30 Juil LE PALLARS JUSSA NE TRICHE PAS
Gabi Serra Filaf est hôtelier et cuisinier au sein de l’hôtel Terradets, aux premières loges de toutes les évolutions touristiques du Pallars Jussà, juste sur la route qui va de Lleida aux Pyrénées.
Cap Catalogne : Bonjour Gabi, votre établissement est familial. Ça veut dire que vous avez toujours vécu ici ?
Gabi Serra Filaf : Non ! Plus jeune, je suis parti pour faire mes études à l’école hôtelière de Barcelone et comme j’ai ensuite passé un master de gestion d’établissement, je me suis un peu éloigné. J’ai même parcouru l’Europe et le Japon pour m’imprégner des autres traditions culinaires et pour les confronter à celles que j’ai héritées de mon père ici même, dans la cuisine où nous nous trouvons. J’aime bouger mais vraiment, je n’ai jamais eu envie de vivre ailleurs.
CC : Si vous deviez donner deux ou trois éléments pour nous faire aimer ce pays, quel serait votre tiercé ?
GSF : Le ciel, le ciel et le ciel. Où voulez-vous trouver des ciels aussi purs ? C’est curieux parce que d’une certaine façon, on a toujours su que ce ciel avait quelque chose de spécial, même si c’était inexplicable. Et maintenant, une grosse partie de ma clientèle, notamment hors saison, est constituée de scientifiques qui viennent contempler les étoiles dans le Montsec ou de géologues envoyés par des universités ou de grandes compagnies pétrolières pour pénétrer le mystère de la création du monde en étudiant notre géologie. Deux labels Unesco, celui du Géoparc et celui du parc astronomique, ça rend fier. Ça veut dire qu’on a quelque chose que les autres n’ont pas, qu’on est encore plus près des origines.
CC : C’est une façon de mettre en avant la nature dans les deux cas…
GSF : Regardez ce lac, ces couleurs, cette tranquillité. J’ai mon potager, mes poules. Quand j’ai envie de réfléchir, il me suffit de marcher, d’écouter le vent, les oiseaux. Où pourrais-je trouver une sérénité aussi profonde ? Ici j’ai pu plonger dans la modernité, explorer des champs nouveaux en matière de cuisine, adapter mon établissement aux nouvelles attentes de confort des gens sans rien couper de mes racines, au contraire ! C’est un sacré luxe, j’en suis conscient. Et puis, il y a les produits du terroir et là, franchement, c’est le rêve. Prenons la charcuterie artisanale, bien poivrée et surtout notre produit à nous, la girella, de l’agneau et du riz, quelques herbes, quelques épices, on passe les rondelles à la poêle… Simple et bon. La traçabilité est totale. Sur un si petit territoire, on connaît tout le monde, et en particulier les éleveurs. Même chose pour la viande, j’achète mes poulets à un producteur bio dont je connais parfaitement l’exploitation. à l’arrivée, dans l’assiette ça change tout, on sort de la logique de la standardisation pour cultiver ce qui est particulier, ce qui est unique.
CC : Et il y a des vignes…
GSF : Il y en avait toujours eu avant le phylloxéra, même si on n’a en réalité aucune trace tangible des vins d’alors et de ce à quoi ils pouvaient ressembler. Je suis heureux que ces vignes aient été replantées d’autant que la qualité des vins est déjà au rendez-vous. Ils commencent à avoir leurs inconditionnels et à trouver un public hors de la zone de LLeida. Dans mon restaurant, le vin de la maison est d’ici et j’en ai pas mal d’autres à la carte qui sont également locaux. à la marge, on a aussi une excellente bière artisanale qui doit tout à la pureté de nos eaux, la ratafia des raiers, à mon sens la meilleure, et même, une exclusivité, de la liqueur de bière. Il fallait y penser ! J’ai pris l’initiative de vendre ces produits dans la cafétéria de mon hôtel avec quelques produits d’artisanat. Et puis, bien sûr, nous avons des fromages de chèvre extraordinaires, du miel, des confitures, des herbes médicinales, de merveilleux champignons, notamment des cèpes et des morilles, bref tout ce qu’une terre de montagne peut donner. Même du safran extraordinaire ! Je suppose que vous avez pu voir à quel point l’agriculture et l’élevage sont encore présents ici, avec notre habitat dispersé de mas et de tout-petits villages. Cette authenticité est irremplaçable. Elle ne triche pas.
CC : D’où viennent vos clients ?
GSF : Beaucoup viennent de Barcelone, mais aussi de la région toulousaine qui reste assez proche. Ce n’est pas loin, les paysages sont magnifiques, nous avons des parcs nationaux, grâce aux barrages hydroélectriques l’eau est partout. Nous sommes à bonne distance pour un week-end de coupure avec la vie citadine. Le parc astronomique attire des Britanniques, fascinés par la pureté des éléments. La comarca commence à être un peu connue, on le sent. Avant, les gens la traversaient pour aller de Lleida aux Pyrénées et à leurs stations de sports d’hiver et vice-versa. Ils passaient parfois une nuit sur place mais guère plus. Je constate que les séjours s’allongent et la saison avec, et que les week-ends font souvent le plein. Les clients sont souvent fidélisés. S’ils reviennent c’est qu’ils ont apprécié leur séjour précédent. C’est donc que nous sommes en bonne voie.
CC : Vous croyez que la comarca va devenir très touristique ?
GSF : Je crois qu’elle a toutes les chances de devenir une destination à part entière. Ensuite il nous faudra trouver le juste équilibre pour garder cette personnalité un peu farouche qui fait notre identité. Le Pallars Jussà possède des trésors naturels sous-exploités comme par exemple la Vall Fosca, une vraie vallée pyrénéenne, avec de l’eau partout, des forêts. Nous y avons une maison de campagne et, pour moi, c’est un des plus beaux endroits du monde, une oasis de fraîcheur en été, un morceau de haute montagne en hiver. Nous avons des dizaines de châteaux forts et d’églises romanes, des villages fortifiés mais surtout, parce que je crois que c’est ce qui compte le plus maintenant, le Pallars Jussà propose toutes sortes d’activités sportives et de détente. Vous voyez, il y a des gens en canoë sur le lac. L’été, il y a aussi des baigneurs, des plongeurs, des gens qui font du paddle, de l’escalade, du VTT, du parapente… Partout les gens partent en excursion car le moindre de nos villages est un point de départ balisé. Certains pour montrer à leurs enfants les traces de pas des dinosaures, d’autres pour regarder le paysage du haut d’un mirador, d’autres encore pour le simple plaisir d’être dans la nature. Les citadins sont en mal d’air, de vent, de soleil, de mouvement. Le Pallars Jussà est bien placé pour les eaux vives, notamment la descente en rafting et le canyoning, au top pour la spéléologie et l’escalade, idéal pour les balades en vélo ou en VTT. Tout le monde peut y trouver son compte. Quand on rajoute l’offre culturelle, les musées, les concerts, les fêtes populaires, je pense que nous avons tout. Avec peut-être un petit plus : le tourisme de masse ne nous a pas abîmés, nous sommes une terre presque vierge.
CC : Le potentiel est énorme ?
GSF : Énorme. Songez que nous ne disposons que de 3 000 lits contre trois fois plus pour l’Alta Ribagorça voisine par exemple, c’est dire la marge de progression. Je constate que tout le monde, privés et publics, travaille dans le même sens : faire connaître la comarca et partager nos trésors en les préservant. Ça me rend optimiste. Et heureux !
Hôtel Terradets
www.hotelterradets.com
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