29 Avr Le Mas Miró à Mont-Roig del Camp
Certains lieux sont beaucoup plus que ce qu’ils ont l’air d’être. Il est des demeures qui sont des chambres noires, des lieux de révélation et de naissance à soi-même. C’est le cas du Mas Miró à Mont-Roig del Camp, un musée d’un autre type : vivant.
Le paysage, à quelques encablures à peine de la Méditerranée, semble hésiter entre la Sicile et la Toscane, marqué par de grands champs d’oliviers, de caroubiers et d’amandiers, des buissons d’aloès, des palmiers et de vastes étendues de cultures maraîchères. Dans un îlot de verdure ocellé d’ocres, sur une colline au modeste renflement, s’élève une belle demeure de style colonial, entièrement blanche, qui évoque les belles maisons construites un peu partout sur la côte, par les « indians », ces Catalans revenus, cousus d’or, de Cuba ou des Amériques. Au premier étage les grandes fenêtres à petits carreaux répondent à des arcades aveugles en plein cintre. Cette asymétrie assumée contribue à donner un ton de liberté inattendu à la facture classique de l’architecture. Une tour centrale rectangulaire domine l’ensemble : elle semble contempler l’ailleurs et rêver, seule, de Maghreb et d’Orient. Bien planté dans la cour intérieure s’élève un immense palmier qui confirme ce penchant pour le sud. Deux grandes ailes, blanches elles aussi, flanquent cette belle façade. D’un côté, un bâtiment autrefois réservé aux véhicules hippomobiles des maîtres et des champs, de l’autre la maison des métayers qui étaient chargés de cultiver et récolter pour le compte des maîtres de maison. Une petite chapelle latérale, d’inspiration néogothique avec sa porte couronnée d’une ogive ouvragée, donne à l’ensemble une apparence de village miniature. Un peu excentré, près de la chapelle, se dresse l’atelier du peintre, un petit bâtiment aux voûtes catalanes, très éclairé par de grandes ouvertures, surmonté d’un toit terrasse qui offre une vue magnifique sur les environs, orné de sgraffites dessinées par le maître et d’une grande cheminée. C’est l’épicentre des lieux, leur point radiant. Un grand bassin carré digne d’un jardin andalou reflète à l’infini le bleu du ciel et le blanc de la maison. Un jardin planté d’eucalyptus échevelés prompts à s’abandonner à la danse sous la brise invite à la promenade et à la méditation sous les ombrages : c’était un des endroits favoris du peintre, grand amateur de yoga et de philosophies orientales. On entre en réalité dans le musée par un dernier bâtiment, modeste mais de nobles proportions, les anciennes écuries. Cet archipel respire la sérénité et une certaine opulence paysanne. Au départ, la maison, nommée Mas d’en Ferratges, appartenait au Marquis de Mont-Roig del Camp, sénateur aux Cortes de Madrid et premier directeur de la Vanguardia, avant d’être rachetée par les parents de Miró comme maison de villégiature. Elle sera le grand amour du peintre et certainement son lien le plus fort avec la Catalogne. En 1910, Miró prend son premier poste dans une droguerie de Barcelone. Il constate très vite son inadéquation totale au monde du travail et tombe gravement malade. Souffrant de dépression profonde, il vient alors à Mont-Roig del Camp en convalescence. C’est là, au gré de ses dessins, qu’il est foudroyé par sa vocation de peintre. Il écrit « la terre c’est quelque chose de plus fort que moi » ou encore « quand je voyage, j’emporte toujours une caroube de Mont-Roig, je n’ai jamais perdu le contact avec cette terre. Elle m’a donné la force d’un arbre ».
Nombre de toiles rendent hommage au mas ou aux paysages alentour mais c’est aussi ici qu’il mènera ses quêtes esthétiques les plus achevées autour du tridimensionnel. Le domaine est avant-tout un creuset d’inspiration. Si nous pouvons le visiter aujourd’hui, c’est grâce à l’obstination des héritiers de Miró, car il a bien failli disparaître. Lors du premier tracé de la ligne TGV Figueres-Valence, le train était censé passer à 50 mètres à peine de la maison. Une véritable hérésie que la fille du peintre a combattue bec et ongles en faisant appel aux plus grandes personnalités du pays. En 2003, un élargissement de l’autoroute A7 a de nouveau menacé ce havre de paix qui appartient pourtant tout entier à l’histoire de l’art européenne. Une nouvelle fois, la ténacité des héritiers a eu raison de ces projets délirants. Enfin, en 2010, après moultes péripéties, la Fondation Mas Miró a vu le jour autour des héritiers du peintre, de la ville de Mont-Roig del Camp, d’un biographe spécialiste de l’œuvre de Miró et d’un avocat, dans le but de récupérer des fonds destinés à transformer le mas en musée. Il est alors fait appel à deux cabinets de choc, RCR Arquitectes et Varis Arquitectes. Ils sont priés de travailler ensemble dans l’objectif de recréer la vie de l’artiste dans le mas, et de restituer au public un peu du lien charnel qui unissait Miró à cette terre auprès de laquelle il ne cessait de se ressourcer entre ses séjours à Paris, Majorque ou Barcelone, son triangle magique. Le résultat est tout simplement bluffant : on peut visiter toutes les pièces de la maison, y compris la salle à manger aux carrelages de ciment et la cuisine.
Chacun peut ainsi mettre ses pas dans ceux du peintre et imaginer la simplicité tranquille d’un quotidien marqué par l’immensité de l’horizon et le cri des mouettes porteuses de large. Impossible de ne pas être saisi par la noble épure de la demeure, ancrée dans son authenticité rurale. Un film remarquable retrace l’histoire des différents séjours de l’artiste en les rapportant aux œuvres créées, une véritable cartographie qui éclaire le processus créatif et explique bien des engagements. Bien sûr, les commodités muséales sont du voyage avec un ascenseur et une boutique. Pourtant, le visiteur n’a jamais la sensation d’en être un, pris par l’émotion d’une vraie rencontre qui culmine dans l’atelier. On jurerait que Miró vient de le quitter et que les pinceaux sont encore souples et mouillés dans les pots. Il y a tant d’intimité dans cette petite maison secrète, qu’on ne peut s’empêcher de se sentir un peu voyeur, comme initié par passe-droit. C’est ce qui rend cette maison-musée si attachante et si unique. On y découvre la genèse d’une oeuvre universelle, les ressorts de son inspiration et aussi la fragilité initiale qui a permis cette éclosion miraculeuse.
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