05 Oct LE MONTSENY, LE RUBIS DE L’AUTOMNE
Bien planté en plein milieu de la Catalogne, le Montseny se partage en trois régions, le Vallès Oriental, la Selva et l’Osona, et deux « Diputació », celle de Girona et celle de Barcelone, même s’il empiète largement sur la seconde.
Le Montseny semble faire écho à la verticalité indépassable du Canigou, comme s’il en était le relais ou l’écho, mais dans une version moins élancée et presque totalement boisée. On le dirait né pour lancer le geste noble de ses forêts vers les nuages voyageurs, les accrocher en drapeau effiloché sur ses monts abrupts et les faire retomber en pluies généreuses, en sources douces, en torrents de dentelle qui brodent ses versants escarpés. Le Montseny est une montagne bienfaisante et mystérieuse, tissée de légendes et de peurs. Une montagne de forestiers, de charbonniers, de bûcherons… Un royaume peuplé de toutes les essences des forêts européennes, chênes verts, oliviers et fruitiers qui respirent encore la Méditerranée, mais aussi les conifères alpins qui évoquent la taïga. Le Montseny se dresse comme un damier d’altitudes et de climats, une véritable arche de Noé végétale, un trait d’union aussi entre le passé de la terre et son avenir. Son nom vient du latin Montem Signum : la montagne qui guide. Et effectivement, le Montseny est visible de presque partout comme une formidable forteresse naturelle qui ne se laisse vraiment pénétrer qu’au prix d’un effort physique à pied, à vélo ou à cheval. Bien sûr on peut le traverser en voiture, mais au risque de n’en percevoir qu’une surface trompeuse. « On entre dans cette montagne comme on entre dans une église ou une grotte. Je guide des randonneurs depuis dix ans, et même en parcourant les mêmes chemins, je découvre tous les jours un détail qui m’a échappé, ou un animal nouvellement arrivé. Ce n’est pas de la haute montagne, en tout cas sur le papier, et pourtant, on est en milieu vraiment montagnard » commente Quim, guide de randonnée. à l’approche, déjà, le charme agit : l’automne nimbe le Montseny d’une lueur de feu et en fait un énorme tison ardent, un rubis improbable et beau. Captivant. En réalité, le Montseny se compose de trois ensembles montagneux, le Turó de l’Home (1700 m), les Agudes (1700 m) et le mont du Matagalls (1698 m), tous reliés par des cols, et par le haut plateau du Pla de la Calma. Une grande partie du territoire est incluse dans le parc naturel, labellisé réserve de la biosphère de l’Unesco et jumelé avec le Parc Naturel des Cévennes. Un monde de rivières, de sous-bois, de hêtraies profondes où le soleil peine à entrer, d’anciennes cabanes de charbonniers, de puits de glace… Un monde de curiosités uniques comme le grand châtaignier de Can Cuch et ses 12 mètres de circonférence, oui vous lisez bien…. Dans le creux de son tronc, un « appartement » subsiste avec un lit, une table et même une cheminée ! Ce géant a des petits frères presque aussi remarquables que lui, le grand châtaignier de Roters à Arbúcies, le châtaignier à neuf branches de Viladrau, et celui à quinze branches del Brull. Sans oublier les fûts acajou des sequoias énormes, insolites, qui égratignent le ciel du côté de Saint Marçal ! Ici les villages sont éloignés les uns des autres, perdus dans la montagne, comme si les arbres se refermaient pour mieux les cacher. « Pour parcourir le Montseny, il faut prendre au sens premier des chemins de traverse, se dessiner des itinéraires, c’est le plus sûr moyen de le comprendre » explique Diego, au centre d’information touristique. « Ce n’est pas un endroit comme un autre, il faut savoir dialoguer avec les arbres, prendre leur force et leur sagesse. D’ailleurs les bains de forêt sont très à la mode ». Et en effet, les Barcelonais sont légion à venir se ressourcer dans cette île verte, perchée comme un monastère grec, qui invite à l’effort, à la méditation et à la paix intérieure. Les arbres du Montseny agissent comme une assemblée de sages. Ils n’ont pas leur pareil pour calmer les esprits ! Sous le massif des Agudes, la rivière d’Arbúcies, bienveillante envers les rares hommes établis sur son cours, dessine des ruisseaux, des bassins, des fontaines, des puits et des lavoirs, elle donne sa force à des scieries, des forges et des moulins dont les structures désertées subsistent. Mais comme toutes les rivières de la montagne, elle a sa part d’ombre. D’ailleurs, presque tous les villages du Montseny possèdent des cascades échevelées et des gouffres spectaculaires dont la profondeur est insondable au regard, entourés de rochers inhospitaliers.
Mystère des eaux
Il n’en faut pas davantage pour que le bon sens populaire les baptise de « gorgs negre », gouffres noirs, et leur attache toute une série de légendes liées à la sorcellerie et aux ondines, les « femmes d’eau » : on les trouve à Seva, Arbúcies, Gualba, Viladrau, Riells… « Ces forêts ont servi d’abri à des bandolers comme le célèbre Serrallonga et à des femmes accusées de sorcellerie. Elles sont relativement impénétrables. Rien d’étonnant à ce qu’elles aient nourri toutes sortes de superstitions. De même quand le regard ne peut pénétrer la surface des eaux, elles sont perçues comme menaçantes, du coup on ne compte plus les légendes qui mettent en scène des ondines ! » explique Maite, anthropologue spécialisée dans les légendes pyrénéennes. Ne manquez pas le magnifique chemin des cascades devant l’ermitage de Sant Marti de Riells, une succession de chutes d’eau mousseuses et de marmites profondes, et le saut de l’ondine (salt de la dona d’aigua) près d’Arbúcies, une triple cascade vertigineuse particulièrement encaissée. Attention, n’oubliez pas qu’en altitude, l’automne est en avance et le sol souvent gelé à proximité des cours d’eau. Si vous optez pour une eau plus domestiquée, les fontaines de Palautordera vous attendent, avec leur petite architecture moderniste en trencadís. Les puits à glace du Turó de l’Home vous parleront des lingots gelés formés dans les bassins, conservés dans les puits et transportés jusqu’à Barcelone par les hommes d’ici pour rafraichir les citadins. à Santa Fe, l’eau s’est laissée emprisonner par le barrage et dessine un lac tranquille entouré de chemins, de forêts et de clairières : elle offre un décor de promenades particulièrement prisé des familles pour son accessibilité et sa beauté.
Splendeurs d’automne
Au gré de vos pérégrinations automnales, notamment au cœur des sublimes hêtraies aux couleurs de feu, vous ne manquerez pas de rencontrer des clairières encore noires de cendre et de suint et quelques cabanes modestes, seules traces de l’immense labeur des charbonniers, d’autant plus dur qu’il se déroulait en plein hiver, comme si ici le feu et la glace allaient toujours de pair pour écraser les hommes de misère. Même si vous êtes émerveillés par l’incroyable nuancier de jaunes, de rouges et de bruns que dessinent les frondaisons et qui embrasent la totalité du massif, n’oubliez pas de regarder le sol : les champignons montent leur chapiteau pour le grand spectacle de l’automne et il serait dommage de ne pas en profiter. Du côté de l’Espinelves, les châtaigniers recouvrent le sol de feuilles mortes et de bogues hérissées. « Cet oursin des pauvres devient un mets de roi, grillé sur un feu de bois, mais il y a cent ans, la châtaigne donnait aussi de la farine, c’était même sa principale vertu. On était dans une économie de subsistance et tout venait de la nature, c’est même la définition exacte de l’écologie ! » affirme Marta qui étudie depuis deux ans l’économie circulaire du Montseny au XIXe siècle. C’est elle qui nous indique qu’il existe autour d’Arbúcies , un olivier autochtone, le « Salar d’Arbúcies » documenté dès 1500, qui faisait encore tourner sept moulins au début du XXe siècle. 15 000 de ces oliviers viennent d’être replantés. Ils consomment très peu d’eau, diminuent les risques d’incendie et produisent une huile vierge de très haute qualité, trois critères nécessaires pour s’intégrer dans le parc naturel. Les rares prés d’altitude accueillent encore vaches et brebis et permettent la production de fromages artisanaux d’exception, un peu comme si la Suisse baignait ses pieds dans la Méditerranée. Incroyable Montseny qui allie cultures méditerranéennes et paysages alpins sans se dénaturer le moins du monde ! On en changerait presque l’étymologie puisque « seny » signifie sagesse en catalan…
Pas de commentaire