02 Oct Le Moianès
A l’approche du Moianès, les gorges se creusent, des barres rocheuses empêchent les arbres des montagnes d’accéder au ciel, la route monte, bordée par endroits de hauts platanes et de mas isolés. En haut, à égale distance de Manresa et de Vic, une sorte de plateau s’avance comme une île rehaussée au milieu de la plaine.
Là, sur les hauteurs, ont élu domicile, dix villages pittoresques, menés par leur petite capitale, Moià. Et si ce petit territoire vient à peine d’être reconnu comme une comarca administrative, il y a bien longtemps que ses habitants jouent groupés comme les packs des mêlées ou les chariots en cercle des premiers pionniers américains. Quelles que soient les vicissitudes à affronter, des guerres aux épidémies, des crises économiques aux mutations technologiques, ils appliquent depuis longtemps la mutualisation des ressources et des charges, accrochés à leur petit paradis vert !
Une île au cœur du monde
Hêtres et chênes se bousculent sur les pentes et les villages gravissent joliment les collines qui font onduler le plateau, lui niant toute monotonie. En plus, ces paysages magnifiques révèlent de belles surprises comme des dolmens ou les Grottes del Toll, qui nous racontent qu’ici gambadaient rhinocéros, bisons et hippopotames. Le Moianès s’amuse à brouiller les pistes. Moines, clercs, seigneurs et paysans ont dompté ce paysage au Moyen Âge, en le soumettant à la charrue et aux haches, tandis que la moindre butte se couronnait d’un château où d’une tour de guet.
Des pierres…
Le Moianès est un carrefour, une marche entre l’Occitanie et le comté d’Osona, une étape prisée des comtes de Barcelone qui y avaient installé une auberge au Mas Saioul. Beaucoup de toponymes annoncent des collines crénelées : Castellterçol, Castellcir… Un des édifices de défense médiévaux les mieux conservés est le château de Granera qui offre des vues magnifiques sur la chaîne de Montserrat. Les églises ne sont pas en reste, bien sûr, mais la mention spéciale revient au Monastère de Santa Maria de l’Estany dont les soixante-douze chapiteaux sculptés, remarquablement conservés, inspirent peintres et photographes. Vous serez séduits par le plan rond, peu commun, de Sant Jaume de Vilanova à Santa Maria d’Oló : sa restauration est due au génial Puig i Cadafalch, décidément infatigable ! Toujours dans le même village, flanqué d’une tour carrée et littéralement greffé au presbytère, Sant Feliuet de Terrassola vous attend, tandis que l’église romane de Collsuspina vous fait signe du haut de son piton rocheux.
…pour dire les hommes
Ici l’histoire vient à vous comme un chat familier. Impossible de ne pas s’y frotter ! Dans ce monde rural, boisé, où travaillaient autrefois les charbonniers, on trouve des mas qui sont parfois même troglodytes comme le Mas d’Esplugues, situé sur la commune de Castellcir, entièrement encastré dans la falaise et qui était encore habité en 2002 ! Inutile de dire que le petit patrimoine industriel foisonne, témoin émouvant du travail des hommes. Près de Monistrol de Calders, c’est un four de potier proto-industriel dont toute la chambre de combustion est conservée. On y faisait principalement des tuiles et des briques. À côté de Calders, à l’extrémité ouest de la comarca, un four à chaux entièrement restauré partage l’espace avec le Centre d’Art Contemporain et Durable. En ce pays de cultures méditerranéennes six cents cabanes de vigne ornent un treillis gracieux de murs de pierre sèche, tandis que les grandes transhumances planent encore autour du lavoir à laine del Roquer, tout près de Moià. C’est là que les brebis étaient tondues et leur laine lavée et séchée pour la vendre.
Un écomusée à ciel ouvert
C’est tout un monde de paysans et d’artisans qui prend vie sous les yeux du voyageur. Autre merveille, les grands puits qui permettaient de fournir en glace, bateaux, hôpitaux et restaurants de Barcelone, sans les difficultés d’acheminement que posaient les lointaines Pyrénées.
Au bout du chemin…
Cette petite « principauté » possède même sa propre zone humide autour de l’Estany, un aiguamoll comblé et asséché par 400 m de canalisations souterraines, équipées de bondes, de réservoirs et de puits de ventilation, une curiosité qui se visite et qui est maintenant surmontée de 8 hectares de cultures. Ne ratez pas la promenade des eaux qui permet de suivre les ruisseaux artificiels qui drainent les précipitations ! Et n’hésitez pas à acheter… de vieilles montres ! Tout comme l’imprimerie et la gravure, l’horlogerie est un des savoir-faire ancestraux de cette terre où les hivers sont rudes. Il fallait bien occuper les longues soirées glaciales… Si vous pouvez découvrir toute cette mémoire, c’est grâce à… la crise. Devant la fermeture des industries textiles et la mutation agroalimentaire, dans les années 90, le Consortium pour la Protection des Communes du Moianès a fait un recensement de toutes les structures culturelles et patrimoniales. Les élus ont compris qu’ils avaient devant eux un véritable écomusée à ciel ouvert, un atout maître en termes de tourisme, allié à un autre, de taille : l’agriculture biologique.
…la sérénité
Calders produit deux labels de veau bio, Castellcir des primeurs et des cabris, on trouve aussi des produits manufacturés comme Amella Bio Food, des poulets, du fourrage, des céréales (blé et épeautre, notamment), des légumineuses, à l’étiquette résolument verte. La concentration d’entreprises consacrées à l’agriculture biologique est telle qu’on peut parler de cluster ! Alors, allez-vous dire, la gastronomie ? Au t-o-p ! S’il n’y a pas de produits typiques à proprement parler, vous êtes au cœur d’un conservatoire du bien manger, du kilomètre zéro et du savoir ancestral. Un vrai pays de Cocagne à l’heure de passer à table dans l’un des nombreux restaurants, accueillants et conviviaux. Les charcuteries et les fromages, idéalement séchés par la pureté de l’air, sont excellents ! Dans des paysages d’une telle beauté, avec cette impression étrange d’être toujours à deux doigts de toucher le ciel, les ermitages jouent les vigies. Celui de Santa Coloma Sasserra, à l’ombre du chêne monumental de Giol, irradie un charme tout particulier.
L’humain…
Pour vous guider, un véritable réseau d’itinéraires signalisés et balisés vous attend comme la Route du Moianès, les chemins de Saint Jacques, les chemins de l’abbé Oliba et une curiosité, les Camins Serens, les chemins sereins, une façon naturelle et bucolique d’adopter une slow attitude bonne pour le corps et pour le mental, dopé par la bienveillance des paysages parcourus à pied, à vélo, à cheval, en courant. Le poète local Marius Torres a merveilleusement décrit le pouvoir de cette nature impassible et belle. L’eau est partout, indispensable aux innombrables moulins à grain et à huile qui rythmaient ce haut plateau comme le mécanisme précis d’une énorme horloge, il y a cent cinquante ans.
…un atout maître
Et le mouvement se perpétue dans les danses traditionnelles qui fleurent bon la société paysanne du XIXe. Pourtant, ici, rien ne s’assoupit ! Les rues des villages sont animées et la population qui déambule est à l’évidence active : petites boutiques, ateliers d’artisans, paysans en livraison, tout un monde s’agite. Dans le hall du Consell Comarcal, conçu comme une plate-forme de services, on peut lire le journal local et consulter des offres d’emploi qui feraient pâlir d’envie n’importe quelle petite ville du sud de la France. Le centre-ville de Moià avec ses belles demeures à la fois altières et modestes, ses places à l’abri des arcades ou en belvédère, allie à merveille son ADN rural et sa modernité tranquille comme pour donner le « la » d’une harmonie générale. Dans les cafés, sur les terrasses, les pauses sont pleines de rires et de conversations animées et les gens du Moianès adressent spontanément la parole aux nouveaux venus pour conseiller tel ou tel site, tel ou tel musée, car la fierté du patrimoine et de l’histoire est partout ! Il suffit de suivre routes et chemins : tout est à échelle humaine, dans les pas des convoyeurs de glace et de blé, sous le regard des châteaux et des églises, dans le message muet des grottes et des ruisseaux. L’immensité est ailleurs, quand le regard se pose à l’horizon, là où le Moianès tutoie au loin de bien plus grandes montagnes, comme hissé sur la pointe des pieds. Et aussi dans l’émotion simple que lèvent en nous cette mini-comarca et ses habitants tranquilles : c’est si bon d’être bien !
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