et les hommes
Pas de quoi faire peur aux gens d’ici. Ils ont tout connu : l’improbable razzia des Vikings sur l’abbaye d’Arles-sur-Tech, les armées de Louis XIV venues soumettre ces nouveaux sujets décidément peu malléables, les files faméliques des réfugiés catalans et espagnols ainsi que le bruit des bottes allemandes. Ils ont résisté autour de leurs mas, de leurs ermitages et de leurs bêtes, âpres au travail, têtus et fiers, les yeux levés vers leurs tours de guet héritées des temps majorquins. Naître de cette terre, être fait de cette glaise c’est allier naturellement de grands silences intérieurs et une surface de faconde rieuse. C’est puiser dans la puissance des paysages la force rugueuse de durer, en saluant chaque jour la présence encore tangible des anciens disparus. Le Haut-Vallespir se donne à lire comme un roman d’amour. Au nord du sud, résolument. Son roman, c’est celui de la terre donnante, généreuse, qui a su dispenser les bienfaits de ses eaux chaudes depuis l’époque romaine et soulager les maux des gens du cru, même les lépreux, de façon purement empirique, avant l’exploitation moderne que nous lui connaissons, à la fois civile et militaire. Une richesse unique qui lui a permis de traverser avec grâce L’« Aiguat », cette crue historique de 1940, où le ciel s’abattit sur le Haut- Vallespir et le Tech, sorti de ses gonds, ravagea la vallée avec une violence inouïe. C’est aussi celui du fer et des forges catalanes, mode de survie pour des générations d’hommes acharnés à extraire le minerai des entrailles de Montargull, de Palalda, des galeries de la Pinouse à Batère, ou encore de Lamanère. C’est celui du plâtre arraché à la montagne à Amélie-les Bains. Le roman d’une eau qui se laisse boire à la régalade de fontaine en fontaine, favorise la naissance des mas, se jette en cascades échevelées dans des gouffres profonds, et laisse le Tech si pur qu’il produit le meilleur papier médical du monde. Il y a bien longtemps que l’eau coule aux robinets des maisons et pourtant les autochtones affectionnent une autre eau vive, celle de leurs fontaines fraîches où ils vont s’approvisionner, bidons en main. Dans les hautes futaies, le son des haches s’est tu et les châtaigniers se serrent les uns contre les autres, au risque de mourir de cette étreinte désespérée. Pourtant, des générations de bûcherons se parlent encore de feuille en feuille. Le Haut-Vallespir avance à travers les siècles mais n’oublie jamais de regarder en arrière, comme ces chiens de bergers attentifs aux troupeaux, qui ne laissent jamais personne au bord du chemin. Les paysages sont à la démesure de ces montagnes rudes. Ils alternent vallées encaissées, gorges et canyons menacés par les changements climatiques, hauts plateaux et prairies suspendues. Les cultures se résument à de beaux potagers et à quelques pommeraies, même s’il n’est pas rare que les jardins familiaux aient conservé quelques fruitiers traditionnels : la treille de rigueur ou le vaillant figuier. Les abeilles vivent une bacchanale permanente, ivres de fleurs des champs d’altitude, de celles des acacias, du thym sauvage qui court sur les rochers et des châtaigniers majestueux. Le miel concentre ces saveurs et se mêle à une production fromagère réduite, certes, mais de très haute tenue : l’herbe grasse et parfumée nimbe le lait de vache, de brebis ou de chèvre, d’un halo de fragrances agrestes, noyées de soleil. Les saveurs d’estives sont si puissantes qu’un producteur n’a pas hésité à rebaptiser son fromage « meublochon » ! Et ce qui vaut pour le lait vaut aussi pour la viande, avec les labels Rosé des Pyrénées ou Tirabuixo. La charcuterie du Haut-Vallespir est en soi un poème de goûts enfermés par la sècheresse de l’air montagnard, par la propension naturelle du gras à persiller les chairs, par le goût transmis des viandes relevées au bon poivre. Le cochon est l’empereur de cette gastronomie ultra-locale qui culmine avec la cultissime « ollada ». Foin des potées de riches, ici on aime le vrai. Quelques couennes, le jarret d’un jambon, un peu de lard rance, des haricots secs, de l’orge perlé, du chou vert, de la pomme de terre et c’est un voyage pour Cythère qui s’annonce surtout si vous n’omettez pas le divin boudin noir, le botifaró. Attention : cinq heures de cuisson s’imposent. Les saveurs les plus douces ne sont pas en reste. à Prats-de-Mollo, on vous servira – en privé – un quatre-quarts fameux, le gâteau Maillard, compagnon obligé du café et du vin doux.
Un renouveau au cœur des montagnes
Plus au sud à Arles et à Amélie, la délicieuse rousquille, douce et spongieuse, est en quête de son IGP tandis que la pâtisserie Pi-Roué garde jalousement le secret de son « Somptueux » une merveille à la pâte d’amande imbibée de rhum, qui se conserve pendant des mois. Il fait bon vivre, ici, entre deux cueillettes de coscolls, de morilles ou de cèpes, qui donnent l’impression, le dos courbé, de rendre par l’effort un peu de ce que cette nature exubérante a offert. Si l’industrie marque le pas, elle a connu ici un véritable âge d’or, dont subsistent les fameux tissus catalans en bayadère « les Toiles du Soleil » et les créations d’espadrilles de Saint-Laurent-de-Cerdans, entièrement réalisées comme au siècle dernier. Ultimes vestiges d’une vraie culture ouvrière encore perceptible dans l’organisation sociale des villages. Des usines chocolatières d’Arles, il reste quelques artisans, mais l’inondation de 1940 a contraint les unités de production à descendre dans la plaine. Pourtant l’héritage est bien là. Le Haut-Vallespir regorge d’artisans : couteliers, vitraillistes, ébénistes, maroquiniers, céramistes, tous cultivent le beau et s’enracinent dans la tradition. Vous les trouverez sur les marchés et au Moulin des Arts, à Arles. Une bonne nouvelle : après des décennies d’exode rural, la vallée tend à se repeupler et les écoles voient arriver de nouvelles têtes blondes et brunes. Des citadins en quête de nature et de vérité ont trouvé sur ces terres – depuis toujours ouvertes aux montagnards perdus, aux fugitifs, aux contrebandiers et aux proscrits – une véritable terre d’accueil. Les mas se restaurent, le télétravail permet des activités insoupçonnées et le Haut-Vallespir poursuit le cycle tourmenté de son histoire sans tenir compte de la frontière imposée, habitué à n’écouter que le gibier, les champignons, les gestes immémoriaux de ses chemins ombreux et les sages enseignements de la langue, un temps perdue, qui chante à nouveau dans les sous-bois et accompagne sur les grandes places la danse gracieuse et oscillante des sardanistes.
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